L’ autobus 89 arrive à l’ arrèt Luxembourg. Je m'apprête à descendre. Debout, face à la porte de sortie, mais en retrait, je jette un œil vague sur les passagers assis ou debout, à la manière dont le psychanalyste laisse traîner une oreille apparemment distraite au discours de son patient, jusqu'à ce qu'une phrase, un mot le ramènent vers son client. C'est la technique dite de l'attention flottante, qui s’ applique aussi dans les lieux publics.
J'effleure, l'espace d'une fraction de seconde, le visage, le pull-over, puis le visage encore, d’ une jeune femme. Ce regard, contrairement à l’ordre que je lui avais donné, n'était pas neutre, puisque je remarque un froncement imperceptible de ses yeux, d'abord interloqués, puis curieux. Je suis piqué plus que troublé par sa féminité et son discret intérêt. Je fais mine de m'intéresser au paysage qui défile.
Je focalise, tête baissée, sur les voitures garées le long du trottoir du jardin du Luxembourg, devine, quelques mètres derrière, les grilles noires qui enserrent la verdure.
Et je me dis que cette femme est si jolie que je serai obligé de l’aborder si elle descend à la prochaine station. Je regarde devant moi. Les reflets des vitres la montrent qui se rapproche. Le bus s’ arrête. Nous descendons.
Je ne sais pas quoi faire, mais il faut faire vite. Je prends aujourd'hui mon courage à deux mains et l’ aborde par le côté, au moment où elle va franchir la grille du Jardin.
« Excusez-moi. ! ».
Elle me regarde avec un léger sourire.
« Je suis photographe ! Votre visage est très intéressant !», dis-je, contemplant son pull-over gonflé.
« Accepteriez-vous que je prenne quelques photographies ! »
Elle semble hésiter. Je lui présente mon accréditation de photographe officiel du Sénat. Impressionnée, elle accepte et dans le jardin désert, je tire trente six photos de son portrait, en réalité, sans pellicule.
Je l’ invite ensuite à la buvette. Brûlant de désir et l’ esprit charmeur, je la fais rire et pleurer de rire.
Et puis soudain, je ressens un violent mal de ventre, du aux excès de la veille. Je m'excuse et m'absente. Je reviens trente minutes plus tard.
Elle est partie avec mon appareil photo.
Marcel nous a quitté le 29 avril 2020 et c’est avec l’accord de son épouse et avec le souvenir de tous ses amis que nous sommes très heureux et émus de continuer à faire connaître ses textes et son talent que vous retrouverez sur ce compte. N’hésitez pas à vous y abonner, à partager ses textes, et à laisser des commentaires pour faire perdurer ses textes et son souvenir.