Repli & nouvel élan

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Le costume était installé dans le canapé où je l’avais laissé depuis son achat. Veste et pantalon noirs, chemise blanche, col classique, manchettes mousquetaires, un mois de salaire. Même pas sur mesure. « Généralement on prend une taille en dessous. La déshydratation, vous comprenez ? Mais vu votre cas, prenez plutôt deux tailles en dessous, vous ne risquez rien », m’avait dit le vendeur. Pas celui du costume, celui des boîtes. Parisienne ou coffre, chêne ou pin massifs. « Le noir ? C’est du merisier ». Tous capitons inclus. Tant mieux vu le prix. Le vendeur était un petit brun d’apparence inoffensive avec sa raie laquée protohitlérienne, dépourvu de moustache. Il était fait pour son boulot. Aucun tabou sur sa marchandise. Pour peu qu’on l'interrogeait, il déballait tout. Des bouchons en cotons qu’on insérait dans le rectum pour empêcher l’échappement de gaz aux 6 litres de formaldéhydes qui remplaceraient les globules rances. On ligaturait la bouche pour qu’elle ne s’ouvre plus, on plaçait des couvre-yeux pour éviter l’aspect de creux, on mettait du maquillage pour redonner un peu de vie au corps. Et tout ça, ça allait m’arriver. Pour autant, je n’allais pas me plaindre. Depuis le temps, c’était devenu factuel. Aujourd’hui debout, demain couché pendant qu’un petit homme en costume cintré insèrera des boules en coton dans mon cul. Il m’avait regardé dans les yeux en me le disant. Ça n’avait pas eu lieu que lui savait déjà comment ça allait se passer. Comment ça aurait dû se passer. 

Je m'étais séparé de tout ce que j’avais pour me payer ma nouvelle maison. Sur leboncoin ça avait ressemblé à la vente au détail d’une déchetterie. J’avais eu honte, mais j’étais rassuré, ça ne durerait plus très longtemps. On me prit quand même mes vinyles, quelques meubles, des bouquins jaunis, ma cafetière. Finalement, c’est surtout la voiture qui a payé pour le package dernier voyage. La crémation c’était moins cher, mais non. Au moins dans la mort j’aurais un carré de place comme les autres. Plus important après la vie que pendant. Ça serait ma petite victoire.

Puis vint le drame. Ce n’était pas censé arriver, on me l’avait assuré. Une chance sur dix mille qu’on m’avait dit. « Qu’est-ce que vous voulez que j’vous dise ? C’est des choses qui arrivent », m’avait aboyé l’infirmière rabougrie derrière le comptoir. Elle devait estimer le résultat à ma tête. Celle de la déception, de la capitulation. J’avais dû rester immobile trop longtemps devant sa vitre en plexiglas. Ça l’avait agacé. Sur le papier qu’elle m’avait remis, le verdict était sans appel. Rémission totale. La répétition ultérieure des tests ne donna pas plus d’espoir.

Adossé contre le crépi rêche de la sortie de l’hôpital, j’allumai la première cigarette du reste de ma vie. Je rentrais à pied pour économiser le bus. Je ne pouvais plus me le permettre. À mon retour, il était dans le canapé pour me le rappeler, trop petit pour moi. Et maintenant quoi ?


Publié le 25/08/2025 / 2 lectures
Commentaires
Publié le 25/08/2025
Bonjour Aurélien et bienvenue. Un texte sans tabou sur le sujet le plus sombre de notre existence et (presque) inéluctable, à quelques dépenses inconsidérées près. Plus que le ton pragmatique et froid, ce sont les détails documentés qui nous font écarquiller les yeux en nous disant que jusqu’au bout, rien n’est laissé au hasard pour booster les apparences. A plus tard.
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