C’était un ancien cinéma de style paquebot. J’ai poussé l’une des six portes d’entrée vitrées. Derrière elle, le hall d’entrée m’apparut spécialement spacieux, haut de plafond, mais ce qui frappait surtout, c’était sa décoration surabondante ruisselant d’étoffes brillantes, de couleurs criardes et d’accessoires érotiques parfois gigantesques. Il y avait là un décorum si excessivement excessif qu’il serait passé partout ailleurs pour une impardonnable faute de goût, mais apparaissait ici comme une extravagance innocente, une maladresse si disgracieuse qu’elle en était bouleversante. En outre, les portes qui claquaient, les pas qui résonnaient et les rires qui éclataient donnaient l’impression qu’on se trouvait, sans qu’on pût voir les comédiens, au milieu d’un vaudeville donné dans une cathédrale baroque au centre de laquelle, les guichets composant l’ornement monumental sans quoi il aurait manqué quelque chose avaient la forme d’un phallus, une gigantesque bite montant presque jusqu’au plafond. L’énorme teub, dont le gland à plus de trois mètres d’altitude jetait des éclairs de lumière tout autour, abritait aussi deux personnages, une blonde balèze et une coupe mulet violette qui conversaient là plaisamment juste sous le prépuce comme si de rien n’était. La première, remarquant mon arrivée, me fit signe d’approcher tout en criant à sa voisine « C’est lui, ma chérie ! Je suis sûre que c’est lui ! ». Sa perruque blonde survolumineuse, son torse velu, ses paupières arc-en-ciel, ses cils extraordinairement longs, ses lèvres furieusement pulpeuses et ses grosses mains de camionneur me firent immédiatement très grande impression. Le remarquant, elle surenchérit : « N’ai pas peur, mon lapin, on ne va pas te manger. » Comme, indécis, j’avançais, la sonnerie des cinq minutes retentit, rappelant aux traînards l’imminence du spectacle et à la grande blonde qu’il fallait qu’elle me secoue. Dans l’urgence, à cause de l’étroitesse de son officine et de l’ampleur de son propre gabarit, elle sortit en marche-arrière avant d’exécuter devant moi qui venait de la rejoindre un dangereux quart de tour sur des escarpins inaptes à supporter une telle charge. « Tu es Patrice, n’est-ce pas ? Moi, c’est Peggy » et elle m’attrapa comme un déménageur empoignerait un frigidaire appuyant ensuite fortement sur ma peau des baisers qu'elle m'offrait en toute prodigalité. Une fois les tags rouges apposés sur mon front et mes joues, elle me reposa au sol pour apprécier le résultat. « Pas mal ! Allez, tiens-toi droit et prends mon bras, que je t’installe. Zara m’a parlé de toi. » La coupe mulet nous ouvrit un velours moutarde au fond du hall et la salle se révéla.
C’était un cabaret comme on imagine les cabarets. Un bar derrière, devant une scène et entre les deux, des tables rondes et des chaises confortables supportant des messieurs et des dames en beaux habits sirotant leur boisson en attendant que les rideaux rouges s’ouvrent et qu’enfin la soirée commence.