Chronique de Panorama de Lilia Hassaine,
Après les grandes références littéraires passées, j’ai ressenti le besoin de lire aussi les auteurs contemporains et j’ai plongé dans « Panorama » de Lilia Hassaine, qui est une auteure talentueuse qui a déjà remporté des prix littéraires dont « Panorama » s’est illustré en permettant à Lilia Hassaine de remporter le Prix Renaudot des lycéens 2023 ainsi que le prix François Mauriac de l’Académie française 2024.
« Panorama » et un roman d’anticipation qui nous interpelle, car tout ce qui figure dedans pourrait voir le jour demain ou après-demain, tant l’importance consacrée aux influenceurs et aux tribunaux populaires et à travers eux les opinions toutes puissantes, prennent de plus en plus de place dans nos espaces publics.
L’obsession sécuritaire grandit au regard de la violence et des scandales alimentés par des frais divers qui remuent l’opinion publique, jusqu’à ce que surviennent la médiatisation via les réseaux sociaux de victimes qui décident de se venger par elles-même et devient l’espace d’une semaine, la Revenge Week dont toutes celles et ceux qui seront passés aux actes se verront blanchis sur la vague d’un sondage d’un influenceur « doit-on se faire justice soi-même ? » À laquelle 87 % des sondés répondront oui.
Cette flambée populaire de la justice par et pour soi va instaurer de nouveaux modes de vie, comme le fait de devoir vivre dans des maisons-blocs totalement transparentes au regard de toutes et tous, passants comme voisinage, selon l’idée que ce n’est pas un problème si l’on n’a rien à cacher, rendant chacun garant en tant qu’observateur et délateur si cela s’avère nécessaire, d’un idéal de vie devant garantir paix et harmonie. Il va s’en dire que cela à un coût, et que toutes personnes ne se soumettant pas à ce mode de vie, ne pourront prétendre à une justice et je ne parle même pas des assurances.
Et c’est dans ce décor qui n’a plus rien d’intimiste que survient un mystère des plus étranges ; la subite disparition d’une famille entière sans qu’à première vue aucun témoin ne puisse expliquer ni documenter.
C’est sur fond d’enquête que nous lisons à travers les pages de nombreuses réflexions alimentées par Lilia Hassaine qui nous interpelle sur des questions actuelles telles que le consentement (un sarcophage-lit a vu le jour pour les moments intimes dans cette vie exposée, qui se referme que si les deux personnes par leurs empreintes donnent leur consentement, avec un bouton d’urgence en cas de soucis), sur un renversement de la justice « Le doute doit désormais bénéficier aux victimes… et seulement aux victimes. » où l’abaissement à sept ans l’âge de la raison dont on comprend bien comment cela a été rendu possible : « Pour ou contre l’abaissement de la responsabilité pénale à sept ans ? Vous pouvez voter directement sur les réseaux sociaux les chéris. », la perte des médias d’investigations puisque l’investigation est déférée au peuple : « Dans vos quartiers la presse a été remplacée par l’opinion » mais aussi à la redistribution des codes dans les relations humaines pour une société qui a basculé dans le conformisme rassurant : « À force de nous comparer et de nous jalouser, nous finissons par nous imiter. ».
Lilia Hassaine a comme fil conducteur trois sujets clés que sont le rôle des influenceurs comme nous venons de le voir, le jugement et la délation de chacun à travers ses opinions « Mon fils était pas aimé à Paxton. Bientôt, vous verrez, on entendra des choses. Les gens sont comme ça : ils ont des opinions. » Et enfin la puissance des algorithmes et des écrans qui ont fait perdre à chacune et chacun son libre arbitre et l’effort de générer sa propre pensée, les algorithmes permettant « Se laisser influencer par ses propres idées ».
Et les livres ne sont pas exempts de mutations conséquentes :
« On préfère désormais les tablettes numériques, plus légères, plus pratiques. Surtout, elles permettent de lire la dernière version en date d’un ouvrage : depuis que les auteurs peuvent retoucher leur texte après publication, le livre n’est plus cet objet poussiéreux, figé dans le passé, il évolue, s’adapte à l’époque. Les maisons d’édition ont même recruté des modérateurs professionnels, chargés de retravailler et de nettoyer certains passages à la place de l’auteur. Trois versions d’un même ouvrage (une version brute, pour les universitaires, une version abrégée, pour les impatients, et une version normalisée, pour les plus sensibles) sont aujourd’hui disponibles grâce aux nouvelles tablettes. »
Et cette difficulté toujours plus grande à pouvoir se concentrer :
« J’avais aimé les livres. Le problème n’était pas que je ne les aimais plus, mais que je ne savais plus comment les faire fonctionner. Il n’y avait pas de bouton latéral, pas de mode veille. Et, même quand je parvenais à me concentrer pendant deux ou trois pages, je sentais mon cœur palpiter d’agacement, les phrases étaient trop longues, trop bavardes, elles ne s’adressaient pas à moi, c’était à moi de faire l’effort de les lire et de les comprendre. Mon smartphone était bien plus puissant, il ne me demandait rien, il anticipait mes désirs, et tout semblait gratuit. »
Vous l’aurez compris, je vous recommande vivement de lire « Panorama » de Lilia Hassaine qui est déjà très bien écrit, à l’intrigue passionnante, et propice à la réflexion et à l’autocritique de nos sociétés qui n’ont jamais autant inquiétés par leur vulnérabilité et incertitudes. Et d’inscrire cette auteure talentueuse dans la liste de vos favoris.