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L7PC 3 : Colère

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Ce texte participe à l'activité : Les 7 péchés capitaux

Mardi matin, j’ai cherché un groupe d’arbres robustes et faciles à grimper, en lisière de forêt quand j’ai rencontré des écailles profondes et sinueuses. Ces chênes dépourvus de mousse éviteront bien des glissades aux touristes.

Ce lieu deviendra le théâtre d’un « baptême de forêt » : loin des berges de l’étang, en marge d’un sentier de randonnée, la nature s’y montrera sous son meilleur jour : séduisante, profonde et mystérieuse. Les citadins seront ravis, tomberont amoureux de cette beauté sauvage, voudront l’épouser et la protéger.

Enfin, je rêve peut-être. Comme j’habite seul, j’ai rarement l’occasion de discuter ornithologie avec quelqu’un. Cependant, plus je lâche la bride à ma passion des oiseaux, plus les locaux s’amusent de ma marotte :

  •  Alors, Prof, as-tu levé une bécasse lors de « ta balade crépusculaire » ?
  •  En juin, les touristes Français ne sont pas arrivés sur le site, il n’y a que des Hollandais ! L’ornithologie en anglais, c’est impossible.

Rira bien qui rira le dernier. Qu’ils rient, les malheureux en ménage : ils passent des heures grises auprès d’une compagne indifférente. Pendant, ce temps-là, je suis un vieux gars satisfait. Bien sûr, l’été je vois de jolies filles qui se prennent en photo devant des arbres. Pourtant, elles ne m’attirent pas. Je trouve qu’elles perdent l’occasion de vivre parce qu’elles regardent sans voir, écoutent sans entendre, apprécient sans aimer. À vrai dire, elles se regardent bien trop pour contempler le monde autour d’elles.

 J’aimerais apprendre aux promeneurs à regarder la nature autrement, qu’ils voient comment l’éclat, la proportion et la symétrie se retrouvent dans chaque détail de la forêt. Bien sûr, comme dit le poète, je comprends que certaines femmes veuillent être dorées pour être adorées, mais je préférerais toujours l’or du soir à leurs artifices. Aucune magicienne surnaturelle ne m’arrachera à Walden pour m’établir à la ville. Peut-être seriez de ces citadins qui désespèrent de l’aube ?

  • Soyez matinal et régulier ; un matin tranquille à Walden vous apportera la sérénité que vous espérez.

 

Lundi, j’ai convié une vacancière à la sortie « les secrets matinaux des oiseaux plongeurs ». Si une femme seule choisit des vacances dans la forêt, je suppose qu’elle cultive une sensibilité pour la faune et la flore. Elle vient pour écouter « le chant du monde » paraît-il.

 J’ai rencontré une bergère poétique dont les attitudes étranges m’ont fait lever le sourcil : voilà un drôle d’oiseau ! Une belle femme déguisée comme une Holstein qui prend des pauses tarabiscotées devant les arbres ! Pourtant, jolie, propre sur elle, mignonne frimousse : si ce n’est pas une amoureuse des oiseaux, c’est du bois pour en faire ! Une visite avec les amateurs du club d’ornithologie devrait peut-être l’intéresser. Qu’elle ouvre les yeux et qu’elle nous rejoigne, elle s’intégrera dans le décor !

Aujourd’hui, son regard miroir ressemble à celui d’un oiseau de proie mais je suppose que lorsque ses yeux seront dessillés, elle pourra distinguer les charmes naturels et délaisser les siens. Un long nez et de grandes guiboles m’ont décidé à surnommer cette belle passante « l’avocette élégante ».   

La citadelle la plus sûre pour la préservation de la nature se trouve dans le cœur des hommes. Transformons-les en amoureux de la nature. Attendrissons les cœurs endurcis avec de mignons poussins et de tendres couvées : je propose mes jumelles ! À vous d’observer les pas des canetons, mais avec discrétion.

Malheureusement, nous dérangeons les endroits : artistes, promeneurs, tagueurs, architectes. Les hommes signaient, signent et signeront, ils aiment rendre leurs œuvres indélébiles et immortelles : « Caïus a édifié tel truc », « À machin la patrie reconnaissante », « À ma tendre *** ». Derrière chaque épitaphe austère on devine les questions enfantines des gaufrettes amusantes : « M’aimez-vous ? », « M’oublierez-vous ?» auxquels répondent les échos des promeneurs : « Toujours », « Encore ».

Cela étant, je confiai à l’Avocette : les hommes confondent les arbres vivants avec des stèles pour graver leurs cœurs. Pour aimer la nature, il faudrait vouloir s’effacer. Qui aimerait suffisamment la nature pour vouloir s’y fondre ?

  • Un homme comme moi.

Le mardi matin, je croise mon Avocette dans une tenue laide à faire fuir des flamants roses. Elle court derrière un godelureau après lequel elle soupire. Elle le poursuit tout en s’écriant : « Benjamin, Benjamin, les clefs ! ».  Le tableau de la parade nuptiale envoûte le promeneur, le cri de guerre de l’Avocette résonne dans les chemins creux : « Bennjamiiin ».

Évidemment, avec un cri pareil, l’Avocette veut se reproduire : c’est la saison de la reproduction, la nature nous appelle !

Le bécasseau de Madame semble musclé, un peu pataud, la foulée furtive. Il fuit l’Avocette hardie. Elle a rencontré un juvénile, car il n’a pas l’air de vouloir s’accoupler.

 

Le mercredi matin, j’ai observé mon Avocette assise en tailleur devant un amas de pierres qu’elle venait d’édifier dans un sentier au bord de l’étang : j’ai reconnu l’erreur classique de la citadine qui veut réaliser des photos « zen ». Je l’ai saluée puis je lui ai rappelé que déplacer les pierres perturbait l’équilibre du lieu.

Elle m’a reconnu de la veille (- ah, c’est vous, le garde forestier, l’homme avec les jumelles et le treillis !- ), mais quand j’ai annoncé que son tas de cailloux accélérait l’effondrement des berges, elle m’a considéré d’un air méprisant.  

  • « Ainsi, quelques cailloux qu’un étang borde causeraient un méchant éboulement !
  • « Si chaque promeneur vous imite, le résultat sera catastrophique ».
  • « J’aime la nature, mais je ramasse encore les cailloux qui me plaisent, me dit-elle, vous n’allez pas m’empêcher de circuler.

Tous les moyens sont bons. J’ai repéré sa croix de catholique. Alors j’ai dit :

  • Oui, mais vous portez une croix catholique, non ?

Je ne vois pas le rapport qu’elle dit la dame.

  • Bah, votre Pape, il a bien publié un papier sur la mère Nature en disant qu’il fallait la protéger !
  • Oui, je suppose.
  • Alors, vous devriez remettre les pierres où vous les avez trouvées si vous croyez à tout ça. Je dis cela par respect pour vous et votre religion.

Elle a haussé les épaules, a tourné les talons tout en laissant ses put**** de pierres en plein dans le sentier. 

Voilà une tentative de persuasion ratée qui a empiré la situation.

Depuis notre échange, on dirait que cette connas*** d’Avocette s’entête à empiler des cailloux partout sur le chemin de randonnée à chaque fois qu’elle médite, comme si elle s’amusait davantage depuis qu’elle savait que c’était nuisible !  

Alors, certes, l’avocette de la tronche en biais me méprise, car je ne lui ressemble pas. Je me moque de son mépris, car je ne suis pas un gars fier. Elle, c’est le genre de nana avec le nez en l’air, le menton en avant et méprisante avec ça ! Une conne qu’a plein de flou sur la goule. Cependant, je poursuis mon œuvre juste, celle de la prévention pour la vie sauvage.

Je suis donc revenu vers la trouble-fête alors qu’elle se rendait au SPA forestier : elle monopolise cet espace chaque jour, car le camping vient d’ouvrir, les citadins comme elle se font rares.

  • Madame Robinson, vous ne devriez pas laisser les portes du sauna ouvertes comme ça. Les lézards y entrent et pour eux, cet endroit que vous aimez tant leur est un piège mortel.
  • Les lézards lézardent et moi aussi. Regardez-moi bien, ai-je une tête à m’intéresser aux lézards ? Je fais ce que je veux quand je veux, personne ne m’interdit rien. Je vous en prie, laissez-moi !
  • Madame, je ne fais que mon travail : prévention, sensibilisation et répression. Si vous ne respectez pas les lieux, je vais en parler au directeur du camping où vous résidez.  
  • Casse-toi lui en parler, pauvre con ! s’écrie-t-elle animée d’une fureur imprévisible.
  • Mais Madame… c’est un simple rappel à l’obligation de respecter les lieux…  

Vous n’allez pas me croire, mais ce démon femelle m’a retourné une gifle en me menaçant d’autres coups si je la « poursuivais ».

- « N’allez plus marcher sur mes brisées ; je vous souffletterai à nouveau ».

Je suis allé au camping dire le mal que me coûte mon travail avec leur Avocette de malheur !

-Prof, qu’est-ce qui vous amène au camping ? me demande le directeur.

J’expose mon plan simplement :

  1. Retirer définitivement la liberté de circuler en périodes de reproduction d’espèces protégées (avril-juillet), 2. Fermer le SPA forestier pendant cette période, car il se situe à côté des berges où se reproduisent les oiseaux plongeurs.

Le directeur m’a demandé des explications avant d’affirmer :

  • « Enfin, Prof, le SPA forestier est l’atout de ce camping auprès des clients, soyez raisonnable, on ne peut pas revenir sur un accord signé !
  • L’immersion naturelle en forêt pourrait avantageusement remplacer le SPA sans dommage pour les espèces autochtones.
  •  « La grimpe d’arbre » ne suffira pas aux clients qui veulent du bien-être ! Quelles espèces mon SPA ferait-il souffrir ?
  • Des lézards et des Foulques Macroule !
  • Qu’est-ce que c’est ?
  • Des oiseaux plongeurs qui se reproduisent au début de l’été : ils ressemblent à des poules d’eau.
  • Quoi, Prof, vous venez m’ennuyer pour des poules !  s’agace le directeur en soupirant d’énervement.

Enfin, j’en viens à lui décrire sa mauvaise carne de résidente : ses mots, ses actes, sa gifle.

  • Prof, ça va être difficile de porter plainte pour coups et blessures à cause d’une simple gifle. Il n’y a ni preuve, ni témoin, ni impact sur votre visage, m’annonce le directeur compatissant.
  • La joue me brûle encore à cause de votre cliente et l’oreille me siffle, je m’exclame.
  • Vous exagérez, Prof ! De toutes façons, c’est connu, vous n’aimez personne à part les oiseaux… me reproche-t-il.  

Devant tant de mauvaise foi, j’ajoute l’argument destiné faire réagir le directeur :

  • Ouvrez les yeux ! Votre SPA forestier fume de partout ! Les résidents s’envoient en l’air, dérèglent les machines, se disputent, tombent des pontons et détruisent des nids de Foulque Macroule.

Le Directeur ouvre des yeux écarquillés.

  • Vous me dites que deux utilisateurs du SPA ont des rapports sexuels dans le sauna ?

Son effroi semble sélectif, il préfère s’inquiéter de son sauna plutôt que que des êtres vivants.  

  • Est-ce qu’il y a d’autres personnes avec les deux utilisateurs ? interroge le Directeur avec inquiétude.
  • Je l’ignore, mais rien que de penser qu’un couillon a détruit une portée de Foulque Macroule en tombant d’un ponton…

J’en viens à mon idée principale :

  • Monsieur Le Directeur, vous devez expulser l’Avocette du camping !
  • L’Avocette ?
  • Je veux dire Madame Robinson…
  • Qu’avez-vous après cette cliente ? Elle vit seule. Elle a bien précisé que son mari et ses enfants la rejoindraient dès lundi…
  • Elle vit seule ! C’est la meilleure ! C’est elle qui faisait la bête à deux dos avec son bécasseau Minute dans votre SPA forestier, le Benjamin.

Le directeur ouvre des yeux de chouette.

  • Benjamin ?!  Vous parlez de mon superviseur d’activités nautiques ?
  • Comme si je connaissais de nom ceux qui travaillent ici !

 

Évidemment, le directeur laissera sa cliente nuire à sa guise car il craindra pour la réputation de son camping.

Trouvez-vous cela juste de laisser une personne s'amuser à détruire l'environnement ?

Moi non.

Alors, il faudra bien s’occuper de cette nuisible qui menace ce paradis terrestre. « Avocette, gentille Avocette, Avocette je te plumerai… ».

 

AE. Myriam 2024

myriam.ae.ecriture[at]gmail.com


Publié le 16/07/2024 / 27 lectures
Commentaires
Publié le 16/07/2024
Ha ha ha ! C'est amusant ! Je me demande comme t'es venue l'idée. C'est tellement invraisemblable. C'est drôle. Il y a cette femme, cette emmerdeuse, qui te suit, qui nous suit, dans chacune de tes histoires. Il faudra aussi t'allonger sur un divan pour savoir qui elle est. Il est chouette ce texte. Et tu parviens à faire un truc difficile dans ce défi, amuser en parlant de morale. Je galère. Et puis pour chaque texte, tu dois tout recommencer. Moi, je me suis trouvé un fil conducteur. Pour la colère, ça risque d'être plus un handicape qu'une aide mais bon, jusque là, ça tient plus ou moins. ;-)
Publié le 16/07/2024
Je suis heureuse si tu as passé un bon moment. Je trouve que tu as raison, l'activité 7 péchés capitaux proposée par Léo est très difficile. Elle implique une participation semaine donc un certain rythme d'écriture. De plus, si c'est un feuilleton, il faut pouvoir épuiser le sujet ou bien trouver comment ordonner ses idées en restant amusant. Les colères du financeur (V.B) de H sont célèbres: H. est-il stipendié pour se mettre en colère par procuration? Es-tu gêné par le prochain épisode?
Publié le 16/07/2024
A partir de "Les colères du financeur (V.B) de H sont célèbres: H. est-il stipendié pour se mettre en colère par procuration?" Je ne comprends rien mais je ne suis pas gêné du tout. J'adore le monde féminin. ;-)
Publié le 17/07/2024
Ooops… je parlai du prochain épisode de ton feuilleton de l’été sur Valéry Cyril Hanouna. Je n’ai pas entendu parler de colère chez Valéry mais en revanche chez son patron Vincent Bolloré, j’avais cru entendre parler d’une colère noire. Je me demande donc si Vincent Bollore paye Valery Cyril pour se mettre en colère parce qu’il n’a pas l’air si coléreux que ça. Enfin, tu nous diras cela bientôt. A bientôt de te lire !
Publié le 17/07/2024
Je regrette l’absence de Jean-Luc Mercier depuis quelques mois car lui qui est un fervent amoureux de la nature et des oiseaux y aurait trouvé son compte, d’autant plus que l’on flirte avec la fable. Cette Avocette les cumulent, hâte de voir jusqu’où sa toute puissante détermination et respectueuse de pas grand chose la conduira. A suivre avec impatience.
Publié le 19/08/2024
Ah la la encore un bon moment passé en compagnie de tes personnages Myriam ! Chaque récit leur donne un peu plus de consistance et leur image physique est très présente. Bravo pour ce nouvel épisode, la progression de la colère est finement amenée. comme Le fils de Louis, j'apprécie beaucoup le côté un peu loufoque qui contrebalance la référence à la protection de la Nature. Une jolie comédie qui pourrait- très bien se décliner en une bande dessinée. Merci Myriam !
Publié le 19/08/2024
Merci à toi pour ta lecture Agathe! :-)
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