Genre: roman de peintres écrit par le célèbre auteur turc, prix du meilleur livre étranger 2002, parution initiale en 1998.
De quoi ça parle? Il s'agit d'une histoire qui mêle intrigue amoureuse et policière. On y parle de meurtre, de peinture, de la possibilité de représenter la réalité par le dessin figuratif, de sentiments, de sexe, d'amour impossible, de sourates, du prédicateur d'Erzucum.
Contexte: "L'Empire Ottoman au XVIème siècle, l'hiver 1591. Un cadavre parle depuis le puits où il a été jeté. Il connaît son assassin de même que les raisons du meurtre dont il a été victime: un complot contre l'Empire Ottoman, sa culture et ses traditions" (4ème de couverture). Les rapports entre Venise et Istanbul entraînent des voyages. Les voyageurs rapportent des récits qui intéressent à Istanbul et des livres vénitiens arrivent à connaissance du Sultan.
Le noeud de l'affaire: En 1598, les miniaturistes de l'atelier du sultan sont chargés d'illustrer un livre à la manière italienne (Venise) qui relatera l'histoire de Khosrow et Shirine, une histoire traditionnelle orale.
Implication capitale de l'intrigue: la nouvelle manière de faire change la vie des peintres du sultan: elle implique signature, illustration. Le passage de l'artisan à l'artiste. L'apparition du portrait avec le risque comme dit le dessin de l'arbre: " si je ne sers pas à illustrer quelque récit, les idolâtres et les infidèles vont accrocher mon dessin sur un mur pour m'adorer. Il vaut mieux que les gars du Hodja d'Erzucum ne m'entendent pas".
Ressort littéraire caché: L'éloignement dans le temps est un parfait outil de dénonciation des moeurs contemporaines. Les réalités de 1591 sont transposables à celles de 1998.
Si on devait le comparer à un livre existant: Les Lettres Persanes de Montesquieu. Pourquoi?
1. Par les thématiques: critique des moeurs, pouvoir, religion, amour.
2. Par le discours omniprésent (lettres ou adresses).
Style: roman polyphonique composé de 59 chapitres.
Parlent dans ce livre: l'assassin, le cadavre, la couleur ( centre géométrique du texte), l'amoureuse, l'entremetteuse (Esther), la femme, le chien (une posture cynique étymologiquement amusante), les différents miniaturistes, la mort, Shékuré et enfin les représentations "tabous" de la manière de peindre italienne: "l'arbre", "le cheval".
Le danger de la commande du Sultan pour les miniaturistes:
" Tu sais que le tableau que vous exécutez est un très grand péché... une impiété et un blasphème inouï".
Les peintres sont en difficulté avec la commande "impossible":
"Il est injuste de nous tenir rigueur des oeuvres qu'on nous a commandées."
La peur:
" Les gars de Nusret Hodja finiront sûrement par faire une descente. Mon voisin lui fait signe de se taire. Leur peur est communicative. La méfiance règne. Chacun s'attend à être trahi par les autres".
Ce que disent les anciens miniaturistes à l'atelier (la manière ancienne):
La signature est la marque de l'orgueil:
"Si mon fils ajoute sa signature, ne sera-t-il pas présomptueux de sa part de s'attribuer en propre les mérites de ses maîtres anciens alors qu'il ne fait qu'imiter? "
Se conformer est une vertu, être original un défaut:
" Cette chose à laquelle on tient sous le nom de style, c'est seulement l'erreur de laisser apparaître notre identité".
La pudeur et la modestie sont des vertus:
Le véritable talent d'un grand maître, c'est de peindre des chefs-d'oeuvre inégalables, en sachant aussi ne pas laisser de trace de son identité.
L'amour interdit d'une veuve mariée (Sékuré) pour son amour de jeunesse:
- "Relève ton voile, s'il te plaît".
- "Je suis mariée, j'attends mon mari"
- "Il ne reviendra plus jamais (...)
- "Non, c'était pour te voir. Cela fait douze ans que je pense à toi. Enlève ta voilette, que je puisse te voir".
- J'ai relevé mon voile. La manière qu'il a eu de me contempler, très longtemps, sans rien dire m'a vraiment beaucoup plus".
Les problèmes légaux arrivent pour les amoureux:
Mon défunt mari a un frère, Hassan... il s'est épris de moi. Depuis peu, il soupçonne quelque chose, il s'imagine que je suis sur le point de me remarier avec toi sans doute. On m'a même fait savoir qu'il veut me ramener chez eux de force (...) Ils disent qu'ils doivent me ramener puisqu'aux yeux du juge, je ne suis pas veuve. Ils peuvent venir m'enlever à tout moment. Mon père ne veut pas me faire reconnaître veuve par le juge, parce qu'il pense qu'il devrait me trouver un autre époux, et il pense que je le laisserais tout seul.
Pour mieux comprendre l'intrigue amoureuse, vous pouvez l'accompagner d'un film drôle pour alléger les réflexions du livre sur les caricatures et l'histoire dramatique de Sékuré:
L'enfer social de Shékuré est une réalité dans de nombreux pays.
Je vous recommande le film À la recherche du mari de ma femme, une comédie marocaine de 1993 culte qui expose un genre de situation un peu "compliquée" légalement d'une façon absurde.
La scène se passe à Fèz avant la réforme du Code de la Famille (Moundawana), première réforme 1993 puis 2004.