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        Dans les années 70, à l’époque où les GPS n’existaient pas, toute la famille, pour les vacances d’été, se rendait au Luxembourg. Mon frère et moi étions trop petits pour lire une carte Michelin trop compliquée à replier dans ses plis pour mes parents. Au début du voyage, on suivrait les panneaux routiers, ensuite on aviserait. Quand, après le dernier indicateur public utile, on se retrouvait infailliblement égarés, maman finissait par dire « Louis, ralentissez ! On va trouver quelqu’un pour nous renseigner. » Maintenant que j’y pense, il n’y avait aucune raison pour ma mère de vouvoyer mon père puisqu’elle ne le vouvoyait que lorsqu’elle était fâchée et là, pour une fois, il n’avait commis aucune bêtise, pas le moindre prétexte pour le disputer. Mais nous étions perdus, il conduisait, alors sans doute, quelque part dans l’esprit de maman, ça suffisait. Sans discuter, papa levait le pied jusqu’à ce que soit ciblé qui que ce soit ayant suffisamment une tête de bonne pomme pour aider notre petite famille désorientée. Une fois la personne parfaite localisée — et ça pouvait parfois durer longtemps avant de la repérer — maman, passagère, ouvrait sa vitre et l’interpelait, avec un souci extrême de la syntaxe et de la courtoisie. « Bonjour, madame » — c’était toujours une dame, car mes parents avaient compris que, statistiquement, il y avait plus de bonnes pommes parmi les dames que chez les messieurs — « Bonjour, madame, je vous prie de m’excuser. Nous nous sommes perdus. Nous ne sommes pas de la région. Nous cherchons la piscine de Vianden. Auriez-vous l’extrême amabilité de nous expliquer comment nous y rendre ? » Durant la réponse, variablement limpide, mon frère et moi on faisait les cons derrière mon père qui en remettait une couche, nous faisant des grimaces, moquant le sérieux de maman. Bref, personne n’écoutait les explications sauf notre chère mère qui les écoutait sans forcément les comprendre. Toutefois polie comme elle l’était, elle ne se serait jamais permis d’interrompre son interlocutrice. De toute façon, elle était sûre que ce qui lui aurait échappé, l’un de nous l’aurait rattrapé. Alors, au terme des explications, après son « Merci beaucoup, Madame. Merci infiniment ! » suivi de son « Bonne journée ! », il n’était pas rare que, ne sachant toujours pas nous orienter, nous errions au hasard — et ça pouvait parfois durer longtemps avant de nous repérer — espérant je ne sais quel miracle.


       C’est ce qui s’était produit en ce début de soirée-là. Nous tournions en vain depuis une heure au moins sans plus croiser qui que ce soit, ni quoi ce soit. On se pensait seuls au monde dans le Grand Duché de Luxembourg quand de loin, on a vu une voiture venir en notre direction. C’est alors que ma mère a eu son idée de génie : elle s’est écriée « Suivez-la, Louis. Elle va sûrement quelque part… » Mon père n’était pas du genre à remettre en question la logique de Marcelle, quand même assez discutable, et nous voilà dans notre Lada 1200 break aux trousses d’une NSU bleue. Le gaillard devant nous roule de plus en plus vite. Papa s’accroche. La Lada frémit. La NSU accélère encore. Je pense que son conducteur se croit suivi. On persiste. Finalement, la petite voiture bleue freine à bloc, s’engouffre à toute blinde dans un garage dont la porte se referme en un clin d’œil. Clairement, le type devant nous a paniqué. Il s’est cru filé. Peut-être nous avait-il pris pour des affreux du KGB. On en fût pour nos frais, encore un peu plus perdus au milieu de nul part. Cependant maman n’avait pas eu complètement tort. Cette auto en effet allait bien quelque part.


Publié le 05/03/2024 / 13 lectures
Commentaires
Publié le 07/03/2024
C’est un délice que de se remémorer une époque révolue qui reposait essentiellement sur l’interaction avec les autres. Ce qui fait la singularité de tes meilleurs textes, ce sont ces détails universels fournis qui permettent à tous les auteurs de rallier le texte. La manivelle pour baisser la vitre d’une voiture serait pareille à la madeleine de Proust (en moins agréable hein). Et puis c’est un texte qui confine à la limite de l’absurde qui m’a beaucoup fait rire . Merci pour ce très agréable moment qui en fait pour moi un texte coup de cœur.
Publié le 07/03/2024
Merci beaucoup Léo ! J'ignore ce que peut faire un texte comme celui-là au lecteur car personnellement je revois et j'entends l'ambiance, les visages de ma mère, mon père et mon frère. Je parviendrai un jour à ce que ces impressions soit aussi concrètes dans l'esprit du lecteur que dans le mien. Mais peut-être déjà se les approprie-t-il et, à partir de son propre vécu, m'en dépossède. C'est ce que je souhaite. ;-)
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