J'ai lu Murambi, le livre des ossements de Boris Diop

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« La mémoire des peuples n’est pas un fardeau à porter, mais une lumière à transmettre ; elle éclaire les vivants et rappelle aux morts qu’ils n’ont pas disparu en vain. » 

« Notre existence est brève, elle est un chapelet d’illusions qui crèvent comme de petites bulles dans nos entrailles. Nous ne savons même pas à quel jeu elle joue avec nous, la vie, mais nous n’avons rien d’autre. C’est la seule chose à peu près certaine sur cette Terre. »

Ce roman a pour trame de fond le massacre des Tutsis par les Hutus. Cornelius Uvimana, l’un des personnages clés de ce roman, revient au Rwanda, son pays natal, après plusieurs années d’exil à Bujumbura, puis à Djibouti. À son arrivée, on lui a réservé un accueil strictement froid. Tout le monde se méfie de lui tel un pestiféré. Même ses anciens amis l’épient à longueurs de journées et de nuits. Plus tard, il sera désagréablement surpris : il découvrira que le Docteur Joseph Karekezi, son géniteur, a été l’un des cerveaux du génocide rwandais au point de mériter un sobriquet déshonorant : le « Boucher de Murambi ».

En dépit du serment d’Hippocrate (il est chirurgien, donc médecin), le Docteur Joseph Karekezi a été l’un de ceux qui ont patiemment, obstinément et savamment orchestré le carnage de Murambi. Il s’est personnellement occupé de sa propre famille et a » fait le travail « , tel un spécialiste, pour deux raisons : — d’abord, pour s’assurer de bien le faire et, — ensuite, pour le donner en exemple. Il tue son épouse, la mère de Cornelius Uvimana, une Tutsie, ainsi que son fils, François, et sa fille, Julienne.

« Sur le chemin de l’École technique, raconte Joseph Karekezi, j’ai pensé à Julienne et François, et à leur mère (sa famille). Ce n’est la faute de personne. Au dernier moment, elle me maudira en pensant que je ne l’ai jamais aimée. Ce n’est pas vrai. C’est juste l’histoire qui veut du sang. Et pourquoi verserais-je seulement celui des autres ? Le leur est tout aussi pourri. »

Pour lui, il ne peut agir autrement : tous, dit-il, ont le sang pourri pour avoir été Tutsis à cent pour cent ou pour l’avoir été à moitié. Tous déterminés à « bien faire le travail », les génocidaires ont ainsi, à l’aide de canons et/ou de machettes, systématiquement massacré les Tutsis et les Hutus considérés comme des traîtres. Cette scabreuse découverte de la vraie identité du père (Docteur Joseph Karekezi) met le fils (Cornelius Uvimana) dans tous ses états. Elle bouleverse sa destinée de fond en comble au point de le plonger dans une mélancolie indescriptible.

Cependant, après avoir sombré pendant longtemps dans l’incertitude de la traversée psychique et les profondeurs abyssales du deuil, Cornelius Uvimana parviendra à se dépêtrer de l’enveloppe traumatique grâce à ses amis d’enfance parmi lesquels Jessica Kamanzi et Stanley Ntaramira. Il prend, en fin de compte, conscience de la gravité de la situation et se résout à vaincre l’horreur et le deuil, à comprendre les hommes pour les aider à renaître de leurs torpeurs et leurs animosités.

Dans Murambi, le livre des ossements, Murambi, le village natal de Cornelius Uvimana, devient finalement le point de mire vers lequel convergent tous les témoignages, tous les commentaires, toutes les hypothèses. » Ville-martyre « , » ville-cimetière « , » ville-musée « , » ville-mémoire « , » ville-référence « , pour parler comme l’auteur lui-même, Murambi a été, au moment du génocide rwandais de 1994, un véritable lieu de crânes, de carnages et d’animosités ; s’il symbolise suprêmement le lieu de la violence et de la folie meurtrière, c’est-à-dire de la bêtise humaine et de la férocité animalière, il est, en même temps, le lieu où les rescapés réapprennent tout doucement à vivre et à s’apprivoiser, à se tolérer et à se pardonner, à faire le deuil de leurs proches et à oublier un passé reconnu incontestablement comme désolant et asphyxiant. Murambi est enfin le lieu où tout renaît, tout revit, tout reverdit sous le regard pitoyable et parfois inquisiteur des vivants et des survivants, des victimes et des bourreaux.

Pour conclure, j’avoue avoir été particulièrement marqué par deux protagonistes : Siméon Habineza et Cornelius Uvimana. Dans ce récit, ils apparaissent comme de véritables figures héroïques. Siméon Habineza, frère du docteur Joseph Karekezi, incarne la figure du juste. Il s’oppose à toute forme d’extrémisme et refuse de participer au génocide, contrairement aux membres de sa communauté. Après la guerre, il ne cède pas non plus à la tentation de la vengeance. Quant à Cornelius, il sert de fil conducteur au récit. Fils du « Boucher de Murambi » et neveu de Siméon, il découvre les horreurs du génocide en même temps que le lecteur, ignorant tout des commanditaires, auteurs et complices.

À lire absolument !

© Du côté de chez Phane 

 


Publié le 21/11/2025 / 2 lectures
Commentaires
Publié le 22/11/2025
Merci du partage très cher Stéphane, cette description soignée nous incite vraiment à lire ce livre comme un devoir de mémoire sur ce génocide qui ne doit pas être oublié. Un génocide qui passait sur les écrans alors que des années plus tôt avec la shoah tout le monde s’était élevé d’une seule et même voix pour dire plus jamais ça. Les pires drames peuvent se reconduire, encore et encore, nul ne doit l’oublier. Il est aussi possible de partager cette présentation de livre en vous rendant lorsque vous êtes connecté à votre compte dans bibliothèque puis « livres chroniqués » et en cliquant sur « Ajouter un livre ».
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