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                                                                                       LA BOITE

 

« - DEMAISON ! Parloir ! ».

Mathieu se le va de son lit et sortit lentement de sa cellule.

Ces parloirs, il les attendait autant qu’il les appréhendait : les regards remplis de reproches sourds de sa femme l’attristaient, ces questions qu’elle posait en faisant semblant d’oublier le cadre dans lequel ils étaient :

« - ca va ? Comment s’est passé ta semaine ?

Je suis en prison Leila ! Comment veux-tu qu’elle se soit passée…

-ça va. Rien de neuf, répondait-il simplement. Et toi ça va ? Comment ça se passe à la maison ? Comment va la petite ?

- ça va mais c’est dur tu sais…Tu lui manques…et on dirait que c’est à moi qu’elle veut le faire payer…Elle est insupportable.

- Pourquoi tune ne l’emmènes jamais avec toi ?

- Elle a huit ans, Mathieu ! Ce n’est pas un endroit pour elle ici ! », lui répondait-elle toujours.

 

Mathieu en était donc arrivé à redouter ces entrevues hebdomadaires.

Mais aujourd’hui, quelle ne fut pas surprise en voyant sa fille assise aux côtés de sa mère !

Mathieu retrouva tout de suite le sourire et vint s’asseoir en face d’elle.

 

« - Coucou ma puce ! Comment tu vas ? Comme tu as grandi ! Je suis tellement heureux de te voir tu sais !

  • Pourquoi tu ne m’écris jamais ? Je t’envoie bien des lettres moi ! Pourquoi tu ne me réponds pas ?
  • Oh je sais ma puce, je suis désolé pour ça…Tes lettres me font très plaisir et je les relis sans arrêt. C’est juste que…je ne suis pas très à l’aise avec les mots…alors je ne sais pas quoi te répondre.
  • Et ben trouve un moyen de le faire ! Viens maman ! On s’en va ! », rétorqua l’enfant en quittant la pièce.

Mathieu resta encore quelques secondes assis, confus. Il comprenait la colère de sa fille, elle avait raison de lui en vouloir. Mais que pourrait-il bien lui raconter de l’absurdité du monde dans lequel il était enfermé ? De son obscurité ? De sa violence ? De son chaos ? Et d’un autre côté, comment lui mentir ?

Mathieu regagna sa cellule triste et dépité.

 

« Alors ? Comment ça s’est passé ? lui demanda son compagnon de chambre.

  • Ma fille était là.
  • Ta fille ?! Elle te l’a amenée finalement ?! Ben alors, pourquoi tu fais cette tête ?
  • Elle était en colère contre moi.
  • Qui ? Ta femme ?
  • Non, ma fille. Elle m’a reproché de ne jamais répondre à ses lettres…
  • Pourquoi tu ne le fais pas ? »

Mathieu haussa les épaules.

« - Je ne suis pas à l’aise avec les mots…et puis de toute façon, pour lui raconter quoi ?

  • Ta vie ici !
  • Elle a huit ans !  Je ne veux pas lui raconter l’horreur de cet endroit !
  • Alors décris le lui.
  • Je viens de te dire que je ne veux pas lui raconter ce qu’il se passe ici !
  • Et je ne t’ai pas dit de le lui raconter…Je t’ai dit de le lui décrire !
  • Je ne comprends pas la nuance…
  • Attends. »

Le compagnon de chambre se coucha alors à plat ventre pour attraper quelque chose sous son lit. Il se releva ensuite avec une grande boite qu’il tendit à Mathieu.

« - Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il.

  • C’est ta liberté ! »

Sans comprendre, Mathieu, curieux, se saisit de la mystérieuse boîte et l’ouvrit. Dedans, il trouva des crayons de couleur, des feutres, des pinceaux et de la gouache et des feuilles de papier.

« - Qu’est-ce que tu veux que je fasse de ça ? Je ne sais pas dessiner ! s’exclama-t-il, déçu.

  • C’est l’avantage avec la peinture, tu n’as pas besoin de savoir dessiner. Il te suffit juste d’avoir quelque chose à exprimer. Et vu comme tu es silencieux, je ne doute pas du fait que tu as plein de choses à dire ! Je viens de t’en donner les moyens. Tu n’as plus qu’à peindre tes pensées, et les donner à ta fille. »

Mathieu regarda la boîte, dubitatif. Après tout pourquoi pas ? Il pouvait bien essayer ! On dit bien qu’il faut une première fois à tout !

« Merci, j’essaierai d’en faire quelque chose… ».

Sans savoir pourquoi, il ne pouvait plus détacher son regard de la boite. Les idées lui venaient à la vue des feuilles et des couleurs. 

Il s’installa donc à la table de la cellule, prit une feuille de papier, un pinceau et de la peinture noire.   

Il entreprit alors de recouvrir la feuille de peinture. Une fois que ce fut fait, il se saisit de la peinture rouge. Il prit un autre pinceau, plus fin et dessina des zébrures un peu partout, disséminées sur l’obscur.

Puis il contempla son œuvre, le manche du pinceau dans la bouche, réfléchissant à ce qu’il manquait…sa fille, bien sûr !  Sa lumière, son étoile. Il fallait une couleur claire, pure, du blanc ! 

Dans le coin gauche en haut de la feuille il dessina alors un grand cercle plein. Puis il prit du bleu et saupoudra ce cercle de petits points.

Satisfait de cette première œuvre, il la laissa sécher toute la nuit qui suivit sur la table de la cellule puis la dissimula précieusement sous le lit, à côté de la boîte.

Le dessin était simple, certes, mais sa fille lui avait demandé de répondre à ses lettres et de lui parler de lui. Et là, tout y était : la noirceur de son monde, sa violence aussi, et la seule lumière qui illuminait tout cela et lui donnait de l’espoir :sa fille !

Il avait hâte désormais de la retrouver au prochain parloir. Il avait répondu (enfin !) à sa demande et cela allait lui faire plaisir, il le savait !

Les quinze jours qui s’écoulèrent ensuite lui parurent plus longs que les deux ans d’enfermement qu’il venait de passer ici.

Cependant, l’exercice lui avait plu, et beaucoup plus qu’il n’aurait pu le penser au départ. Il s’était pris de passion pour cet art jusqu’ici inconnu de lui. Les dessins qu’il effectuait étaient toujours à la fois très simples et très forts en émotion. Mais toujours avec la présence de sa fille imagée en filigrane : des traits gris verticaux figurants des barreaux avec une main d’enfant tendue à travers eux, ou encore des dessins rouge sang avec des larmes bleues mais un sourire jaune au milieu, celui de sa fille, bien sûr.   

Il produisait un seul dessin par jour mais de manière frénétique, inspirée. Il avait trouvé son totem, et comme le lui avait expliqué son compagnon de chambre : sa liberté !

Le jour du parloir arriva enfin.

Mathieu trépignait d’impatience.

« DEMAISON ! Parloir ! »

Mathieu courut presque cette fois-ci jusqu’à la salle de rencontre.

Derrière la vitre, sa femme l’attendait, seule. Sa fille n’était pas là…

« - Tu donneras ça à Maëva de ma part s’il te plaît », dit-il simplement en tendant les dessins à sa femme.

  • Ce sera fait, lui répondit-elle en jetant un rapide coup d’œil aux dessins.
  •  Au revoir.
  • Mais…tu t’en vas déjà ? lui demanda sa femme interloquée.
  • Soyons francs pour une fois : tu n’as pas envie d’être là, tu te forces à venir, tu ne sais pas quoi me dire, et j’en ai marre de tes reproches muets. Alors oui, je m’en vais. Dis à Maëva que je l’aime et que je l’embrasse très fort. Et donne-lui bien les dessins surtout. »

Et il quitta la pièce sans un autre mot.

Quatre jours plus tard, il reçut une lettre de sa fille.

Mon petit papa

 

Merci pour tes dessins, ils sont magnifiques ! Je comprends mieux ce que tu vis maintenant et je sais que tu penses à moi ! Moi aussi je pense à toi tu sais, tous les jours.

A bientôt

Je t’aime

PS : envoie-moi encore tes dessins.

Maëva

 

 

 


Publié le 24/11/2021
Commentaires
Publié le 24/11/2021
Chère Vickie, votre texte aborde ce défi de belle manière. L'angle de la boîte est assez judicieux, tout comme le choix narratif. Vous allez bien dans la psychologie des personnages, autant que dans les faiblesses de Matthieu à communiquer par écrit à sa fille. Votre texte parle d'amour et cela m'a beaucoup touché, même si je trouve Matthieu un peu dur avec sa compagne qui subit elle aussi, à sa façon, cette incarcération. Le final est vraiment bien trouvé, terminer sur le symbole de la petite fille et de ces dessins rédempteurs. Défi relevé Vickie, haut la main! Merci pour ce moment d'émotion.
Publié le 25/11/2021
Merci beaucoup, j'ai eu un peu de mal à trouver l'objet puis je me suis dit que seul l'art permettrait de trouver un espace de liberté en milieu carcéral. J'ai aussi pensé à ces familles séparées et l'idée m'est venue ainsi. Mais en effet Mathieu est dur avec sa femme du fait de sa réalité. Merci beaucoup en tout cas
Publié le 25/11/2021
L'idée des dessins qui prennent la place des mots étai vraiment bien trouvé. L'univers carcéral est souvent un milieu difficile, souvent inhumain. Mais il peut être tout autre chose. Un incroyable lieu de réflexion. Tenter quoi que l'on fasse et où que l'on soit de transformer le plomb en or, n'est-ce pas finalement faire un pas vers le bonheur?
Publié le 25/11/2021
L'idée de ces dessins offerts quant les mots manquent, c'est beau ! Et cette figure d'amour paternel une riche idée. J'ai aimé aussi ta façon de clôturer le récit. Bravo :)
Publié le 25/11/2021
Tu n’as plus qu’à peindre tes pensées, C'est trop beau... Kissous
Publié le 25/11/2021
Alors ça c'est de l'ordre du "faites ce que je dis, pas ce que fais" LOL autant je suis à l'aise à l'écrit autant la peinture c'est pas pour moi mdr
Publié le 25/11/2021
J’aurais cru lire un conte, c’est léger bien que le lieu ne s’y prête pas. C’est la réalité des êtres, de leur frustrations et attentes qui gomment les barreaux de la prison comme pour mieux illustrer les barreaux des non-dits qui finissent par trouver le chemin du cœur et de la sincérité. Un défi relevé sans encombre Vickie, beau boulot.
Publié le 26/11/2021
Merci beaucoup Leo J'ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce texte
Publié le 27/11/2021
Je partage bien ce sentiment d'avoir lu un conte. La boîte de couleurs a quelque chose de magique. On dirait l'objet magique d'un conte: ce genre d'objet magique qui permet de faire sortir le personnage de sa prison intérieure. Ça vaut bien l'aléthiomètre de Lyra Parle d'Or.
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