Mardi matin, j’ai cherché un groupe d’arbres robustes et faciles à grimper, en lisière de forêt quand j’ai rencontré des écailles profondes et sinueuses. Ces chênes dépourvus de mousse éviteront bien des glissades aux touristes.
Ce lieu deviendra le théâtre d’un « baptême de forêt » : loin des berges de l’étang, en marge d’un sentier de randonnée, la nature s’y montrera sous son meilleur jour : séduisante, profonde et mystérieuse. Les citadins seront ravis, tomberont amoureux de cette beauté sauvage, voudront l’épouser et la protéger.
Enfin, je rêve peut-être. Comme j’habite seul, j’ai rarement l’occasion de discuter ornithologie avec quelqu’un. Cependant, plus je lâche la bride à ma passion des oiseaux, plus les locaux s’amusent de ma marotte :
Rira bien qui rira le dernier. Qu’ils rient, les malheureux en ménage : ils passent des heures grises auprès d’une compagne indifférente. Pendant, ce temps-là, je suis un vieux gars satisfait. Bien sûr, l’été je vois de jolies filles qui se prennent en photo devant des arbres. Pourtant, elles ne m’attirent pas. Je trouve qu’elles perdent l’occasion de vivre parce qu’elles regardent sans voir, écoutent sans entendre, apprécient sans aimer. À vrai dire, elles se regardent bien trop pour contempler le monde autour d’elles.
J’aimerais apprendre aux promeneurs à regarder la nature autrement, qu’ils voient comment l’éclat, la proportion et la symétrie se retrouvent dans chaque détail de la forêt. Bien sûr, comme dit le poète, je comprends que certaines femmes veuillent être dorées pour être adorées, mais je préférerais toujours l’or du soir à leurs artifices. Aucune magicienne surnaturelle ne m’arrachera à Walden pour m’établir à la ville. Peut-être seriez de ces citadins qui désespèrent de l’aube ?
Lundi, j’ai convié une vacancière à la sortie « les secrets matinaux des oiseaux plongeurs ». Si une femme seule choisit des vacances dans la forêt, je suppose qu’elle cultive une sensibilité pour la faune et la flore. Elle vient pour écouter « le chant du monde » paraît-il.
J’ai rencontré une bergère poétique dont les attitudes étranges m’ont fait lever le sourcil : voilà un drôle d’oiseau ! Une belle femme déguisée comme une Holstein qui prend des pauses tarabiscotées devant les arbres ! Pourtant, jolie, propre sur elle, mignonne frimousse : si ce n’est pas une amoureuse des oiseaux, c’est du bois pour en faire ! Une visite avec les amateurs du club d’ornithologie devrait peut-être l’intéresser. Qu’elle ouvre les yeux et qu’elle nous rejoigne, elle s’intégrera dans le décor !
Aujourd’hui, son regard miroir ressemble à celui d’un oiseau de proie mais je suppose que lorsque ses yeux seront dessillés, elle pourra distinguer les charmes naturels et délaisser les siens. Un long nez et de grandes guiboles m’ont décidé à surnommer cette belle passante « l’avocette élégante ».
La citadelle la plus sûre pour la préservation de la nature se trouve dans le cœur des hommes. Transformons-les en amoureux de la nature. Attendrissons les cœurs endurcis avec de mignons poussins et de tendres couvées : je propose mes jumelles ! À vous d’observer les pas des canetons, mais avec discrétion.
Malheureusement, nous dérangeons les endroits : artistes, promeneurs, tagueurs, architectes. Les hommes signaient, signent et signeront, ils aiment rendre leurs œuvres indélébiles et immortelles : « Caïus a édifié tel truc », « À machin la patrie reconnaissante », « À ma tendre *** ». Derrière chaque épitaphe austère on devine les questions enfantines des gaufrettes amusantes : « M’aimez-vous ? », « M’oublierez-vous ?» auxquels répondent les échos des promeneurs : « Toujours », « Encore ».
Cela étant, je confiai à l’Avocette : les hommes confondent les arbres vivants avec des stèles pour graver leurs cœurs. Pour aimer la nature, il faudrait vouloir s’effacer. Qui aimerait suffisamment la nature pour vouloir s’y fondre ?
Le mardi matin, je croise mon Avocette dans une tenue laide à faire fuir des flamants roses. Elle court derrière un godelureau après lequel elle soupire. Elle le poursuit tout en s’écriant : « Benjamin, Benjamin, les clefs ! ». Le tableau de la parade nuptiale envoûte le promeneur, le cri de guerre de l’Avocette résonne dans les chemins creux : « Bennjamiiin ».
Évidemment, avec un cri pareil, l’Avocette veut se reproduire : c’est la saison de la reproduction, la nature nous appelle !
Le bécasseau de Madame semble musclé, un peu pataud, la foulée furtive. Il fuit l’Avocette hardie. Elle a rencontré un juvénile, car il n’a pas l’air de vouloir s’accoupler.
Le mercredi matin, j’ai observé mon Avocette assise en tailleur devant un amas de pierres qu’elle venait d’édifier dans un sentier au bord de l’étang : j’ai reconnu l’erreur classique de la citadine qui veut réaliser des photos « zen ». Je l’ai saluée puis je lui ai rappelé que déplacer les pierres perturbait l’équilibre du lieu.
Elle m’a reconnu de la veille (- ah, c’est vous, le garde forestier, l’homme avec les jumelles et le treillis !- ), mais quand j’ai annoncé que son tas de cailloux accélérait l’effondrement des berges, elle m’a considéré d’un air méprisant.
Tous les moyens sont bons. J’ai repéré sa croix de catholique. Alors j’ai dit :
Je ne vois pas le rapport qu’elle dit la dame.
Elle a haussé les épaules, a tourné les talons tout en laissant ses put**** de pierres en plein dans le sentier.
Voilà une tentative de persuasion ratée qui a empiré la situation.
Depuis notre échange, on dirait que cette connas*** d’Avocette s’entête à empiler des cailloux partout sur le chemin de randonnée à chaque fois qu’elle médite, comme si elle s’amusait davantage depuis qu’elle savait que c’était nuisible !
Alors, certes, l’avocette de la tronche en biais me méprise, car je ne lui ressemble pas. Je me moque de son mépris, car je ne suis pas un gars fier. Elle, c’est le genre de nana avec le nez en l’air, le menton en avant et méprisante avec ça ! Une conne qu’a plein de flou sur la goule. Cependant, je poursuis mon œuvre juste, celle de la prévention pour la vie sauvage.
Je suis donc revenu vers la trouble-fête alors qu’elle se rendait au SPA forestier : elle monopolise cet espace chaque jour, car le camping vient d’ouvrir, les citadins comme elle se font rares.
Vous n’allez pas me croire, mais ce démon femelle m’a retourné une gifle en me menaçant d’autres coups si je la « poursuivais ».
- « N’allez plus marcher sur mes brisées ; je vous souffletterai à nouveau ».
Je suis allé au camping dire le mal que me coûte mon travail avec leur Avocette de malheur !
-Prof, qu’est-ce qui vous amène au camping ? me demande le directeur.
J’expose mon plan simplement :
Le directeur m’a demandé des explications avant d’affirmer :
Enfin, j’en viens à lui décrire sa mauvaise carne de résidente : ses mots, ses actes, sa gifle.
Devant tant de mauvaise foi, j’ajoute l’argument destiné faire réagir le directeur :
Le Directeur ouvre des yeux écarquillés.
Son effroi semble sélectif, il préfère s’inquiéter de son sauna plutôt que que des êtres vivants.
J’en viens à mon idée principale :
Le directeur ouvre des yeux de chouette.
Évidemment, le directeur laissera sa cliente nuire à sa guise car il craindra pour la réputation de son camping.
Trouvez-vous cela juste de laisser une personne s'amuser à détruire l'environnement ?
Moi non.
Alors, il faudra bien s’occuper de cette nuisible qui menace ce paradis terrestre. « Avocette, gentille Avocette, Avocette je te plumerai… ».
AE. Myriam 2024
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