J’ai souvent procédé par cycle dans l’exploration de la littérature et du cinéma, et après Fante, Bukowski s’imposait dans les auteurs de la beat génération que j’ai entrepris de découvrir.
J’en ai toujours entendu parlé comme étant une icône de la littérature américaine version Gainsbourg, en plus provoquant et même trash. En demandant par où commencer on m’a recommandé « Les contes de la folie ordinaire » pour avoir un aperçu assez large et significatif de l’écriture de l’auteur. Et, sans faire attention, je me suis retrouvé avec les "Nouveaux contes de la folie ordinaire" du même auteur. L’œuvre en version française a été scindée en deux parties. Et la version originale américaine d’un bloc s’appelle "Erections, Ejaculations, Exhibitions and General Tales of Ordinary Madness” Ce qui donne d’emblée le caractère sulfureux et subversif de l’auteur et du livre en question.
Et d’emblée, avec “La sirène baiseuse de Venice, Californie", on tombe à pieds joints dans le sordide avec le vol d’un cadavre dans une ambulance, que deux marginaux vont violer avant d’entamer une virée en bord de plage avant de le faire disparaître à dos de nageur ivre au large du rivage. C’est court et c’est trash, c’est de la brutalité et de la provocation à l’état brut, en condensé. Et il y en a 43 autres du même acabit.
C’est malaisant et d’emblée on a envie de refermer le livre et de passer à autre chose. Seulement en tant qu’auteur qui verse aussi dans le trash (plus modestement), je me pose la question des limites, de ce que l’on peut écrire ou non. Le livre c'est un auteur confronté à un lecteur, et il se pose aussi la question du positionnement de chacun : de celui qui souhaite provoquer et percuter pour les intentions qui sont les siennes et celui qui décide de tout lire pour les raisons qui sont également les siennes.
Comment peut-on connaître un écrivain sur un seul texte de quelques pages ? Impossible. Si l'on veut se faire un avis objectif et honnête il faut donc lire ce qui le doit l'être, et à minima pour l'écriture. Et à la question de savoir si ça valait la peine d’être écrit, et donc lu ? Je pense avoir répondu à cette question. Je vois l’intégralité de la littérature mondiale comme un témoignage global qui nous raconte, nous, humains, dans ce que nous sommes, étions, serons ? Sous toutes les coutures, dans toute notre diversité. Dans ce que l'humain a de plus beau et d’enthousiasmant mais aussi, dans le cas de l’œuvre de Bukowski, dans ce qu’il a de plus sombre et pervers. Et, donc, dans ce travail "documentaire", si l’on veut avoir une vision authentique et équilibrée des êtres qui composent notre Histoire et notre planète, alors ce versant est aussi essentiel que tout le reste. Un extraterrestre visant à découvrir notre civilisation disparue, aura accès à un pan certes dégulasses de notre humanité en découvrant les écrits de Bukowski, mais accès tout de même à la part de folie que l'on ne peut pas nier.
Et dans les Nouveaux contes de la folie ordinaire tout y passe ou presque (à compléter probablement sur ses autres œuvres), sans gène, et l’alcool aidant, dans une forme parfois de dédouanement qui questionne aussi sur une période et une époque qui aujourd’hui, est amplement sondée et questionnée avec le mouvement révolutionnaire qu'est Me Too.
Au delà du sombre et du laid, et de l’alcool à gogo, on arrive tout de même à entrer dans l’intimité de l’écrivain et de ses perceptions sur son rapport à l’écriture mais aussi à celui des autres auteurs dont il fait référence et en parle de façon très tranchée, la langue de bois à tous les niveaux n'est pas son fort. Il y a deux choses chez Bukowski (sans parler de sexe) qui doivent couler dans les veines : l’alcool et la poésie. Et cet amour inconditionnel pour la poésie et pour les plumes singulières qu’ils valident, tranchent avec tout le reste. Et à la question qu’il pose régulièrement à savoir s’il est un "escroc (doublé d’un tordu)" ou un génie littéraire, la réponse semble suspendue à la seule perception du lecteur. Bukowski écrit, point, le reste est l’affaire des autres et ce qu’ils y liront et penseront ne sera au final que le reflet de leur propre âme. On lit comme on est, et c’est finalement l’affaire, l’intime et la conscience de chacun.
Il y a aussi la musique qui semble très importante pour l'auteur qui cite Stravinsky et Malher, Les Doors ou encore les Beatles.
Derrière un nombre incalculable de provocations, Bukowski est un écrivain attentif sur son temps et qui livre une vision parfois désemparée de la société perfusée à l'indigence : "La première chose que les gens font dans une émeute est de voler un poste de télé couleur. Ils veulent le poison qui a fait de leur ennemi un demeuré".
Une forme de misanthropie dont l'alcool semble en être une forme de refuge et l'écriture une activité qui les mets à distance : "Les gens viennent me voir, ils me parlent, ils m'épuisent" écrit-il.
Je sors de cette lecture groggy, bousculé, nauséeux, mais aussi enthousiaste sur la conquête du processus de l’écriture, la grandeur de la poésie largement évoquée et invoquée, avec la curiosité et l’envie de répondre à plusieurs questions : Bukowski sait-il écrire autrement que sur ce format court et provoquant ? Est-il l’un des plus grand documentaliste littéraire de tous les temps sur la noirceur de l’humain ? Ou un disque provocateur rayé ; de la came facile pour lecteurs avides de sensations pestilentielles fortes ? Et qu’en est-il de cet ennui fatal, qui rend les êtres livrés à eux-même dans leur labyrinthe de névroses plurielles, singulières et communes ? Bukowski est-il un imposteur ou un génie qui a su renvoyer et souffler à la gueule du monde les cendres de nos inhumanités dispersées… à suivre.