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La confusion des sentiments, de Stefan Zweig
Chapitre 17

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J’ai de tout temps exécré l’adultère, non pas par esprit de mesquine moralité, par pruderie et par vertu, non pas tant parce que c’est là un vol commis dans l’obscurité, la prise de possession d’un corps étranger, mais parce que presque toute femme, dans ces moments-là, trahit ce qu’il y a de plus secret chez son mari ; chacune est une Dalila qui dérobe à celui qu’elle trompe son intimité la plus humaine, pour la jeter en pâture à un étranger… le secret de sa force ou de sa faiblesse. Ce qui me paraît une trahison, ce n’est pas que les femmes se donnent elles-mêmes, mais que presque toujours, pour se justifier, elles soulèvent le voile de l’intimité de leur mari et qu’elles exposent, comme dans le sommeil, à une curiosité étrangère, à un sourire ironiquement satisfait, l’homme qui ne s’en doute pas.

Ce n’est pas le fait d’avoir trouvé un refuge, moi qui étais égaré par un désespoir aveugle et furieux, dans les embrassements de sa femme, d’abord faits uniquement de compassion et ensuite seulement devenus pleins de tendresse, car le premier sentiment fit place au second avec une rapidité fatale ; ce n’est pas cela que je juge encore aujourd’hui comme la bassesse la plus misérable de ma vie (ceci se passa, en effet, involontairement et tous deux nous nous précipitâmes sans le savoir, inconsciemment dans ce brûlant abîme), mais c’est de m’être laissé raconter, sur le moite oreiller, des confidences sur le compte de mon maître, c’est d’avoir permis à cette femme irritée de trahir l’intimité de son mariage. Pourquoi tolérai-je, sans la repousser, qu’elle me confiât que depuis des années il n’avait pas de commerce charnel avec elle, et qu’elle se répandît en allusions obscures ? Pourquoi ne lui ordonnai-je pas impérieusement de se taire sur ce secret le plus personnel de la vie sexuelle de mon maître ? Mais je brûlais tant de connaître ce qu’il me cachait, j’avais tellement soif de le savoir coupable vis-à-vis de moi, vis-à-vis d’elle et vis-à-vis de tous que j’accueillis fiévreusement cet aveu indigné qu’elle me fit de la négligence dont elle était l’objet : c’était là quelque chose de si semblable au sentiment que j’avais moi-même de me trouver repoussé ! Il arriva ainsi que tous deux, par une haine confuse et commune, nous fîmes quelque chose qui imita les gestes de l’amour : mais, tandis que nos corps se cherchaient et se pénétraient, nous ne pensions tous les deux qu’à lui et nous ne parlions tous les deux que de lui, toujours et sans cesse. Parfois ses paroles me faisaient mal et j’avais honte de rester là lié à ce que j’abominais. Mais le corps qui était en moi n’obéissait plus à ma volonté ; il s’abandonnait sauvagement à sa propre volupté et en frissonnant je baisai la lèvre qui trahissait l’homme qui m’était le plus cher au monde.

Publié le 08/05/2025 / 1 lecture
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