Je ne voudrais jamais me sentir seule, se dit-elle. Mes hommes n’en sauront rien. C’est moi avec moi-même.
Faire du plaisir la ligne directrice de sa vie est une addiction comme une autre. Et quand inopinément le mal s’invite, les choses se compliquent doublement.
Ismahane avait pris la résolution de n’en rien laisser paraître. Son corps était sa propriété et elle l’avait toujours géré comme bon lui semblait. Et puis, c’était une esthète pure et une jongleuse des airs du bonheur physique et elle se rendait compte qu’elle était frappée dans sa passion même. C’était soit déclarer sa mort lente soit continuer à vivre incognito sans s’exposer aux interprétations qui ne manqueront pas et à la disparition de tous.
Elle savait depuis sa maturité - assez précoce - que toutes les relations humaines étaient, par nature, basées sur le profit, consciemment ou inconsciemment, ouvertement ou secrètement et elle savait que l’amour était, dans le fond, l’amour de soi fondamentalement.
A la Olievenstein. Là-dessus, elle avait des convictions solidement ancrées.
- Nous ferons le nécessaire, dans la discrétion, dit-elle à son médecin. Tout le nécessaire. Mourir équivaudrait à ne pas pratiquer l’amour. Je ne me le souhaite pas. Et je ne voudrais surtout pas sentir le chimique. Là-dessus, je compte sur vous, trouvez-moi la solution.
Et ce fut le début d’une vie double, secrète, lourde et difficile. Mais elle tint bon. « Mourir a du bon, quelquefois, » disent certains. « Je ne vois pas en quoi, » se disait-elle. Mourir, c’était partir pour elle. C’est-à-dire, perdre l’unique possibilité d’être doté d’une conscience et de l’utiliser selon son choix. L’unique. Du moins, selon les lois physiques de la vie sur terre.
Cette chose qui débarqua dans sa vie sans crier gare commandait toutes ses pensées, les poussait dans toutes les directions, dans les moindres coins et recoins et elle alla jusqu’à convenir que s’il y avait variabilité de son être physique, cela voulait participer à un phénomène de transformation et de transfert vers une autre forme de vie où son corps serait le plaisir de moults espèces … Son esprit en feu s’essayait à toutes les théories et son corps, au retour chez elle, douché, astiqué, enduit de crème légère, aux senteurs océaniques, s’adonnait scrupuleusement à l’amour, à l’abandon, à ce qu’elle appelait depuis toujours : le temps hors temps du désir infini et de la petite mort passionnée.
Et les jours passaient et le temps se muait en temps et les odeurs lui donnaient des hauts le cœur et elle aimait violemment, mais la violence avait changé de teneur et laissait place à quelque chose de lent et de fantasque qui n’avait pas de nom.
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Serais-je en train de lâcher Le morceau ? Serais-je en train d’assister à ma future disparition ? Pourquoi l’amour a-t-il un goût autre ? Vais-je abandonner la partie à cause de cette mollesse qui m’ouvre les articulations ? Non, il me faudrait bien plus que cela pour accepter le gratuit. Je vais me battre jusqu’au sang, se répétait-elle. C’est exactement comme l’amour, participer fort et arriver au port des heureux et de la Grande plénitude.
À suivre