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Chapitre 1.
Quand elle alla voir son médecin de famille, elle n’avait en tête que la cinquantaine qu’elle venait d’atteindre - et il faut le dire, une très belle cinquantaine. Elle s’était dit, que cette fois-ci, elle allait s’offrir un bilan complet de santé et une exploration minutieuse de l’anus à l’œsophage. Il y a un âge où il faut dire les choses crûment et cela n’avait jamais posé de problème pour elle. Elle était combative, insolente et forte. Et elle jouissait d’une excellente santé.
Elle aimait l’amour, les histoires rocambolesques, les remous inhérents à leurs déploiements, leurs naissances, leurs acmés et invariablement leurs chutes hautes en couleurs.
Elle avait un très beau visage moucheté, une éclatante carnation de rousse, de petits yeux verts expressifs et pétillants, une bouche pulpeuse et un sourire lumineux. Et elle savait surtout onduler son corps harmonieusement, que cela soit pour se mouvoir ou pour danser. Et les hommes tombaient et elle en riait et elle en jouait en les regardant droit dans les yeux, en y ajoutant du propos léger, saisissant et séducteur.
À dix-neuf ans, elle épousa un jeune médecin, beau comme un dieu qui l’aima tout de suite, bien qu’il fût encore à la fac, qu’il entamât sa spécialité et qu’il fût l’étudiant le plus rigoureux du monde.
Et elle ne le fut pas, divorça au bout de quinze mois, en épousa un autre, pour retourner vers le premier trois ans plus tard. Deuxième divorce, des amours multiples, un troisième mariage et toujours pas de grand bonheur, disait-elle.
Il lui fallait de l’amour, du rocambolesque poussé, des montées et des descentes et souvent au moins deux hommes prêts à en démordre pour elle, tragiquement. De l’acmé, comme en narration.
Elle le fusilla du regard et quitta le cabinet en claquant violemment la porte.
Chapitre 2.
En sortant du cabinet de son médecin, elle ne trouva pas sa voiture, erra vainement au gré du parking et choisit d’appeler un taxi. Elle ne l’admettait pas rationnellement, mais elle se sentait perdue sur ses jambes qui subitement avaient changé de matière. Elles étaient en coton désormais et totalement flageolantes.
Elle venait de perdre sa mère après des années de démence et d’alitement. Son premier mari - qui resta cloué sur une chaise roulante une quinzaine d’années, avec des pics suicidaires lourds - tira sa révérence juste après. Son second mari errait sur la plage avec un boulet dépression des plus difficiles à contrer. Il frisait la schizophrénie et hurlait comme un forcené à la moindre approche familiale ou amicale.
Si elle s’occupa du mieux qu’elle pouvait des deux premiers, avec celui-ci, elle ne fit rien : trop borderline et sa capacité à dominer tout le monde pouvait prendre un coup sur la tête.
Elle savait et aimait jouer les premiers rôles. Si elle détruisait ses ex, elle s’en occupait une fois en loques et s’en enorgueillissait auprès de ses proches.
En arrivant chez elle, elle avait l’esprit tellement confus qu’elle oublia le programme qu’elle s’était concoctée pour le reste de la journée.
Quand le téléphone sonna, son amoureux du moment lui demanda si leur rendez-vous tenait toujours et elle dit oui machinalement. Il se présenta quelques trente minutes après et elle se dit qu’il devait rôder dans les parages.
Et ils s’aimèrent comme des quinquas désireux de ne pas perdre une miette de vie. Elle savait gommer ce qui faisait barrage à l’épanouissement du corps, qu’il soit vrai ou feint. En son for intérieur, dans sa déroute du matin, dans le tumulte de ses voix intérieures, elle consentit à admettre que son médecin était un incompétent et qu’il fallait le changer par un plus averti. Cela la libéra d’une angoisse qui lui serrait la poitrine et lui obscurcissait le cerveau. Ce qui lui permit de s’adonner à sa passion de toujours : l’amour des corps et l’ensorcellement de l’autre.
C’était la phrase de trop.
Il la regarda surpris par un quelque chose d’inexpliqué dans sa voix qui survint subitement.
Peut-être, suis-je arrivée à l’heure du départ … À l’heure du chantage ontologique ? se dit-elle, au fin fond d’elle-même.