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Après cinq jours passés en protestations d’amour et en projets délicieux, le samedi vint de nouveau séparer Mr. Collins de son aimable Charlotte. Les peines de l’absence dévoient être un peu allégées par les préparatifs qu’il avait à faire pour la réception de son épouse, car il avait lieu d’espérer que peu de temps après son retour dans le Hertfordshire le jour qui devait le rendre le plus heureux des hommes, serait fixé. Il prit congé de ses parents de Longbourn, avec autant de solennité que la première fois, souhaita encore santé et prospérité à ses belles cousines, et promit à leur père une autre lettre de remerciements.
Peu de jours après, Mistriss Bennet eut le plaisir de recevoir son frère et sa femme qui venaient toutes les années passer les fêtes de Noël à Longbourn.
Mr. Gardiner était fort supérieur à sa sœur, soit par ses qualités naturelles, soit par l’éducation qu’il avait reçue. Les dames de Netherfield n’auraient jamais pu croire qu’un homme, qui était dans le commerce, qui demeurait dans Chéapside à côté de ses magasins, pût être de si bonne société, si aimable, et surtout pût avoir l’air si comme il faut. Mistriss Gardiner, beaucoup plus jeune que Mistriss Bennet et que Mistriss Phillips, était une charmante femme, fort instruite et très-aimable ; elle était fort liée avec ses nièces, surtout avec les deux aînées qui avaient souvent demeuré chez elle à Londres.
Le premier soin de Mistriss Gardiner à son arrivée fut de distribuer les cadeaux qu’elle avait apportés et de répondre à toutes les questions qu’on lui fit sur les modes du moment, les étoffes nouvelles, etc. ; mais lorsqu’elle eut satisfait la curiosité bien naturelle de ses nièces sur ce sujet, son rôle changea ; d’actif qu’il était, il devint passif, et ce fut son tour d’écouter. Mistriss Bennet avait beaucoup de choses lamentables à raconter, et beaucoup de plaintes à lui faire. Elle avait été très-malheureuse depuis qu’elle n’avait vu sa sœur ; deux de ses filles avaient été sur le point de se marier, mais il avait fallu renoncer à de si douces espérances.
— Je ne me plains pas de Jane, disait-elle ; elle aurait certainement accepté Mr. Bingley, s’il l’avait demandée ; mais Lizzy !… Oh ma sœur ! il est cruel de penser que, sans son obstination, elle serait à présent la femme de Mr. Collins ! il l’a demandée dans cette chambre même… et elle l’a refusé ! Elle est cause que Lady Lucas aura une fille mariée avant moi, et que la terre de Longbourn sera plus substituée que jamais. Je vous assure, ma sœur, que les Lucas sont des gens bien fins ; ils seraient capables de tout, pour obtenir ce qu’ils veulent. Je suis fâchée d’être obligée de l’avouer, mais c’est la vérité. Rien ne me rend plus nerveuse que d’être ainsi contrariée dans ma famille, et d’avoir des voisins, qui pensent toujours à eux plutôt qu’aux autres ; mais votre arrivée est la plus grande distraction, le plus grand plaisir que je puisse avoir. Je suis bien aise de ce que vous nous dites sur les manches longues.
Mistriss Gardiner qui, par sa correspondance avec Jane et Elisabeth savait déjà tout ce qui s’était passé, répondit brièvement à Mistriss Bennet, et par égard pour ses nièces, changea de conversation.
Mais lorsqu’elle se trouva seule avec Elisabeth, elle reprit ce sujet :
— Il paraît, dit-elle, que Jane aurait fait un bon mariage. Je suis fâchée qu’il ait manqué ; mais ces choses-là arrivent si souvent ! Un jeune homme tel que vous me dépeignez Mr. Bingley, devient facilement amoureux d’une jolie personne qu’il rencontre souvent, le hasard les sépare, et il l’oublie tout aussi vite ; cela se voit tous les jours.
— Ce serait une consolation, si la chose était ainsi, répondit Elisabeth ; mais il n’arrive pas souvent qu’un homme d’une fortune indépendante se laisse persuader par ses amis de renoncer à une femme, dont il est éperdument amoureux.
— Cette expression, éperdument amoureuse, est si prodiguée, si douteuse, si vague qu’elle ne me présente aucune idée ; on ne l’applique que trop souvent à des sentiments qui naissent au bout d’une demi-heure, comme à un véritable attachement. Je vous prie, Elisabeth, expliquez-moi ce que c’était que cet amour éperdu de Mr. Bingley.
— Je n’ai jamais vu une inclination qui pût donner de plus grandes espérances. Il n’était occupé que de Jane, et ne faisait attention qu’à elle ; chaque fois qu’il la voyait, il en paraissait plus amoureux. À son bal, il se rendit coupable d’impolitesse envers deux ou trois jeunes dames, en ne les engageant point pour danser ; moi-même je lui parlai deux fois sans recevoir de réponse. Peut-il y avoir des symptômes plus forts ? Une indifférence générale n’est-elle pas de l’essence de l’amour ?
— Oh oui ! de l’espèce d’amour qu’il éprouvait, je le crois. Pauvre Jane ! C’est malheureux pour elle ; avec son caractère, elle ne s’en remettra pas facilement. Il aurait été moins fâcheux que cela vous fût arrivé Lizzy ? Vous en auriez ri la première. Mais ne croyez-vous pas qu’on pourrait engager votre sœur à venir avec nous ? Sortir de chez elle, changer de place, lui ferait peut-être du bien ?
Elisabeth fut charmée de cette proposition ; elle était persuadée que sa sœur l’accepterait très volontiers.
— J’espère, ajouta Mistriss Gardiner, qu’elle ne sera retenue par aucune considération qui ait rapport à Mr. Bingley ; nous demeurons dans un tout autre quartier que lui, nous n’avons point les mêmes connaissances, et nous sortons si peu, comme vous le savez, qu’il n’est pas probable que nous le rencontrions jamais, — à moins qu’il ne vienne la voir.
— Et cela est impossible, car il est maintenant sous la garde de son ami ; Mr. Darcy ne lui permettrait certainement pas d’aller voir Jane dans un quartier tel que Cheapside ; comment pouvez-vous imaginer cela, ma chère tante ? Il est possible que Mr. Darcy ait entendu parler d’une rue qui se nomme Church-Street, mais il ne croirait pas qu’un mois entier d’ablution pût le purifier, s’il y était entré une fois seulement, et vous pouvez compter que Mr. Bingley ne fait pas un pas sans lui.
— Tant mieux donc ! J’espère qu’ils ne se rencontreront jamais. Mais Jane n’est-elle pas en correspondance avec une des sœurs ? Elle ne pourra pas se dispenser de venir la voir.
— Elle laissera tomber la connaissance peu à peu. Malgré l’assurance qu’Elisabeth affectait sur ce point, elle n’était cependant pas sans espoir. Il était possible et quelquefois même elle pensait qu’il était probable, que la tendresse de Bingley pourrait être réveillée par quelque rencontre inattendue, et l’influence de ses amis victorieusement combattue par les charmes de Jane.
Miss Bennet accepta l’invitation de sa tante avec plaisir. Dans ce moment sa modeste résignation lui permettait seulement d’espérer que Caroline Bingley ne demeurant pas dans la même maison que son frère, elle oserait aller quelquefois passer la matinée avec elle, sans courir le risque de le rencontrer.
Les Gardiner séjournèrent une semaine à Longbourn, durant laquelle, soit avec les Phillips les Lucas, soit avec les officiers, il ne se passa pas un jour sans quelque divertissement ; Mistriss Bennet mit tant de soins à amuser son frère et sa sœur qu’ils ne dînèrent pas une seule fois en famille. Elle n’avait jamais de monde chez elle, sans qu’il y eût aussi quelques officiers, et surtout Wikam. Les éloges continuels qu’Elisabeth faisait de ce dernier, avaient éveillé les soupçons de Mistriss Gardiner qui les observait attentivement, chaque fois qu’elle les voyait ensemble. La préférence qu’ils avoient l’un pour l’autre, était assez prononcée pour l’inquiéter un peu, sans qu’elle en conclût cependant qu’ils s’aimassent déjà vivement. Elle résolut d’en parler à Elisabeth avant de quitter Longbourn, et de lui représenter l’imprudence qu’il y avait à encourager les assiduités de Wikam.
Indépendamment des agréments naturels que l’on se plaisait à reconnaître en Mr. Wikam, il avait encore d’autres moyens de plaire à Mistriss Gardiner, qui ayant habité assez longtemps le Derbyshire avant de se marier, avait des relations communes avec lui ; et quoiqu’il eût peu habité ce comté depuis la mort de Mr. Darcy, c’est-à-dire, depuis cinq ans, les nouvelles qu’il lui donnait de ses anciens amis, étaient cependant encore plus fraîches que celles qu’elle en avait.
Mistriss Gardiner avait vécu près de Pemberley, et avait beaucoup connu de réputation le père de Mr. Darcy, c’était donc pour eux un sujet de conversation inépuisable. Elle se plaisait à comparer le souvenir qu’elle avait conservé de Pemberley, avec la description détaillée que lui en faisait Wikam, ainsi qu’à payer son tribut d’éloges à son ancien maître. Apprenant de quelle manière il avait été traité par le nouveau Mr. Darcy, elle chercha à se rappeler quelques traits du caractère qu’on lui reconnaissait lorsqu’il était enfant, qui pût avoir rapport à celui qu’on lui reconnaissait maintenant. Enfin elle crut se souvenir qu’elle avait entendu dire que Fitz William Darcy était un petit garçon fier et méchant.