La bande à Paulo,

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La bande à Paulo

-Maman, je peux sortir ce soir ? Je peux aller jouer avec la bande ?

-Encore ? Tu te couches trop tard, Paulo.

-Ouais mais j’suis l’chef. Y vont m’attendre. Pis j’m’ennuie sans la bande.

-Ah ! si ton père était là, il…

-Justement, il n’est plus là. J’y vais.

Paulo sortit en claquant la porte. Son père… Ce fumier qui avait abandonné sa famille. Peux claquer l’gros salop. Rien à foutre de sa gueule de bâtard.

Le lac de Vassivière, c’était la liberté. Les feux de camp. Les bains de minuit. Les premiers joints. Les premières cuites. Les premières filles. Les premiers baisers. Les premières caresses. Le seul moment aussi sans ordinateurs, sans internet, sans Instagram, Twitter ou Facebook. La déconnection heureuse. En plus, y’aura Lola ce soir. Elle était chouette Lola. Et libre. Enfin ! elle avait rompu avec ce connard de Maxime. Style parisien branché. Du pognon, rien dans l’ciboulot !

Paulo a couru jusqu'au point de rencontre. Au bout d’un sentier, entre deux sites aménagés pour les touristes. S’enfoncer dans le bois. Tourner à gauche, puis à droite. Rejoindre les berges du lac mais par un chemin presque inaccessible. Connu d’eux seuls. Ceux de la bande à Paulo. La sienne. Il en était fier de sa bande. Les meilleurs. Gamins du coin. Vacances pas chères pour les parents. Connaissaient le lac par cœur. Ses moindres recoins, ses cachettes, ses secrets. Il est tombé sur la Ninnie, pestant contre les ronces.

-Ah ! t’es là Paulo. Aide-moi, suis accrochée.

Elle était mignonne la Ninnie. Elle en pinçait pour lui depuis longtemps. Trop bête, trop bête par rapport à Lola. Lola, elle avait de l’instruction. De l’allure.

Paulo l’aida à se dégager et ils rejoignirent « la cabane ». Celle qu’ils avaient construite, de leurs mains, avec des branches et une vieille barque retournée sur un long piquet, puis un auvent bâché. Un vieux tapis au sol, des caisses en bois avec provisions de bougies, d’allumettes, de chips et de saucisson. Des canettes de bières, toujours fraîches, plongées dans le lac à l’aide d’un panier à écrevisses. Ils étaient déjà là les potes. Le p’ tit Caillou qu’avait l’cheveu rare et le nez pointu. La grande Largesse, qui donnait ses baisers à qui les voulait. Pas plus haute qu’une gamine de 10 ans alors qu’elle en avait 13. Pouvait même vous sucer, mais fallait pas la dénoncer. C’était grâce à Paulo, du temps ou elle suivait partout les 3 premiers de la bande, inséparables, Paulo et L’Zébu, qui rougissait dès qu’une fille lui parlait. Grand et tout maigre, et l’Taurillon, du surnom d’ son père, enfant de culturiste médaillé, le plus trapu et le plus costaud. Paulo avait dit à la grande Largesse qu’ ils l’accepteraient à condition qu’elle les suce, tous les 3, l’un après l’autre. Elle avait d’abord refusé. Continuait à les suivre. Ils s’amusaient à la semer, à la pousser dans le lac, à la perdre dans les bois. Un jour, elle avait cédé. Après c’était devenu une habitude. La bande s’est agrandie avec L’Arsouille, l’rouquin avec son ch’veu sur la langue. Puis l’Omelette, tout rondouillard avec son ventre qui pendouillait et le complexait. La Girouette, qui ne savait jamais ce qu’elle voulait mais n’avait pas son pareil pour allumer un feu, piquer un sprint, aller à la maraude, et puis une tombe avec ça. Ne dénonçait jamais personne. Toute blonde, une paire de nattes. Et bien sûr, Lola. La plus belle et la plus intelligente. La dernière arrivée. Lola et ses seins naissants. Lola et ses robes à fleurs. Lola et ses salopettes en jean. Lola et son succès auprès des garçons. Lola et ses livres. Lola et sa chevelure rousse. Lola et ses mystères. Avec lui-même et la Ninnie, ça faisait 10. Les 10 de la bande à Paulo. Un chiffre qu’il aimait bien. 10 comme 10 sur 10. Un chiffre tout rond, concret.

3 ans qu’ils se retrouvaient tous les étés, pour un mois tout entier. A se prendre pour des Robinson, des pirates, des aventuriers. A arpenter les berges et les alentours du lac dans tous les sens. A faire des farces aux touristes. De petits larcins aussi. Rien de très grave. Pour la cabane, pour les bières, pour les vols, si sa mère savait, elle le tuerait.

Ils ont bu des bières. Fabriqué des arcs. Tenté d’attraper du poisson.

-Ça n’mord plus. On fait quoi ce soir ? a demandé l’Arsouille.

 -On casse du pédé, a répondu L’Taurillon. Et ils se sont tous mis à rire.

-J’en connais un, a dit la Ninnie.

-C’est vrai ? raconte.

-Il est du camping. Il se baigne au ponton du petit port, tous les jours avec sa sœur.

-Comment tu sais qu’il est pédé ? a demandé l'Omelette. 

-C’est sa sœur qui me l’a dit. Y voudrait même bien rentrer dans notre bande.

-Pas de pédé dans la bande à Paulo ! s’est écrié l’Taurillon.

-Faut voir, s’il est sympa, a rétorqué l’Arsouille.

-On a déjà accepté un rouquin, on n’ va pas accepter un blaireau, s’ est écrié l’Zébu. T’en dis quoi Paulo ?

-On verra ça demain. J’aime pas bien l’idée d’agrandir la bande. Y’aura qu’à lui faire passer les tests.

-C’est une bonne idée ça, les tests, a approuvé la grande Largesse.

-Allez, on fait un rami et on rentre, a dit Paulo. Ils sont rentrés dans la cabane.

Paulo a songé qu’ils lui obéissaient tous et que ça lui plaisait. Quant aux pédés, il n’en connaissait qu’un, l’un de ses oncles, le frère de son père. Il s’est assis à côté de Lola et s’est arrangé pour la serrer un peu, pour la sentir, elle, contre son corps à lui.

Le lendemain, Paulo a rassemblé sa bande et ils ont décidé d’aller parlementer avec « le petit pédé ». Pour faire partie de la bande, il avait instauré un règlement, il fallait passer les 5 tests. « Le petit pédé » a ramené sa sœur à ses parents et les a rejoint. Il n’était pas très grand mais avait de la classe, a pensé Paulo. 14 ans comme lui. Un drôle de béret rouge sur la tête, d’où s’échappaient quelques boucles de cheveux noirs. Un jean Levis Strauss légèrement râpé aux genoux, un blouson usé mais en cuir, une paire d' Adidas. Le regard franc. Droit dans les yeux.

Paulo a pensé à son oncle et à ses manières efféminées qu’il détestait. « Le petit pédé » n’avait pas l’air d’être homosexuel. Il s’appelait Richard. Un prénom de roi. Il avait de la poigne et du caractère, ça se sentait rien qu'à lui serrer la main. Il riait facilement. Il expliqua qu’il était nouveau ici et s’ennuyait avec sa sœur. Il a raconté qu’il avait beaucoup voyagé, qu’il était allé au Mexique, en Nouvelle-Zélande, en Angleterre et en Islande avec ses parents.

Les voyages, ça avait toujours fait rêver Paulo, lui qui ne connaissait que la Haute-Vienne et Vassivière. Un lointain séjour à Paris, pour aller à Disneyland. C’est tout ce qu’il avait vu de la planète dans la vraie vie.

Arrivés à la cabane, Paulo a dit à Richard :

-Bon, tu vas passer les 5 tests. On va d'abord voir si t'es débrouillard et efficace. Tu dois faire un feu le plus rapidement possible. Le test commence.

Richard a couru et est allé ramassé du petit bois. Il a fait un cercle avec quelques pierres , a sorti du papier et un briquet de sa sacoche. Il a allumé son feu en un tour de main et l'a alimenté avec des pommes de pin et du bois qu'il a soigneusement empilés dans son blouson enroulé autour de sa taille comme un sac.

-Ok, a approuvé Paulo. Tu sais faire et t’as l’ matos. Deuxième test : tu dois piquer un truc à un touriste sans te faire chopper. Tu as 30 minutes. On t’attend ici.

Richard a disparu et est revenu au bout de 20 minutes, une canne à pêche à la main; quasi neuve.

-Tu as fait vite, a dit Paulo, tandis que les autres ont applaudi et admiré la nouvelle canne qu'ils se sont passée à tour de rôle, la soupesant et la lissant des doigts.

-C’était pas dur, a répondu Richard. Le gars pionçait .

-Et maintenant ? Suis -nous. Ils ont rejoint la plage, calme et déjà ensoleillée. Quelques bateaux au loin, des pêcheurs, de rares baigneurs. Il faisait encore frais ce matin-là.

-Tu vois cette bouée ? L’aller et retour, en moins de 15 minutes. Ici, et pour faire partie de la bande, il faut savoir nager.

Richard s'est dévêtu, est entré dans le lac sans hésitation, puis a plongé sans se plaindre de l'eau encore glaciale.

-Il nage bien, a dit Lola. Et même le dos crawlé.

-Attends qu’il revienne, a répondu Paulo.

« Pédé » ou pas, il ne put s’empêcher d’espérer que Richard s’épuise avant la fin de l’épreuve. Il n’en fut rien. Là encore, Richard remporta le test au-delà des espérances.

-Quatrième test. Le tour du lac, à pied, sans tricher. Maintenant, sans boire ni manger. L’Zébu et l’Taurillon, vous irez chercher vos vélos et le surveillerez un peu. Voici une carte, le sentier des rives. 6 heures pour le marcheur moyen. Tu dois en mettre moins de 5. Il est 10 heures. Tu pars d’ici, dans ce sens. Rendez-vous ici. Tu es chronométré.

-Je peux boire avant ?

-Ouais, mais pas d eau durant le parcours. Le soleil va taper tout-à-l'heure. On va voir si t'es endurant.

Paulo aurait souhaité que « le petit pédé » abandonne. Au lieu de cela, Il a descendu une demi-bouteille d’eau lentement. L' a balancée par terre, a ajusté son écharpe en un bandeau autour du crâne, a resserré ses lacets de baskets, s' est saisi de la carte IGN et a dit :

-J’suis parti. C'est marrant vos tests. A bientôt les filles.

Ils l’ ont attendu, entre parties de pétanque et de cartes, puis de bains joyeux. L’Zébu et l’Taurillon sont revenus les premiers, après avoir pris soin de cacher leurs vélos sous des bouquets de fougères.

-Il n’a pas triché. On l’a suivi tout le long du trajet, a dit l’Taurillon.

-Ouais et il marche vite, a ajouté l’Zébu.

-On va le prendre dans la bande, a dit Lola, il le mérite.

-Faut voir, a dit Paulo. Il reste un test.

-Les 24 heures de survie ? a questionné l’Arsouille.

-Non, un nouveau test.

-C’est quoi ? a demandé La Ninnie.

-Un secret, vous saurez plus tard.

-T’as pas le droit de changer les règles au dernier moment, a dit Lola.

-C’est moi l’chef, a dit Paulo. Quelqu’un d’autre qui n’est pas d’accord ?

-On te fait confiance, a répondit la grande Largesse.

Richard est arrivé, essoufflé, un large sourire laissant voir ses dents bien alignées, pas comme celles de Paulo qui lui faisaient honte. Il avait fait le tour du lac en 4 heures et demie. Un beau score pour une première.

-Tu as bien mérité une bière et un sandwich, lui a dit Paulo. Après, c’est le test tiré au sort. Tu ne devras pas le révéler avant de l’avoir passé. C’est la règle.

-Ok, Richard. Quand tu veux.

Paulo l'a laissé reprendre des forces puis a ordonné :

-Les autres, allez à la cabane. Ils ont obéi.

-T'as pas le droit de changer les règles, a insisté Lola avant de disparaître sous la barque.

Paulo s'est retourné vers Richard. Il l'a regardé fixement.

-Alors ? a dit Richard.

-Le dernier test est spécial mais tout le monde y passe un jour où l'autre, sauf les filles. Les tests sont différents pour elles, plus faciles aussi.

-Annonce…

-Tu dois te faire sucer par la grande Largesse. N’aie pas peur, elle dit rarement non.

-Tu te fiches de moi ? 

-Non, c’est le sort qui a désigné ton test.

-Tu sais bien que je suis homosexuel, du moins, je suppose, et homo ou pas, je ne ferais jamais ça. 

-On ne change pas les règles pour les « pédés ».

-C’est une insulte ?

-Non. Prends-le comme tu veux.

-Et si je me faisais sucer par Lola plutôt ?

Paulo s'est jeté sur lui, lui a décrochant un coup-de poing, un seul, lui ouvrant l’arcade sourcilière. Richard a chancelé, s'est redressé et lui a balancé un crochet en retour qui l'a fait saigner du nez. La bande à Paulo est sortie en courant

-Arrêtez, vous êtes fous ! a crié Lola.

Les garçons les ont retenus à bras-le corps.

-Dis-nous ce qu’il se passe, a demandé l’Caillou à Paulo.

-Ce porc voulait me sucer, a répondu Paulo.

-Menteur ! a crié Richard.

-Dégage ! a répondu Paulo. « Les pédés », on n’en veut pas dans notre bande.

-Ta bande, elle a un chef pourri. Ce connard voulait que je me fasse sucer par la grande Largesse. Je vous laisse à votre poltron

-Il faut aller te faire recoudre, a dit Lola.

Richard a ramassé ses affaires et a quitté la petite clairière dissimulée sous les taillis.

La petite Ninnie a épongé le nez de Paulo avec un mouchoir en papier .

-C’est vrai ce qu’il a dit ? a demandé Lola.

Paulo a remarqué dans son visage empourpré une colère qu'il n'y avait jamais vue.

-Il ment !

-Je ne l’aurais jamais sucé «  ce pédé », a dit la grande Largesse. Ce qui a fait rire la bande. Seule Lola n'a pas ri. Elle est partie sans un mot, disparaissant sous les taillis.

Ils n'ont plus jamais évoqué cette journée-là mais ce ne fut plus pareil. Lola les a abandonnés. Leurs rapports ont changé peu à peu au cours des 3 années suivantes. Chacun s’ est affirmé. Paulo ne fut plus le chef incontesté. La grande Largesse avait trouvé un copain et ne les suçait plus à la demande. Elle disparut elle aussi bientôt de la bande. Quant à Lola, ils ne la revirent pas. Seule Ninnie resta fidèle à Paulo qui en fit sa petite amie officielle. La seule à lui obéir et qu’il pouvait martyriser. La bande des 8 se délita de plus en plus, au gré des rencontres et de leur maturité. Très vite, elle ne fut plus qu’un souvenir. Paulo en mit la responsabilité sur Richard. Il n'accepta jamais l'amitié d'homosexuels et continua de leur témoigner dégoût, rage et haine.

Sa mère répétait souvent :

- « Les pédés », ce ne sont pas des hommes. Regarde ton oncle, cet anormal !Il aurait fallu l'enfermer. Il vaut mieux être seule que de côtoyer ces gens-là. Ils nous snobe avec sa réussite. Coiffeur, c'est bien un métier de « pédé ». Il ne vaut pas plus que ton père.

(En copiant ce texte, J'ai eu du mal avec les puces et sauts de ligne, manque d'habitude). 


Publié le 07/11/2025 / 4 lectures
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