Je savais qu’Ana était en couple, elle me l’avait fait comprendre. Elle avait également sous-entendu qu’elle aimait son compagnon, mais ses yeux disaient le contraire. Alors, bien qu’elle ne m’ait rien promis ou laissé espérer, son « fais attention à toi », le vendredi après le travail, avait suffi pour que j’y croie et que je tombe amoureux comme à dix-huit ans, aussi fort ! Que je me sente vivre comme à dix-huit ans, aussi fort ! Je sortais d’un tombeau. J’émergeais. Ma bouche grande ouverte aspirait avec avidité un air frais inespéré. J’étais prêt à renaître pour vivre enfin ! J’avais trente-six ans quand la lumière s’est allumée, quando si è accesa la luce. Je n’ai pas eu envie de résister. Le samedi 3 juillet, j’ai offert à mon épouse un bouquet de marguerites, un peu plus tard, je lui ai annoncé que je la quittais. Il n’y a aucune relation à chercher entre les deux événements, aucun lien, car les fleurs, je les avais achetées sur un coup de tête, comme ça, juste pour faire plaisir, sans plus réfléchir, alors que mon départ, lui, se préparait depuis très longtemps, depuis le tout début, depuis avant même.
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur mon épouse, certaines gentilles, d’autres moins, alors autant ne rien dire du tout sinon qu'elle et moi, depuis longtemps, nous dissolvions dans l’océan des toxiques. Sous la pression croissante, l'écrasement s’accentuait. Notre descente à la verticale s’était amorcée depuis avant même notre conjonction, cet assemblage qui n’avait fait qu’augmenter la vitesse de notre chute à cause de l’addition de nos masses.
Le problème, ce n’était pas Lili ni moi non plus d’ailleurs, mais toute cette eau qui nous entourait, nous imprégnait et, par osmose, nous transformait en êtres transparents, lisses et lourds. Lili et moi nous en étions accommodés, mais pour ma part, ma rencontre avec Ana m’avait comme… dégoupillé. L’explosion avait libéré tant d'énergie que je m’étais retrouvé projeté vers la surface, vers la lumière, vers l’oxygène, vers le vaste monde. Lili, elle, peut-être un peu à cause de l’ivresse des profondeurs, mais surtout à cause du savoir-faire des araignées, de la vraisemblance des toxiques et de la voracité des cannibales industrieux, Lili, elle, a gardé le cap, tout droit vers le fond, la route directe vers l’épaisse, palpable croûte terrestre.