Billets d’humeur
Aujourd’hui, j’ai tué un gecko
I.
Il me regarda avec ses yeux ronds, fixement. Et tous mes poils se hérissèrent. Je pris la bombe et poussai un pschitt de 6 mètres dans un état quasi second. Il était dodu, très agile et intelligent. Il me vit, de cela je suis certaine. Peut-être ses yeux globuleux et fixes me demandèrent-ils de lui laisser la vie ?
Vingt-quatre heures plus tard, j’en suis encore toute retournée. Mais c’était ou lui ou mon équilibre psychique. Ma fille, au loin, me dit au téléphone, d'un ton fort léger et qui m'exaspéra, que nous ne sommes pas si consciencieux avec les cafards, que c’était discriminatoire et que de toutes manières, on écrasait des geckos aux pieds tous les jours, sans nous en apercevoir.
Je suis toujours dans l’inconfort psychologiquement.
Son regard.
II.
Les semaines que j’ai passées dans cette ville n’avaient pas été de tout repos. Mon plaisir était le café où je me posais après moult responsabilités. Le jeune homme qui me demandait si j’avais aimé le latte qu’il m’avait préparé. Touchante attention.
Je me posais à côté de la baie vitrée, une étoile me touchait, j’ouvrais mon ordi et écrivais. Après le latte, je prenais un matcha et j’aimais penser à ses vertus hypertrophiées par une propagande tonnante et inlassable qui les vantait du matin au soir. Le produit étant à la mode depuis quelques années et donc en flèche aussi pécuniairement. Source de longévité.
Un matcha tous les jours. ( Rires )
III.
Que vais-je faire des six personnages qui m’attendent ? Ils traversent les continents à la recherche de quiétude. Vont-ils se poser là-bas ? Retourner chez eux ? Ils ne croient pas au principe identitaire physique, mais à celui intellectuel. Ils se poseront chez eux, là où ils trouveront un confort spirituel et moral. Spirituel signifie de l’esprit, sans la connotation religieuse.
Ou alors, ils retourneront « chez eux » pour se mettre au combat.
A trente-ans, ils ont l’âge, les ressources et l’aiguillon.
IV.
Comment peut-on se permettre un tel lâchage quand on est chez les autres ?
Dans un pays qui n’est pas le sien ?
Déjà le lâchage en lui-même est problématique où que l’on soit, de surcroît chez les autres.
Parler fort, pétarader, claquer les portes, jeter son mégot à terre, botter une benne, blasphémer à cor et à cri … Des comportements de borderline. Je n’ai pas les cases mentales pour saisir ces choses-là.
Question d’âge peut-être. Mais je ne crois pas.
Mon aînée me dit que je sortais d'un laboratoire et que j'étais sans anticorps.
- Il faut traiter les anticorps d'urgence !
Elle m'énerve avec sa froideur philosophique. Elle a eu 17 au bac de philo. Mais elle m'énerve. Et je l'aime plus que tout au monde. Avec les autres.
V.
Elle pleurait beaucoup en ce moment. C'étaient probablement les repères géographiques qui se bousculaient. Et le temps. Et le gecko.