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Monsieur Collins n’avait ni bonté ni sensibilité ; chez lui les imperfections de la nature n’avaient été modifiées, ni par l’éducation, ni par l’habitude de vivre dans le monde au milieu des frottements de la société. Il avait passé la plus grande partie de sa vie, sous la tutelle d’un père ignorant et avare, et n’avait rapporté de l’université que des termes techniques, sans aucune véritable connaissance. La soumission dans laquelle son père l’avait toujours contenu, lui avait fait contracter des manières extrêmement humbles qui se trouvaient maintenant dans un contraste complet avec l’amour-propre, qui a bien de la prise sur la tête d’un être faible, vivant dans la retraite et imbu de toutes les idées que donne une prospérité inattendue. Un heureux hasard l’avait fait connaître à Lady Catherine de Bourg, lorsque le bénéfice de Hunsford était vacant. Le respect qu’il avait pour son rang élevé, la vénération qu’elle lui inspirait comme sa patronne, se mêlait avec une haute idée de lui-même, comme ecclésiastique ; et de son importance, comme Recteur ; et le rendait un composé bizarre de vanité et d’humilité, d’une minutieuse politesse et d’une extrême importance.
Depuis qu’il se voyait maître d’une jolie maison, et d’un assez bon revenu, il avait le désir de se marier. L’idée de trouver une femme dans la famille de Longbourn, avait contribué à sa réconciliation avec elle. Son intention était de demander en mariage une de ses cousines, s’il les trouvait aussi belles et aussi aimables que le bruit public les lui avait représentées. C’était là le dédommagement qu’il comptait leur offrir, pour se faire pardonner d’hériter de la terre de leur père ; c’était là la base du plan d’accommodement qu’il avait conçu, plan qui lui paraissait très-généreux, très-désintéressé, et qui lui semblait réunir toutes les convenances.
Ses projets ne subirent aucun changement après avoir vu ses cousines ; la belle figure de Miss Bennet l’affermit encore dans ses résolutions, et dans les notions positives qu’il avait des droits d’aînesse. Dès le premier instant, il fixa son choix sur elle, mais la matinée du lendemain le força à faire quelques légers changemens dans ses dispositions. Dans un tête à tête qu’il eut avec Mistriss Bennet avant le déjeuner, la conversation l’ayant conduit naturellement à l’aveu des espérances qu’il avait conçues de trouver une femme à Longbourn, Mistriss Bennet au milieu de tous les sourires de complaisance et d’encouragement, lui laissa cependant entrevoir quelques obstacles au choix qu’il avait fait de Jane ! Quant à ses autres filles, disait-elle, elle ne pouvait prendre sur elle de… Elle ne pouvait pas répondre positivement que… Elle ne leur connaissait cependant aucun engagement antérieur… Mais pour sa fille aînée, elle croyait de son devoir de lui avouer qu’elle serait bientôt engagée ; Mr. Collins alors changea Jane contre Elisabeth ; ce fut bientôt entre eux deux une chose arrangée ; d’ailleurs Elisabeth venant tout de suite après Jane, soit pour l’âge, soit pour la beauté, lui succédait tout naturellement.
Mistriss Bennet s’amassait ainsi un trésor d’espérances ; elle ne se sentait pas de joie, en pensant, que bientôt elle aurait deux de ses filles mariées, et l’homme qu’elle avait eu tellement en horreur, que la seule idée de le voir la faisait frémir, était maintenant au plus haut degré de ses bonnes grâces.
Lydie n’avait point oublié son projet d’aller à Meryton ; toutes ses sœurs, excepté Mary, voulurent l’accompagner ; Mr. Collins devait être de la partie, à la requête de Mr. Bennet, qui désirait se débarrasser de lui, et jouir seul de sa bibliothèque, car Mr. Collins, l’y avait régulièrement suivi après le déjeuner, et là, tout en ayant l’air de lire un des plus gros in-folio, il ne cessait d’entretenir Mr. Bennet de sa maison et de son jardin de Hunsford ; cela excédait ce dernier, qui trouvant toujours du bruit et du mouvement dans toutes les chambres de la maison, était accoutumé à se retirer dans son cabinet pour jouir du calme et du repos. Ce fut le désir d’être seul quelques moments, qui le fit presser poliment Mr. Collins d’accompagner ses filles à la promenade, et celui-ci qui était en effet plus propre à la marche qu’à la lecture fut charmé de fermer son gros livre et de s’en aller.
Leur conversation pendant la route, consista en pompeuses phrases de son côté, et en polies approbations de la part de ses cousines, mais une fois arrivé à Meryton, il n’obtint plus aucune attention des cadettes, leurs yeux étaient tout occupés à chercher les officiers, il ne fallait rien moins qu’un nouveau bonnet ou un joli ruban, pour les en détourner un instant.
La curiosité de toutes les sœurs fut bientôt éveillée par un jeune homme, qu’elles n’avoient jamais vu, de la tournure la plus élégante, qui se promenait de l’autre côté de la rue, donnant le bras à un officier qui était justement ce même Mr. Denny, du retour duquel Lydie venait s’informer. Il les salua lorsqu’elles passèrent devant eux. Elles furent toutes frappées de l’air de l’étranger. Lydie et Kitty déterminées à le revoir encore si c’était possible, traversèrent la rue sous prétexte de voir quelque chose dans une boutique vis-à-vis, et heureusement elles avaient déjà atteint l’autre côté, lorsque ces Messieurs se retournant, se trouvèrent à la même place. Mr. Denny les aborda et leur demanda la permission de leur présenter M. Wickam, son ami, arrivé de Londres la veille, avec lui, et qui venait d’accepter une commission dans son régiment. C’était justement ce qu’il fallait, car il ne manquait que l’uniforme à ce jeune homme pour être accompli. Il avait une belle figure, une contenance distinguée, un abord très-agréable. Il entra en conversation avec une heureuse facilité, sa manière de s’énoncer était à la fois correcte et sans prétention, ils se promenaient ainsi tous ensemble, fort agréablement, lorsqu’un bruit de chevaux les fit retourner ; Darcy et Bingley arrivaient au grand galop en reconnaissant les dames dans ce groupe, les deux cavaliers s’arrêtèrent et les abordèrent. Bingley porta la parole, et s’adressant à Miss Bennet, il lui dit qu’ils allaient à Longbourn pour s’informer des nouvelles de sa santé ; Darcy s’inclinait en signe d’approbation, et était décidé à ne pas jeter les yeux sur Elisabeth, lorsque la vue de l’étranger le frappa ; Elisabeth qui les observait tous les deux, fut étonnée de l’effet que produisit cette rencontre ; ils changèrent de couleur, l’un pâlit, l’autre rougit. Après quelques instants d’hésitation, Wickam porta la main à son chapeau, salut auquel Mr. Darcy daigna à peine répondre. Que signifiait tout cela ? Il était impossible de le deviner ; mais il était impossible aussi, de ne pas désirer de le savoir ! Peu de moments après Mr. Bingley qui ne paraissait pas avoir remarqué ce qui s’était passé, prit congé et partit avec son ami.
Mr. Denny et Mr. Wickam accompagnèrent les Miss Bennet jusqu’à la porte de Mistriss Phillips, et se retirèrent alors, malgré les pressantes invitations de Lydie, pour les engager à entrer, et quoique sa tante parût à la fenêtre du salon pour appuyer hautement cette invitation ; Mistriss Phillips était toujours charmée de voir ses nièces ; les deux aînées, qu’elle n’avait pas vues depuis leur séjour à Netherfield, furent surtout bien reçues. Elle leur exprima sa surprise, de leur prompt retour, qu’elle n’aurait point su (leur voiture n’ayant pas passé pour les aller chercher), si elle n’avait pas rencontré dans la rue le garçon de boutique de Mr. Jones, qui lui avait dit, qu’on ne devait plus envoyer de remèdes à Netherfield, les Miss Bennet étant revenues, etc., etc. Jane demanda la permission de lui présenter Mr. Collins, elle le reçut avec une politesse excessive, qu’il lui rendit en lui faisant mille excuses, d’avoir osé se produire chez elle avant d’avoir fait sa connaissance ; cependant il espérait que ses relations de parenté, avec les jeunes dames qui le présentaient, justifieraient la liberté qu’il avait prise. Un tel excès de politesse pénétra Mistriss Phillips de respect, mais la contemplation où elle était de cet étranger fut bientôt troublée, par les exclamations et les questions de ses nièces cadettes sur le nouvel arrivé. Elle ne put rien leur apprendre de plus, que ce qu’elles savaient déjà : que Mr. Denny l’avait ramené de Londres, qu’il disait avoir une lieutenance dans le même régiment, et que depuis une heure elle le regardait promener de long en large dans la rue. Si Mr. Wickam eût continué sa promenade, il n’y a pas de doute que Lydie et Kitty n’eussent imité leur tante ; mais, malheureusement, il ne passait sous les fenêtres dans ce moment, que quelques officiers, qui en comparaison de l’étranger n’étaient plus que de gauches et ennuyeux personnages.
Les Phillips dévoient avoir quelques officiers à dîner le lendemain ; il fut arrangé que Mistriss Phillips obtiendrait de son mari d’aller faire visite à M. Wickam, et de lui envoyer une invitation, si la famille de Longbourn voulait venir passer la soirée. La chose conclue, Mistriss Phillips promit encore à ses nièces, qu’elles auraient une agréable et bruyante partie de loterie, et ensuite un petit bout de souper chaud.
La perspective de tant de plaisirs était délicieuse, l’on se sépara de fort bonne humeur. M. Collins réitéra ses excuses en sortant, et on l’assura avec une politesse infatigable, qu’elles étaient absolument inutiles.
En revenant à Longbourn Elisabeth raconta à Jane, ce qui s’était passé entre M. Darcy et M. Wickam. Jane aurait bien voulu donner à une conduite aussi extraordinaire une interprétation favorable à tous les deux, mais elle ne pouvait pas mieux l’expliquer que sa sœur.
À son retour à Longbourn, M. Collins fit un extrême plaisir à Mistriss Bennet par l’éloge des manières et de la politesse de Mistriss Phillips, il l’assura, qu’excepté Lady Catherine et sa fille, il n’avait jamais vu une femme qui eut l’air plus comme il faut et plus élégante, car elle l’avait nominativement compris dans son invitation pour la soirée du lendemain, quoiqu’il lui fût tout à fait inconnu auparavant ; il reconnaissait qu’il devait en attribuer une partie à ses rapports avec la famille ; mais cependant, il n’avait jamais tant reçu de prévenances durant tout le cours de sa vie.