LA FAUTE
Nous vivions heureux dans ce que vous, humains, appelleriez le Paradis, dans ce que vous, croyants, souhaitez après. Nous n'obéissons pas aux mêmes règles que vous, n'avions pas les mêmes systèmes de valeurs, nous n'avions pas comme loi celle du plus fort puisqu'il n'y avait pas de plus fort.
Ainsi, aucun sentiment de haine ou de jalousie ne pouvait nous tenailler, puisque nous étions tous égaux en tout. Ainsi, les jours et les nuits se succédaient dans l'amour que chacun éprouvait pour l'autre, sont semblable, dans ce qu’un de vos psychologues appellerait l'élan narcissique vers autrui, puisqu'autrui était ressenti comme soi-même. Jusqu'au jour où.
Un matin, je sortis avec mon frère. Nous allâmes par les bois de la vie, que l'on nomme ainsi par ce que dans cette zone hiver et automne n’existent pas, parce que la végétation y est éternelle. Nous cueillîmes des baies, des abricots et de la menthe, lesquels repoussèrent aussitôt parce que dans ce pays, je l'ai dit, rien ne meurt. Nous campâmes au pied d'un grand chêne. Maman nous avait préparé des tas de choses délicieuses que nous sortîmes de nos paniers. Notre bel appétit ne nous empêcha pas de discuter de toutes choses dans la bonne humeur qui nous était coutumière : du baiser volé à la fille du facteur, du parfum de la nature, de la dernière conférence de presse de celui que vous appelez Dieu, que nous connaissions pour l’a voir fréquemment perçu sur nos écrans mentaux.
Le jour se faisait plus jaune et, pour mieux profiter du rayonnement de la nature, nous décidâmes de descendre dans la plaine. Nous en profiterions pour rapporter des fleurs à la maison. Nous jouâmes à nous poursuivre, ce qui était très amusant, car comme nous avions égale vitesse, il était évident que le dernier ne pourrait être le premier, comme vous semblez le croire. Insensiblement, nous nous rapprochions du territoire de non-permission, celui où tout le monde pouvait aller puisque rien n'était interdit mais où personne n'allait parce qu'une légende y était attachée. Nous y pénétrâmes, sans y penser. La végétation nous sembla aussitôt fondamentalement différente de celle que nous connaissions. Des feuilles jaunes, marron, couleurs étranges pour du feuillage, parsemaient le sol. Nous découvrîmes l'inquiétude et mon frère voulut rebrousser chemin.
« Ne sois pas ridicule » lui dis-je « nous y sommes et il ne nous est rien arrivé ! » Bien que mollement convaincu, mais attristé à l'idée de me laisser seul, il me suivit..
Nous allions à l'aventure dans cette nature peu accueillante, essayant d'en percer le mystère. Et, tout d'un coup, apparut ce qui allait être l'objet de notre convoitise.
Une boîte cylindrique, dans l'herbe noire près d'un étang, attira notre attention. Je la ramassais. Nous déchiffrâmes l’inscription :
COMPOTE DE POMMES.DANGER.
Mon frère tendit la main.
« Donne moi cette boîte ! » dit-il, les yeux brillants. « Elle est à moi, c'est moi qui l'ai trouvée ! »
Répondis-je, d'une voix que je ne reconnaissais pas. Il se rua sur moi pour s'en emparer. Ma main, qui tenait la boîte, s'abattit sur son crâne. Il y eut un choc sourd, puis, plus rien : il dormait pour toujours. Je rentrais chez nous. Je n'eus rien à dire, tout le monde savait. Je fus amené immédiatement devant Dieu. Les journalistes étaient là. Il ne fit pas de déclaration mais leur demanda de partir. Puis, il dit simplement :
« Ton crime mérite châtiment ! » et sans un mot me désigna une porte. Je la franchis et sombrai dans un abîme d'inconscience.
Lorsque je me réveillai, une femme me berçait dans ses bras en me regardant avec tendresse, tandis qu'un homme qui la tenait par l’épaule me contemplait avec timidité et émerveillement à la fois. Et je pleurais, je pleurais !
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Marcel nous a quitté le 29 avril 2020 et c’est avec l’accord de son épouse et avec le souvenir de tous ses amis que nous sommes très heureux et émus de continuer à faire connaître ses textes et son talent que vous retrouverez sur ce compte. N’hésitez pas à vous y abonner, à partager ses textes, et à laisser des commentaires pour faire perdurer ses textes et son souvenir.