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Petit traité de versification française - Louis Marie Quicherat - 1882
Chapitre 13 : De l’Harmonie imitative.

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Quand la parole exprime un objet qui, comme elle, affecte l’oreille, elle peut imiter les sons par les sons, la vitesse par la vitesse et la lenteur par la lenteur, avec des nombres analogues. Des articulations molles, faciles et liantes, ou rudes, fermes et heurtées, des voyelles sonores, des voyelles muettes, des sons graves, des sons aigus, et un mélange de ces sons, plus lents ou plus rapides, forment des mots qui, en exprimant leur objet à l’oreille, en imitent le bruit ou le mouvement, ou l’un et l’autre à la fois, comme en français les mots hurlement, gazouiller, mugir, aboyer, miauler. C’est avec ces termes imitatifs que 

l’écrivain forme une succession de sons qui, par une ressemblance physique, imitent l’objet qu’ils expriment’.

On appelle OMoma~o~e un mot ou une suite de mots qui peignent ainsi la nature.

Dans tous les exemples que nous donnerons de l’harmonie imitative, on verra que les préceptes généraux sont presque constamment violés. Nous subdiviserons les divers procédés par lèsquels on produit cette imitation de la chose par le son, bien qu’ils se trouvent assez souvent réunis. § 1. HARMONIE IMITATIVE RÉSULTANT DU CHOIX DE CERTAINES LETTRES, DE CERTAINES SYLLABES. 1° Certaines lettres dures à prononcer, comme r, t, a ;, une suite de monosyllabes, pourront imiter un bruit qui affecte désagréablement l’oreille, ou exprimeront l’effort, ladifËcuIté. Des syllabes peu sonores imiteront un bruit sourd.

Boileau est peut-être l’auteur qui a su le mieux tirer de notre poésie les effets qu’elle avoue. Délivre les vaisseaux, des Syrtes les arrache. Quoi 1 dit-elle d’un ton qui fit trembler les vitres. Du lugubre instrunient’font crier ies’ressôrts ; De t’antre’Mdouté les soupiraux remirent ;.BoiL.. Tout le monde aadmiré-cethémistichë’de’R’acine L’essieu crie et se rompt..

Et ces deux vers du même poète

t. Marmontel. 

Indomptable taureau, dragon impétueux,

Sa croupe se recourbe en replis tortueux

L’harmonie imitative est encore sensible dans ces vers de la Henriade :

Tel que du haut d’un mont de frimas couronné, Au milieu des glaçons et des neiges fondues,

Tombe et roule un rocher qui menace les nues. VoLT. Dans de nombreux passages, l’auteur des Saisons, Saint-Lambert, prouve une connaissance approfondie de l’art de produire ces effets

Neptune a soulevé les plaines turbulentes ;

La mer tombe et bondit sur ses rives tremblantes ; Elle remonte, gronde, et ses coups redoublés

Font retentir l’abtme et les monts ébranlés.

La mer &ondtt.EMe remonte, gronde. Ces deux hémistiches ne font-ils pas entendre le bruit du flot qui heurte )e rivage, ou qui est refoulé vers la haute mer’ ?

Delille imite ainsi le bruit du canon

Et le bronze et l’airain tonnant dans les combats. Il rend par un vers heureux l’impression d’une saveur désagréable

D’un acide piquant aiguise encor l’aigreur.

2° L’emploi de la lettre s conviendra quand le poëte voudra exprimer un sifflement, un bruit aigre 1. Quand l’imitation demande de la rudesse dans les sons, nos bons poëtes savent appeler les consonnes à leur secours, et dire, pour dépeindre un monstre MtdontptoMe taureau, etc. (RACINE le fils.)

2. La Harpe. 

La Discorde, à l’aspect d’un calme qui l’offenso, Fait siffler ses serpents, s’excite à la vengeance. BOIL. Pour qui sont ces serpents quisifflent sur vos têtes ? RACH marchait d’un pas relevé,

Et faisait sonner sa sonnette. LA FONT.

3° Nous avons dit’ qu’il faut éviter des rimes mas lines et féminines présentantsuccessivementtamême consonnance. Mais si le poëtë parvient à imiter un bruit par cette uniformité de désinences, ce qui serait en général un défaut devient un mérite. On a loué ce passage de Racine

0 mont de Sinaï, conserve la mémoire, etc. Dis-nous pourquoi ces feux et ces éclairs,

Ces torrents de fumée et ce bruit dans les airs, Ces trompettes et ce tonnerre

Venait-il renverser l’ordre des éléments ? ’t

Sur ses antiques fondements

Venait-il ébranler la

4° La répétition consécutive de la même conson nance, que nous avons blâmée en parlant de l’harmonie en général, est quelquefois d’un heureux effet. Elle peint une action réitérée ; eUe montre un à un tous les détails d’un événement ou d’un portrait Français, Anglais, Lorrains, que la fureur assemble, Avançaient, combattaient, frappaient, mouraient ensemble. VOLT.

La Fontaine a dit, dans sa fable du Vieillard et l’Àne :

). Voyez ci-dessus, p. 75.

2. Dieu. 

Il y lâche sa bête ; et le grison se rue

Au travers de l’herbe menue,

Se vautrant, grattant et frottant,

Gambadant, chantant et broutant.

50 Quand on voudra peindre des objets riants, glacieux, on choisira des syllabes d’une prononciation coulante

Telle qu’une bergère, au plus beau jour de fête, De superbes rubis ne charge point sa tête,

Et, sans mêler à l’or l’éclat des diamants,

Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements. [BOILEAU.

Il donne aux fleurs leur aimable peinture ;

Il fait naltre et mûrir les fruits ;

H leur dispense avec mesure

Et la chaleur des jours et la fraîcheur des nuits ; Le champ qui les reçut les rend avec usure. RAC. Le poëte rapproche quelquefois dans le même cadre deux effets qui contrastent «

Fait des plus secs chardons des lauriers et des roses. BoiL. On remarquera avec quel art la douceur du second hémistiche est opposée à la dureté du premier. J’aime mieux un ruisseau qui sur la molle arène Dans un pré plein’de fleurs lentement.se promène, Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux, Roule plein de gravier sur un terrain fangeux. BOIL. Racine le fils, qui a écrit sur l’Harmonie imitative, a prouvé qu’il savait joindre l’exemple au précepte. On lit dans son poëme de la Religion 

La branche en,longs éclats cède au bras qui l’arrache ; Par le fer façonnée, elle allonge la hache.

L’homme, avec son secours, non sans un long effort, Ébranle et fait tomber l’arbre dont elle sort

Et, tandis qu’au fuseau la laine obéissante

Suit une main légère, une main plus pesante

Frappe,à. coups redoublés l’enclume qui gémit. La lime mort l’acier, et l’oreille en frémit.

Ces vers présentent aussi l’harmonie imitative du rhythme, dont nous parlerons bientôt.

~emar~MS. Cette analogie de l’harmonie avec l’idée est un besoin du style, et un mérite des grands écrivains. Il y a peu de goût à choisir une couleur repoussante pour représenter des objets gracieux, ou des tons brillants pour des objets hideux. La Harpe critique avec raison ce vers de’Fontenelle

De la voix.de Daphné que le doux son me touche ! t Un hémistiche aussi dur que doux son me touche, pour exprimer la douceur de la voix » 2. HARMONIE IMITATIVE RÉSULTANT DES HIATUS PERMIS ET DES ASPIRATIONS.

Nous avons vu’ que certaines rencontres effectives de voyelles, certains hiatus .réels, sont permis dans notre versification, comme aussi,l’h aspirée après une voyelle. S’D.estvrai quece conflit de voyelles a dans les cas ordinaires quelque chose de dur, il est également vrai que le poëte peut en tirer des ef !ets d’hart. Ci-dessus, p. 36 et suiv. monie imitative. Nous en trouvons un dans ces vers, déjà cités :

Gardez qu’une voye) !ë, à courir trop Mtée,

Ne soit qu’une voyelle en son chemin heurtée. BoiL. Voici des exemples anatogues

Là Xénophon dans l’air heurte contre un la Serre. BOIL. L’avocat au palais en hertsso son style. le.

L’essieu crie e< se rompt. HAC..

Des coursiers attentifs le crin s’est hérissé. ÏD. Après bien du travail’, le coche arrive au haut. LA FONT. Racine le fils signale avec raison une intention pareille dans ce vers de Boileau

Le chardon importun hérissa nos guérets.

§ 3. HARMONIE IMITATIVE RÉSULTANT DE LA CADENCE. On produit encore l’harmonie imitative par le choix des syllabes longues ou brèves, pesantes ou rapides, par la disposition des accents, la place d’un mot, l’emploi d’une inversion. 10 Pour peindre un mouvement prompt, une course agile, on choisit une cadence légère

Je m’en vais les pleurer. Va, cours, vole et me venge. [CORNEILLE

Sa servante Alison la rattrape et la suit. BOIL. Du passant qui le fuit semble suivre les yeux. Le chagrin monte en croupe, et galope avec lui. Tu me verras souvent, à te suivre empressé, Pour monter à cheval rappelant mon audace, Apprenti cavalier, galoper sur ta trace.

Marchez, courez, votez où l’honneur vous appelle. Où fuirai-je Y Elle vient, je la vois. je suis mort. In. 

Fais donner le signal, cours, ordonne et reviens. RAc. Va, cours ; mais crains encor d’y trouver Hermione. ID. Compagnons, apportez et le fer et les feux Venez, volez, montez sur ces murs orgueilleux. VoLT. Les torrents bondissants précipitent leur onde. DELILLE. 2° La lenteur, l’effort, la difficulté, le calme, l’ac cablement, seront rendus par des syllabes lourdes, pénibles, par des cadences graves, pesantes Quatre bœufs attelés, d’un pas tranquille et lent, Promenaient dans Paris le monarque indolent. BOIL. Les vers, dit la Harpe, marchent aussi lentement que les bœufs qui tiraient le char.

Le blé, pour se donner, sans peine ouvrant la terre, N’attendait pas qu’un bœuf. pressé de l’aiguillon, Traçât à pas tardifs un pénible sillon. BOIL.

On est contraint, dit Racine le fils, de prononcer ces vers avec peine et lenteur ; au lieu qu’on est emporté malgré soi dans une prononciation douce et rapide par celui-ci

Le moment où je parle est déjà loin de moi. BoiL. Ajoutons un exemple de la Fontaine

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé, Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un coche

Femmes, moines, vieillards, tout était descendu ; L’équipage suait, soufflait, était rendu.

On ne peut, dit la Harpe, prononcer ces mots 1. Une diligence. suait, soufflait, sans être presque essoufflé on n’imite pas mieux avec les sons. »

30 Les poètes rendent encore la nature en plaçant à là césure ou à la,rime un mot qu’ils veulent faire ressortir ; ou bien ils le mettent en saillie a l’aide d.’une. inversion

Ses murs, dont le sommet se dérobe la vue,

Sur la cime d’un roc s’allongent dans la nue. Bo !L. Le monosyllabe-roc, ainsi placé à l’hémistiche, forcé les yeux et l’attention du lecteur de s’arrêter sur l’emplacement qu’occupe cette tour.

Sur son épaule il charge une lourde cognée. BOIL. Substituez au premier hémistiche

Il met sur Mn épaule une lourde cognée.

vous n’avez plus d’image, ni par conséquent de poésie. Un riche abbé.

Oppressé fut d’une indigestion. VOLT.

Si,le poëte eût mis fût o~fMM, remarque la Harpe, l’effet du vers était perdu.

4° Le rapprochement des deux accents d’un hémistiche appelle l’attention sur un monosyllabe’ : J’aime mieux lesvoirmorts quecouverts d’infamie. CORN. Faites que Joas meure avant qu’il vous oublie. RAc. Le sang de vos rois crie, et n’est point écouté. ID. En mettant plus de deux accents dans un hémistiche, on peut faire ressortir chacun des mots qui le composent, et rendre l’action ou l’idée plus frappante en la subdivisant dans ses détails 

Soudain nous,entassons,.pour défenses nouvelles, Bancs ; tables, coffres, lits, et jusqu’aux escab.eltes. CoRN. Sa fierté l’abandonne it cedg.it.utt. BOIL. Et son corps entr’ouvert chancelle, éc~e et tombe. ID. Roi, prêtres, peuple, allons, pleins de reconnaissance, De Jacob avec Dieu confirmer l’alliance. RAC. Un soM/7 !e, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre. [LA FONT.

§ 4. HARMONIE IMITATIVE RÉSULTANT

DES GRANDS MOTS.

L’emploi des grands mots servira pour’ rendre.un bruit qui se prolonge, un objet, grandiose, .une. action qui se continue, une tongue,durée. :

Et l’orgue même en pousse un long gémissement. BoiL. Le superbe animal, agité de tourments,

Exhale sa douleur en longs mu~tsset ?M~s..lD. Ses longs mugissements font trembler le rivage. RAC. Je te plains de tomber dans ses mains redoutables, Ma fille. En achevant ces mots épouvantables, etc.. ID. Et ce n’est qu’en suivant un dangereux exemple Que nous.pouvons, comme eux, arriver jusqu’au temple De l’immortalité. Rouss.

§ 5. HARMONIE IMITATIVE RÉSULTANT DE’LA CÉSURE, DES COUPES ET SUSPENSIONS.

1° Un mot placé à la césure, et habilement détaché du reste de la phrase, peut faire image

L’onde approche, se brise, et vomit à nos yeux Parmi des flots d’écume un monstre furieux. RAC. L’effet disparaîtrait si ces mots, : l’onde op~roc~ se brise, formaient le second hémistiche. 

Le coursier, l’œi) éteint et l’oreille baissée,

Distillant lentement une sueur glacée,

Languit, chancelle, tombe, et se débat en vain. DmLLE. 2°Quoique, en général, une phrase se termine avec un vers, quelquefois un repos complet est placé à la césure, et le second hémistiche commence une idée nouvelle.

Cette coupe, assez rare, rend l’opposition plus sensible.

Pleurez ce sang, pleurez ou plutôt sans pâlir

Considérez l’honneur qui doit en rejaillir. RAC. Je prodiguai mon sang ; tout fit place à mes armes ; Je revins triomphant. Mais le sang et les larmes Ne me suffisaient pas pour mériter ses vœux. ID. La suspension de l’idée sur l’hémistiche exprime aussi la rapidité d’une action

Une église, un prélat m’engage en sa querelle 7 ! faut partir, j’y cours. Dissipe tes douleurs. BOIL. Tout s’empresse, tout part. La seule Iphigénie, Dans ce commun bonheur, pleure son ennemie. RAC. Il yvole, il est pris ce blé couvrait d’un lacs

Les menteurs et trattres appâts. LA FONT.

3° Une suspension, un repos dans l’un des deux hémistiches fixe l’esprit sur cette partie du vers ainsi isolée. Cette coupe est propre à peindre un objet physique suspendu, ou une chute soudaine, ou une action interrompue tout à coup, ou un fait consommé en un instant.

Coupes dans le premier hémistiche.

COUPE APRÈS DEUX SYLLABES.

Il est une autre voie et plus sûre et plus prompte, 

Que dans l’éternité j’aurais lieu de bénir,

La Mort ; et c’est de vous que je puis l’obtenir. CORN. Tout fuit, et sans s’armer d’un courage inutile, Dans le temple voisin chacun cherche un asile. RAC. J’entre. Le peuple fuit, le sacrifice cesse. !D. Henri vole à leur tête et monte le premier : Il monte, il a déjà, de ses mains triomphantes, Arboré de ses lis les enseignes flottantes. VOLT. COUPE APRES TROIS SYLLABES.

Il la suit, et tous deux, d’un cours précipité, De Paris à l’instant abordent la cité. BOIL.

Tu te souviens du jour qu’en Auiide assemblés, Nos vaisseaux par les vents semblaient être appelés ; Nous partions, et déjà par mille cris de joie, etc. RAC. Tout se tatt et moi seul, trop prompt à me troubler, J’avance des malheurs que je puis reculer. In. La fortune a, dit-on, des temples à Surate ; Allons là. Ce fut un de dire et s’embarquer. LA FONT. Les ligueurs devant lui demeurent pleins d’effroi ; Ils semblaient respecter leur vainqueur e~ leur roi Ils c~d<. Mais Mayenne à l’instant les ranime. VoLT. COOPE APRÈS QUATRE SYLLABES.

As-tu vu quelle joie a paru dans ses yeux f

Combien il est sorti satisfait de ma haine ? p

Que de mépris ! Ts. CORN.

Eh bien, allez ; sous lui fléchissez les genoux. BOIL. Que les peuples entiers dans te sang soient noyés Je veux qu’on dise un jour aux peuples effrayés .Il fut des Juifs RAC.

Si ma fille une fois met le pied en Aulide.

Elle est morte Calchas, qui l’attend en ces lieux. Fera taire nos pleurs, fera parler les dieux. !D. 

Coupes dans le second /tdmM~C/t6.

COUPE APRÈS LA HUITIÈME SYLLABE.

.Désarmé, je recule, et rentre ; alors Orphise,

De sa frayeur mortelle aucunement remise. CORN. L’Attique est votre bien. Je pars, et vais pour vous Réunir tous les vœux partagés entre nous. RAC. Et périssez du moins en roi, s’il faut périr. In. I ! prend à tous les mains ; il meurt, et les trois frères Trouvent un bien fort grand, mais fort mêlé d’affaires. [LA FONTAINE.

La Harpe citeavec étogete passage suivant deRoucher

Mais trop souvent la neige, arrachée à la cime, Roule en bloc bondissant, court d’abtme en aMme, Gronde comme un tonnerre, et grossissant toujours, .A traversles rochersfracassés de son cours,

Tombe dans les volcans, s’y brise, et des campagnes Remonte en brume épaisse au sommet des montagnes. COUPE APRÈS LA NEUVIÈME SYLLABE.

Pour m’en éclaircir donc, j’en demande ; et d’abord Un laquais effronté m’apporte un rouge-bord. BOIL. Cependant le prélat, l’oeil au ciel, la main nue, Bénit trois fois les noms, et trois fois les remue ; Il tourne le bonnet, l’enfant tire, et Brontin

Est le premier des noms qu’amène le destin. lo. Chacun peut à son choix disposer de son âme La vôtre était à vous, j’espérais : mais enfin

Vous l’avez pu donner sans me faire un larcin. RAc. Le ciel brille d’éetairs,s’cn et parmi nous Jette une sainte horreur qui nous rassure tous. Je l’ai trouvé couvert d’une affreuse poussière, 

Revêtu de lambeaux, tout p<~c ; mais son œit

Conservait sous la cendre encor le même orgueil. RAC. Poules, poulets, chapons, tout dormait. Le fermier, Laissant ouvert son poutaitter, etc. LA FONT.

Ce genre d’effet convient particulièrement dans les narrations etles descriptions

Tantôt un vaste amas d’effroyables nuages

S’élève, s’épaissit, se déchire, et soudain

La pluie à flots pressés s’échappe de son sein. DELILLE. COUPE APRÈS LA. DIXIÈME SYLLABE.

Ce soupir redouMé. N’achevez point altcz ; Je vous obéirai plus que vous ne voulez. CoRN. Et puis, quand le chasseur croit que son chien la pille, Elle lui dit adieu, prend sa M)Me, et rit

De l’homme qui, confus, des yeux en vain la suit. LA FONT. ’Vos tombeaux se rouvraient, c’en était fait ; Tarquin Rentrait, dès cette nuit, la vengeance à la main. VOLT. Les animaux ont fui, l’homme éperdu frissonne ; L’univers ébranlé s’épouvante. Le dieu

D’un bras étincelant dardant un traitde feu, etc. DELILLE. § 6. HARMONIE IMITATIVE RESULTANT DES ENJAMBEMENTS, DES REJETS.

L’enjambement reporte d’ans un, vers un ou plusieurs mots qui sont le complément’grammatical du vers précédent. Employé avec art, il est’une des ressources de l’harmonie imitative. On remarquera qu’il ne convient guère qu’a la poésie descriptive. ENJAMBEMENT’D’UNE SYU.ABE.

Viens, descends, arme-toi ; que ta foudre enflammée Frappe, écrase à nos yeux leur sacrilége armée. VOLT 

Quelquefois l’un d’entre eux, vaincu du poids des grains Qu’il traîne en haletant aux greniers souterrains, Tombe ; et tout épuisé de force et de constance, etc. [ROUCHEH.

Comme on le voit dans ces exemples, et comme on le verra dans les suivants, l’enjambement consiste dans un verbe ; il est ordinairement adouci par la conjonction et, qui le suit immédiatement.

ENJAMBEMENT DE DEUX SYLLABES.

Des chantres désormais la brigade timide

S’écarte, et du palais regagne )e chemin. BOIL. Le chanoine, surpris de la foudre mortelle,

Se dresse, et lève en vain une tête rebelle. la. Un flot au loin blanchit, s’allonge, s’enfle et gronde ; Soudain le mont liquide, élevé dans les airs, Retombe un noir limon bouillonne sur les mers. DELIL. Il marche, et près de lui le peuple entier des mers Bondit, et fait au loin jaillir les flots amers. ID. ENJAMBEMENT DE TROIS SYLLABES.

Horace, les voyant l’un de l’autre écartés,

Se retourne, et déjà les croit demi-domptés. CoRN. Quand Boirude, qui voit que le péril approche, Les arrête ; et, tirant un fusil de sa poche, etc. BOIL. Là-dessus, maître rat, plein de belle espérance, Approche de l’écaille, allonge un peu le cou, Se sent pris comme aux lacs ; car l’huttre tout d’un coup Se referme. Et voilà ce que fait l’ignorance. LA,FonT. Il n’estpersonne qui ne sentecombien cet enjambement se referme présente une vive image de la chose. Vers la source sacrée où le fleuve repose

Il arrive ; il s’arrête, et tout baigné de pleurs, etc. DEL. 

ENJAMBEMENT DE QUATRE SYLLABES.

L’aimable Bérénice entendrait de ma bouche

Qu’on l’abandonne 1 Ah t reine, et qui l’aurait pensé ? RAC. Le monstre, déployant ses ailes ténébreuses,

Vole au Cathay, s’abat sur ses villes nombreuses. RoucH. Remarque. Commenousl’avons dit, l’enjambement et le rejet frappent l’esprit, en détachant une portion du vers, qui ordinairement n’est point ainsi isolée. Dans certains genres qui admettent le mélange des mètres,’les poëtes produisent un effet analogue En rejetant un petit vers à la fin de la phrase. Nous par lerons plus bas de ce moyeu*.

CONCLUSION.

Nous avons insisté sur ces effets de l’harmonie imitative pour montrer que notre versification, qu’on accuse d’être timide, monotone, et qu’on a essayé, dans ces derniers temps, de dénaturer nar des licences exagérées, est, entre les mains des grands poëtes, hardie et variée, sans sortir toutefois des limites du goût. En français, comme dans les autres langues, la poésie ne produit l’harmonie imitative qu’en s’éloignant de ses habitudes. Elle n’a pascoutume de s’imposer le choix de telles lettres, de telles consonnances, de violer les règles de l’hiatus, de la césure ; de se permettre l’enjambement : quand elle le fait, son intention est d’autant plus frappante. Semblable aux autres arts.c’est par des procédés plus rares, c’est en 1. Page n~t. quelque sorte par des heurtements qu’elle ébranle d’une manière plus énergique.

Toutefois il ne faut pas abuser, de ces moyens : une recherche inconsidérée de l’harmonie imitative trahit l’affectation. Employés à propos, que les effets aient encore le mérite de ne rien présenter de forcé. Nous avons cité dans ce chapitre plusieurs exemples dignes d’éloge empruntés à Roucher ; mais la lecture de son poëme fatigue, parce qu’on y voit la perpétuelle contention d’un esprit qui court après les effets. Le génie trouve les beautés ; le faux goût les dénature en les outrant.


 

 

Publié le 15/09/2024 / 36 lectures
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