MARIE-GABRIELLE
Je sais ma retraite spirituelle manquée depuis que j’ai vu le sosie du jardinier dans Desesperate Housewives. Si vous n’aimez pas les séries, je pourrais qualifier mon voisin d’ « Apollon » : cet athlète court à pied chaque matin pour s’arrêter devant ma porte. Seigneur, qu’il lui soit agréable d’achever sa course en ma compagnie !
Si vous voulez fuir les tentations la prochaine fois, préférez une retraite chez les Sœurs Bénédictines et oubliez l’expérience cuisante des vacances vertes en basse saison dans un « Glamping ». S’il existe une clôture ici, assurément, elle n’est pas spirituelle !
Bien sûr, je ne m’attendais pas à ce que Benjamin saute par-dessus la palissade tout à l’heure. Vous imaginez peut-être que j’ai tout manigancé, car il a dû vous dresser de moi un portrait peu flatteur : nymphomane, persécutrice, maniaque, etc. J’imagine bien qu’il m’a noircie à plaisir !
Pourtant, c’est faux, je suis seulement une femme qui sait ce qu’elle veut, le désire et se donne les moyens de l’obtenir. Le SPA ne laisse pas d’être idéal pour dissoudre mes angoisses de l’année dans l’eau du bain : la preuve, j’en ai verrouillé l’entrée ! Enfin, j’évitai une provocation inutile après le footing de Benjamin, car m’avait déjà refusé mercredi un moment qui ne lui aurait rien coûté alors qu’il m’aurait fait beaucoup de bien… Dommage pour lui.
Pourtant, au début de son service ce matin, il vint au SPA, il courut même vers mon bain pour s’assurer de ma forme mais plutôt que d’y chercher le plaisir, il se tourna vers la colère : « Vous ne pouviez pas simplement me répondre quand je vous parlais depuis la porte ? » tempêta-il rageusement en agitant les bras.
Quelle remarque déplacée de sa part ! Elle me piqua au vif, car je suis intraitable concernant nos rôles respectifs. Je mérite le respect et j’ai trouvé détestable de devoir lui rappeler les évidences : que j’étais une cliente ; que j’avais payé pour me reposer, qu’il se trouvait ici pour travailler. Par conséquent, je n’avais aucun de compte à lui rendre sur les portes de son SPA surtout si je les trouvais déjà ouvertes à mon arrivée !
Soudain, Benjamin se confondit en excuses, bredouilla, ânonna : « En fait, je suis désolée de vous avoir contrariée, Madame Robinson, j’ai bien cru que vous faisiez un malaise quand je vous ai vue apparaître puis disparaître sous l’eau ».
- « Petit chaton, comme c’est mignon d’escalader une clôture seulement par inquiétude ! », pensai-je alors un sourire en coin. Il semblait sincère et je l’avais déjà entièrement pardonné ! Pourtant j’éclatai de rire dans le bain en méditant les effets imprévisibles de ma supercherie. De loin, ma paresse avait pu l’induire en erreur … je le regrettai, mais un je-ne-sais-quoi dans mon expression lui déplut alors.
« Écoutez Madame, il semblerait inquiétant qu’un malaise dans l’eau m’échappât car c’est mon métier ».
Ma remarque sembla l’agacer prodigieusement. À vrai dire, je me promis de ne plus lui sourire avec la mauvaise humeur qu’il m’inspirait !
Benjamin franchit la marche du ponton bien décidé à vérifier l’ensemble du SPA : « tant que j’y suis » : température, réglages, etc. Cependant, alors qu’il arriva à ma hauteur vers l’arrivée d’eau, son visage devint du plus beau rouge quand il constata que j’avais enlevé mon haut : je le vis porter les mains devant ses yeux. Tartuffe ou bien naïf ? Avouez qu’il faut être ingénu pour s’aveugler d’un maillot de bain posé sur un baquet ! Enfin, vous jugez que mon prétexte de décence inventé à la hâte pour défendre d’entrer s’avéra une précaution bien inutile!
À ce moment, Benjamin fit un faux mouvement, manqua la marche du ponton puis s’enfonça un pied dans la berge. Au départ, je le vis partir en arrière, céder et sa chute m’effraya tout à fait, mais quand il redressa la tête, j’aperçus que « le superviseur d’activités nautiques » se trouvait assis avec la marne jusqu’au cou. Je distinguai d’abord sa figure étonnée entre les longs rubans d’algues qui flottaient à la surface de l’eau ; il sembla hagard quelques instants sur les rives de l’étang puis remonta vigoureusement sur le ponton.
Je restai d’abord stupéfaite, mais devant un épisode plus amusant que dangereux, j’essayai de contenir ma gaieté face à sa mauvaise humeur. Cependant, lorsqu’une poule d’eau détala sous ses yeux, je vous avoue que je riais bien aux larmes.
-« Pour un amoureux de la nature, je crois que vous venez de trouver un nid, Benjamin ! », le raillai-je.
«-allez, c’est ça, riez… »
Je n’avais pas passé d’aussi bons moments avec mon mari depuis des années. J’aurais voulu remercier Benjamin d’avoir prouvé que le temps de l’insouciance existait encore quelque part. Quelle retraite rafraîchissante j’aurais accomplie, elle aura été plutôt surprenante, mais réussie !
Je contemplai à loisir « Monsieur parfaitement-professionnel-à-tout-prix » reprendre ses esprits en considérant les canards puis le vis ôter ses vêtements rageusement sur le sol.
Quelle inépuisable source de distraction que ce jeune homme ! Par ses jurons et ses gestes nerveux, on aurait dit Donald Duck.
« Sérieusement, Benjamin, vous êtes impayable ». J’essayai de le dérider pour lui partager ma récréation alors qu’il fulminait de son côté.
Ne lui trouvez-vous pas beaucoup d’excès ? Je trouve qu’il a l’art de transformer une occasion plaisante en affaire d’État.
Alors qu’il se dirigeait vers les douches en contemplant obstinément le sol, je décelai un sérieux inquiétant chez Benjamin. Sa figure sévère me fit l’effet d’un glaçon et m’incita à évacuer mon bain au plus vite.
Vite, j’abandonnai la paresse pour épouser la sobriété. Sans mot dire, je déposai les armes près de sa douche en gage de bonne volonté : gel, shampooing et drap de bain : je ne voulus pas le fâcher davantage. Pendant ce temps, vous vous doutez bien que je m’affairai à sortir de cette méchante histoire.
Je remettais ma queue de cheval en me regardant dans la vitre du vestiaire quand un nu artistique m’apparut à l’arrière-plan : Benjamin. Soudain, l’idée me vint de changer de coiffure. J’édifiai un chignon dont chaque mèche relevée isolait un peu plus cette jolie toile de fond. Je me hâtais à la coiffure, mais… lentement. Le reflet me captivait, je contemplais un chef-d’œuvre !
Quel charmant jeune homme ! Sa silhouette manifestait proportion, calme et confiance ; ses gestes harmonieux ajoutaient à l’éclat de sa personne. Quand il se hissa sur le ponton tout à l’heure, je remarquai déjà la puissance de ses bras, mais plus j’observai ses épaules plus je ressentais l’envie délicieuse de me pendre à son cou.
Cependant, même si Benjamin résistait à toute tentation explicite (c’est bien lui qui m’avait demandé de me montrer « explicite », vous souvenez-vous ?), je pariai qu’il ne s’obstinerait pas longtemps, car j’avais découvert son point faible : mes seins.
Après sa chute dans l’étang, je savais désormais qu’il les trouvait renversants !
Une réponse grognon parvint de sa douche : « Non merci, Madame, ça ira, je fais mes lessives moi-même ! ».
J’annexai directement sa cabine de douche en l’obligeant à croiser mon regard.
- « Pardon, Benjamin, au point où nous en sommes, auriez-vous l’amabilité de rattacher mon soutien-gorge s’il vous plaît ?
Cette offensive diplomatique rencontra le succès. L’agrafe rétive fut l’occasion d’une reddition sans condition.
Benjamin coupa l’eau, m’adressa un regard moqueur puis affecta de regarder le ciel comme pour chercher l’inspiration.
Sa voix devint soudainement plus grave : « Marie-Gabrielle je ne vous en veux pas du tout…
J’entendis un soupir énergique. Mes yeux se portèrent sur le drap de bain autour de ses hanches.
Il esquissa un sourire alors que ses yeux rasaient le sol, mais avec une hardiesse surprenante, il ouvrit la porte du vestiaire, puis m’invita à passer la marche en prenant garde à ma tête :
Je pourrais bien arrêter mon récit ici pourtant, je parie que vous voulez savoir si Benjamin est un bon amant…
Mon compagnon se montra plaisant et rieur. Alors que pendant le voyage, nous étions fortement chahutés par la houle, j’éprouvai toute la tendresse et la solidité de son amitié ; mon ami tint parole et malgré les assauts de la mer, je me reposai parfois sur lui ; il tomba une pluie fraîche de baisers pétillants. Son regard était limpide, les cordages de mon chignon cédèrent tous les uns après les autres alors que mes vrilles accrochaient ses boucles : nous accostâmes, ainsi noués. Lorsque nous débarquâmes, ma contenance semblait plus affermie que la sienne. J’avais le teint plus animé, l’œil plus étincelant qu’à notre départ. Je gardai de ce voyage l’odeur du bois vert dans mes cheveux mousseux.
À nouveau, Benjamin m’avait laissée passer la première. Je sortis donc du SPA pendant qu’il inventoriait les sous-bois : le lac, les pins, le ponton, la clôture, le stand de tir, le chemin, les ruches et les cabanes.
Après un instant d’égarement, son tempérament ombrageux lui revint comme une seconde nature. Il semblait à l’affût d’une menace et tout lui devenait à nouveau souci, chagrin, tourment.
AE. Myriam 2024
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