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A rebours

De Joris-Karl Huysmans

Chroniqué par Léo
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Il était dans ma pile à lire depuis plus d’une décennie, entre référence incontournable de la littérature et recommandations multiples.

 

Et après l’indigence de "La femme de ménage", je me suis dit qu’il serait bon d’élever mon niveau de lecture. Et si comme je le disais dans ma chronique sur le bestseller de McFadden je m’étais étonné de n’avoir appris aucun nouveau mot sur des centaines de pages, je découvrais dans le premier paragraphe d’« À rebours » les mots soudard (qui ne m’était pas inconnu, mais que je ne resituais plus), reître et yatagan. Le dictionnaire n’allait plus me quitter tout le long de l’ouvrage.

 

Une œuvre de haute tenue littéraire, même si la misogynie assumée durant tout le long du livre m’a copieusement agacé, tout comme certains passages désobligeamment rétrograde, bien ancrée dans la mentalité du 19e siècle.

 

Le livre dresse le portrait de des Esseintes qui après avoir eu des années expansives et dissolues finit par s’isoler et se lancer dans une sorte d’énumération de ce qu’il aime et de ce qu’il n’aime pas qui ressemble presque à un inventaire avant liquidation, tant le récit est alimenté de névroses qui prennent de plus en plus de place, jusqu’à mettre en péril la santé de cet antihéros, à la fois fragile et féroce.

 

Féroce il l’est, implacable lorsqu’il s’agit d’Homère :

 

« Empruntée à la forge perfectionnée de Catulle, cette invariable métrique, sans fantaisie, sans pitié, bourrée de mots inutiles, de remplissages, de chevilles aux boucles identiques et prévues ; cette misère de l’épithète homérique revenant sans cesse, pour ne rien désigner, pour ne rien faire voir, tout cet indigent vocabulaire aux teintes insonores et plates, le suppliciaient. »

Ou d’Horace :

« Horace, pour le babillage de ce désespérant pataud qui minaude avec des gaudrioles plâtrées de vieux clown, était sans borne. »

 

Que ce soit au travers de la littérature, de la joaillerie, de l’alcool, des fleurs et des senteurs, Huysmans plonge avec minutie dans l’exploration des thématiques de façon presque intarissable. Si j’ai pensé à Honoré de Balzac (qu’il cite d’ailleurs) virtuose de la description, Huysmans n’étire pas, mais décompose, comme s’il démontait méticuleusement de l’horlogerie suisse, et s’en est fascinant.

 

Cette mise en marge de la société a quelque chose de condescendant vis-à-vis de ses semblables :

 

« Tel qu’un ermite, il était mûr pour l’isolement, harassé de la vie, n’attendant plus rien d’elle ; tel qu’un moine aussi, il était accablé d’une lassitude immense, d’un besoin de recueillement, d’un désir de ne plus avoir rien de commun avec les profanes qui étaient, pour lui, les utilitaires et les imbéciles. »

 

Condamnés à la corruption :

 

« il avait plongé dans les bas-fonds, espérant ravitailler ses désirs par le contraste, pensant stimuler ses sens assoupis par l’excitante malpropreté de la misère. »

 

 

Et à la violence :

 

« comme la douleur est un effet de l’éducation, comme elle s’élargit et s’acière à mesure que les idées naissent : plus on s’efforcera d’équarrir l’intelligence et d’affiner le système nerveux des pauvres diables, et plus on développera en eux les germes si furieusement vivaces de la souffrance morale et de la haine. »

 

Et si j’ai choisi ces passage c’est qu’il fait référence à un moment au profane qui s’oppose au sacré, qui occupe la majeure partie du livre, dans lequel la religion catholique le questionne et le trouble au plus haut point. Au point même que sa préface écrite 20 après se conclut par : « Après un tel livre, il ne reste plus à l’auteur qu’à choisir entre la bouche d’un pistolet ou les pieds de la croix. C’est fait. »

 

Mais il faut savoir que sur ces 20 ans, et juste après l’écriture d’« À rebours » Huysmans va explorer le satanisme avant de se convertir au catholicisme, et il est intéressant de lire dans « À rebours » l’expression même de ce doute et de cette dualité face à la croyance :

 

« Mais, il avait beau invoquer toutes ces raisons, il ne parvenait pas complètement à se convaincre. Certes, en se résumant, il persistait à considérer la religion ainsi qu’une superbe légende, qu’une magnifique imposture, et cependant, en dépit de toutes ces explications, son scepticisme commençait à s’entamer. »

 

Ou encore :

 

« il se trouvait dans un état d’âme indescriptible. Il croyait pendant une seconde, allait d’instinct à la religion, puis au moindre raisonnement son attirance vers la foi s’évaporait ; mais il restait, malgré tout, plein de trouble. »

 

Et de façon plus formelle :

 

« En face d’un Dieu omnipotent, se dressait maintenant un rival plein de force, le Démon »

 

Un chaos intérieur tout le long du livre qui ne laisse pas indifférent.

 

À la question : faut-il que je vous en recommande la lecture ? je suis très partagé, car cette solitude engendre l’ennui, et c’est ce qui est que trop bien rendu… à lire l’ennui comme rarement on l’a aussi bien écrit, on s’ennuie sacrément. Et le fait qu’il n’y ait aucune structuration spécifique dans les états d’âme de Huysmans, en fait une œuvre sacrément brouillonne et vaporeuse, comme l’est ce brillant passage sur le voyage à Londres.

 

C’est (vraiment) brillant littérairement, mais c’est la fois plat. Puissant et banal. Vif et terriblement long. Je me serais bien passé de cette lecture, mais maintenant que je l’ai lu je me dis qu’il était absolument nécessaire de l’avoir comme référence littéraire (ouvrage comme auteur). Je ne suis pas prêt de relire du Huysmans et à la fois une curiosité m’anime : qu’a bien pu faire basculer Huysmans du doute le plus sordide à la foi la plus pure ?

 

Et je crois que la réponse doit probablement se trouver dans les cinq romans qui suivent pour comprendre cette métamorphose de plume et d’âme, d’humain. En proie à ses questionnements existentiels, je crois que son œuvre est un chemin de croix, et que le lecteur souffre tout autant… suis-je donc masochiste à ce point pour relire du Huysmans ?

 

Le grand Victor Hugo écrivait : « De souffrance en souffrance, il arriva peu à peu à cette conviction que la vie était une guerre. ». Engagez-vous qu’ils disaient…

 

Et si vous souhaitez le lire, il est disponible gratuitement dans la bibliothèque du peuple des mots.


Publié le 26/04/2025
Commentaires
Publié le 26/04/2025
Un auteur qui imagine "cette misère de l’épithète" ne peut pas être complètement perdu. ;-)
Publié le 05/05/2025
Merci pour trait d’esprit qui m’a fait sourire.
Publié le 29/04/2025
Tant de livres dits ''références'' à lire pour s'en faire une opinion. Et si peu de temps. Sans compter la déliquescence des ''référents''...merci d'avoir fait le boulot.
Publié le 05/05/2025
Tu as raison, référent résonne différemment selon chacune et chacun d’entre nous. Et ce qui l’est pour les uns ne l’est pas forcément pour les autres.
Publié le 05/05/2025
J'ai étudié ce livre qui, d'un point de vue littéraire, est effectivement très intéressant. Quant à l'histoire elle peut ennuyer le lecteur car il ne se passe pas grand chose de trépidant. En revanche elle pose beaucoup de questions sur le rapport entre l'être social et l'être marginalisé, sur le rapport du personnage à l'art, qui amènent une réflexion riche. Cette richesse est relevée par ce côté "à rebours" de Des Esseintes qui est à contre sens de la vie autour de lui, ce qui conduit à la question suivante : Est-ce pertinent d'être à rebours ? L'œuvre donne matière à réfléchir mais je peux comprendre que le lecteur se lasse, et soit dérangé par la pensée du XIXe siècle bien qu'elle soit utile pour nous rappeler comment nous avons évolué, notamment au sujet des femmes (et de passer d'une mentalité à une autre à de quoi muscler le cerveau, et j'adore cela pour ma part).
Publié le 05/05/2025
Merci Lucie pour ton retour très intéressant. Je ne l’avais pas souligné dans ma chronique mais c’est vrai que l’art tient une part primordiale dans le livre.
Publié le 06/05/2025
Oui, puisque Des Esseintes est un esthète, et je dirai même un curieux esthète...
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