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La petite fille qui mord le ciel,
Chapitre 1

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La petite fille qui mord le ciel
Roman
I
Le cachot noir
Quand je suis née, j’étais déjà d’ailleurs . A l’école maternelle, l’institutrice
la plus sévère du monde, madame Tleck, se transformait en sorcière quand elle
s’approchait de moi. Ses yeux jetaient des étincelles et ses doigts s’allongeaient
pour me tirer les oreilles. Son nez grandissait comme celui de Pinocchio et sa règle
s’abattait sur la table en hurlant TLECK, TLECK, TLECK de plus en plus fort.
Alors, elle essayait de m’hypnotiser et sa bouche grossissait et crachait des
serpents, des poisons et des vomis. J'apercevais même ses dents pointues et ses
plombages à l'intérieur de sa bouche et son visage faisait plein de grimaces avec
des rides partout et son nez devenait tout crochu.
-Léa, peux-tu me répéter ce que je viens de dire ? Où es-tu Léa ? elle criait tout le
temps.
Lorsqu’elle hurlait mon prénom, je voyais le bout de sa langue sortir entre ses dents
puis sa grosse langue rouge et molle toute entière qui reculait au fond de sa gorge et
butait contre sa glotte, comme si elle voulait l’étouffer. Je voyais la peau de son cou
se tendre comme s’il allait éclater et ses paupières se gonfler et se rider autour de
ses yeux qui devenaient deux fentes brillantes.
Je savais bien ce qu’elle voulait que je réponde, que j’étais dans la lune, que
j’étais un être lunaire. Ce qu’elle ne savait pas, c’est que moi, j’allais beaucoup plus
loin, dans des pays qu’elle ne pouvait pas imaginer et qu’elle ne connaîtrait jamais,
parce que seuls les gens gentils pouvaient s’y envoler et parce que les sorcières ne
savaient pas se métamorphoser en libellules.
-Au cachot noir ! elle criait en m’aspergeant de ses postillons. Tu pourras y rêver à
ton aise.
Je me levais en m’essuyant les joues avec mes mains et je contournais
l’estrade sur laquelle trônait son bureau. Le cachot noir était là, juste derrière son
bureau, juste derrière elle, derrière son dos, sous l’escalier qui menait à l’étage où
elle logeait, elle, la sorcière. Je soulevais un rideau noir qui tombait jusqu’au sol,
j’avançais et je disparaissais derrière lui comme par magie. Plus personne ne me
voyait et je ne voyais plus personne comme si j’étais devenue invisible. La sorcière
m’avait fait disparaître comme si je n’existais plus.
-Après, on lui fera hou les cornes, elle crachait encore.
Mais moi, je m’en fichais bien. J’aimais bien aller au cachot noir. A
l’intérieur, je pouvais me transformer en libellule et m’envoler autour de la terre
toute entière. Là, je ne devenais pas un être lunaire mais un être de partout où
j’allais. J’étais comme un caméléon qui devient orange sur une plante orange et
rouge sur une fleur rouge. Les insectes font du mimétisme, m’ avait expliqué mon
grand-père. Moi aussi, j’en faisais.
Chez les indiens, je devenais une indienne suisse bourguignonne et je
savais vivre comme eux. Je fumais le calumet de la paix avec les vieux chefs qui
sont les plus sages et qui n’étaient pas cachés dans des maisons où leur famille ne
les voyaient pas mourir à petit feu. Je dansais autour du totem en tapant des pieds,
en inclinant le corps en avant et en chantant comme un loup avec mes doigts qui
tapaient mes lèvres, je mangeais du bison, du serpent et du pemmican et je dormais
dans un tepee. Quand j’étais joyeuse, je dansais la danse du soleil autour du feu.
Au pôle Nord, je devenais une esquimaude suisse bourguignonne, je me
déplaçais en traîneau tiré par des chiens, des chiens beaux et forts comme les loups,
des chiens bleus et blancs avec un oeil bleu et un oeil jaune et je creusais des trous
dans la glace pour trouver du poisson, je marchais sur des raquettes de tennis et je
construisais un igloo surgelé.
En Afrique, j’avais un lion apprivoisé, je montais sur le dos des éléphants et
j’habitais une case dans un arbre, le plus haut de la jungle. Je me nourrissais de
noix de coco, de mil, de sorgho et de bananes. Le sorcier m’apprenait à reconnaître
les plantes qui aident à guérir et les incantations magiques qu’il faut dire. Et puis je
redevenais une libellule et j’allais plus loin au milieu des nuages et des étoiles et
encore bien plus loin derrière le rideau d’étoiles dans des pays inventés et sur des
planètes inconnues où rêver, ce n’était pas interdit...

Publié le 06/12/2025 / 3 lectures
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