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Ismahane, mon amour
Chapitre 1 et 2

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Ce texte participe à l'activité : 7 jours pour tout changer

Chapitre 1.

 

 

 

Quand elle alla voir son médecin de famille, elle n’avait en tête que la cinquantaine qu’elle venait d’atteindre - et il faut le dire, une très belle cinquantaine. Elle s’était dit, que cette fois-ci, elle allait s’offrir un bilan complet de santé et une exploration minutieuse de l’anus à l’œsophage. Il y a un âge où il faut dire les choses crûment et cela n’avait jamais posé de problème pour elle. Elle était combative, insolente et forte. Et elle jouissait d’une excellente santé.

  • Doc, lui dit-elle, je veux repartir de chez vous avec de nouveau la trentaine. J’ai des tas de choses à faire et pas mal d’hommes à aimer.

Elle aimait l’amour, les histoires rocambolesques, les remous inhérents à leurs déploiements, leurs naissances, leurs acmés et invariablement leurs chutes hautes en couleurs. 

Elle avait un très beau visage moucheté, une éclatante carnation de rousse, de petits yeux verts expressifs et pétillants, une bouche pulpeuse et un sourire lumineux. Et elle savait surtout onduler son corps harmonieusement, que cela soit pour se mouvoir ou pour danser. Et les hommes tombaient et elle en riait et elle en jouait en les regardant droit dans les yeux, en y ajoutant du propos léger, saisissant et séducteur.

À dix-neuf ans, elle épousa un jeune médecin, beau comme un dieu qui l’aima tout de suite, bien qu’il fût encore à la fac, qu’il entamât sa spécialité et qu’il fût l’étudiant le plus rigoureux du monde.

 

  • Je suis fou de toi, lui disait-il. Mais je dois réserver les trois-quarts de mon temps aux études. Alors sois patiente.

 

Et elle ne le fut pas, divorça au bout de quinze mois, en épousa un autre, pour retourner vers le premier trois ans plus tard. Deuxième divorce, des amours multiples, un troisième mariage et toujours pas de grand bonheur, disait-elle.

Il lui fallait de l’amour, du rocambolesque poussé, des montées et des descentes et souvent au moins deux hommes prêts à en démordre pour elle, tragiquement. De l’acmé, comme en narration.

 

  • Ismahane, j’ai bien peur de vous annoncer une nouvelle peu réjouissante, lui dit son médecin.

 

  • Qui vous concerne ?

 

  • Non.

 

  • Qui alors ?

 

  • Vous avez une petite tumeur au sein gauche.

 

  • C’est impossible, lui dit-elle. Mon bilan de santé est excellent. Vous me l’aviez dit vous-même.

 

  • Le bilan est bon, mais la mammo est sans appel. Nous allons mettre sur pied un protocole. Le cancer ne tue plus.

 

Elle le fusilla du regard et quitta le cabinet en claquant violemment la porte.

 

 

 

 

 

Chapitre 2. 

 

 

En sortant du cabinet de son médecin, elle ne trouva pas sa voiture, erra vainement au gré du parking et choisit d’appeler un taxi. Elle ne l’admettait pas rationnellement, mais elle se sentait perdue sur ses jambes qui subitement avaient changé de matière. Elles étaient en coton désormais et totalement flageolantes.

Elle venait de perdre sa mère après des années de démence et d’alitement. Son premier mari - qui resta cloué sur une chaise roulante une quinzaine d’années, avec des pics suicidaires lourds - tira sa révérence juste après. Son second mari errait sur la plage avec un boulet dépression des plus difficiles à contrer. Il frisait la schizophrénie et hurlait comme un forcené à la moindre approche familiale ou amicale. 

Si elle s’occupa du mieux qu’elle pouvait des deux premiers, avec celui-ci, elle ne fit rien : trop borderline et sa capacité à dominer tout le monde pouvait prendre un coup sur la tête.

Elle savait et aimait jouer les premiers rôles. Si elle détruisait ses ex, elle s’en occupait une fois en loques et s’en enorgueillissait auprès de ses proches.

 

  • Je ne lâche pas les miens, moi ! Après tout, on s’était aimé !

 

En arrivant chez elle, elle avait l’esprit tellement confus qu’elle oublia le programme qu’elle s’était concoctée pour le reste de la journée.

 

  • Qu’avais-je prévu déjà ? se disait-elle en boucle.

 

Quand le téléphone sonna, son amoureux du moment lui demanda si leur rendez-vous tenait toujours et elle dit oui machinalement. Il se présenta quelques trente minutes après et elle se dit qu’il devait rôder dans les parages. 

 

  • Alors, des sushis, des fromages, une bonne bouteille fraîche et de la tarte aux pommes ! On s’aime d’abord ou on se sustente ? lui dit-il en l’enlaçant fébrilement.
  • Viens, lui dit-elle. Aimons-nous comme des malades.

 

Et ils s’aimèrent comme des quinquas désireux de ne pas perdre une miette de vie. Elle savait gommer ce qui faisait barrage à l’épanouissement du corps, qu’il soit vrai ou feint. En son for intérieur, dans sa déroute du matin, dans le tumulte de ses voix intérieures, elle consentit à admettre que son médecin était un incompétent et qu’il fallait le changer par un plus averti. Cela la libéra d’une angoisse qui lui serrait la poitrine et lui obscurcissait le cerveau. Ce qui lui permit de s’adonner à sa passion de toujours : l’amour des corps et l’ensorcellement de l’autre. 

 

  • Quelle fougue ! lui dit-il. Comment fais-tu ?

 

  • J’aime aimer, j’aime l’amour.

 

  • Mais entre nous, c’est physique. C’était notre accord.

 

  • Et c’est de la performance. L’amour de la performance !

 

  • Tu es exceptionnelle, aujourd’hui.

 

C’était la phrase de trop.

 

  • J’ai laissé ma voiture dans un parking pas très loin d’ici. Pourrais-tu aller me la chercher ? lui demanda-t-elle, d’une voix à peine audible. 

 

Il la regarda surpris par un quelque chose d’inexpliqué dans sa voix qui survint subitement.

 

  • J’irai, mais mangeons d’abord. Et aimons-nous de nouveau, lui proposa-t-il.

 

  • Je n’ai pas très envie de manger, lui dit-elle, avec une grande lassitude.

 

  • Qu’est-ce qui ne va pas ? Je n’ai pas été à la hauteur de tes attentes. 

 

Peut-être, suis-je arrivée à l’heure du départ … À l’heure du chantage ontologique ? se dit-elle, au fin fond d’elle-même. 

 

  • Mange et viens. J’ai un autre scénario corporel à te proposer, lui dit-elle, en raffermissant sa voix et en dessinant sur ses lèvres ce sourire charmeur de sa création qui mettait bon nombre d’hommes à ses pieds.

 

 

 

Publié le 18/07/2025 / 7 lectures
Commentaires
Publié le 18/07/2025
Oupss le chapitre 2 est posté dans un « autre livre ». Il faut ouvrir le mème projet et ajouter à la suite. Il est possible d’ajouter des chapitres de les supprimer et même d’en insérer.
Publié le 18/07/2025
Bonsoir Léo, je le ferai. Désolée ! Amitiés, Sam
Publié le 20/07/2025
Quoi d’autre que l’annonce de ce qui peut-être la mort pour vivre autrement et tout changer. Qui ne s’est jamais posé la question « s’il te restait 24h à vivre que ferais-tu ? Ton approche dans cet atelier d’écriture est vraiment très bien pensée et amène du coup une attention supplémentaire et une grande empathie du lecteur. Vraiment bien. Tu peux faire participer ton texte long au sein de l’atelier. Va sur la page de l’atelier, clique sur le bouton "sélectionner un texte » et choisit ce texte afin qu’il soit référencé dans l’atelier et que les autres participant puissent aussi lire ton histoire. Encore bravo Sam, un texte très émouvant.
Publié le 20/07/2025
Merci cher Léo, il m'importe de dire l'humain dans sa grandeur et dans sa fragilité et surtout dans ce qu'il décide pour lui-même. Je trouve que c'est précisément cela vivre : mettre du sien, avec rationalisme. Amitiés et merci de ton aide. Sam 🍀
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