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La Fée et la Princesse
Les Ombres du passé

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Le palais semblait fait de silence. Liora y marchait comme une lueur dans un rêve, effleurant les colonnes, lisant dans la poussière des salles ce que le temps avait tenté d’oublier. Certaines pièces gardaient encore l’odeur des banquets d’autrefois, d’autres avaient voilé leurs miroirs comme on ferme des yeux trop fatigués. Ysaline parlait peu. Elle passait de longues heures près de la grande fenêtre, le regard perdu vers la vallée. Par moments, ses lèvres s’ouvraient sur des mots qui ne sortaient pas. Liora respectait ce silence. On ne force pas une fleur gelée à éclore. On attend la saison.
Un soir, le vent frappa doucement les vitraux et la flamme d’une bougie vacilla. Ysaline frissonna.

« Tu es toujours là ? »

« Où pourrais-je aller »

Elle esquissa un sourire, fragile et vide, puis détourna les yeux. Ses mains se posèrent sur le rebord de la fenêtre, comme si elle retenait un souvenir trop fort.

« Avant, il y avait de la musique ici. Des rires. Un homme aussi. Il m’avait promis la paix »

Sa voix se brisa, plus basse.

« Il disait m’aimer. Mais son amour faisait mal. Il aimait le pouvoir qu’il avait sur moi, pas ma présence. Ses mots étaient des chaînes, ses gestes des ordres. Quand il entrait, l’air se figeait. Quand il me regardait, je disparaissais. Et quand il me touchait, ce n’était plus moi. Il prenait, encore et encore, jusqu’à ce que je n’aie plus rien. Même ma peur ne m’appartenait plus. »

Elle se tut, le souffle coupé. Ses doigts tremblaient légèrement. Liora ne bougea pas. Elle écoutait, simplement, comme on veille une plaie.

« Il me disait que j’étais à lui. Que c’était ça, l’amour. Alors j’ai cru que la douleur faisait partie du devoir. J’ai souri quand il le voulait. J’ai prié en silence pour qu’il s’endorme vite. Et quand il est mort, je n’ai pas pleuré. Je n’ai rien senti. Juste le froid. »

Le vent entra par la fenêtre, fit frissonner la flamme. Elle s’éteignit.
Liora tendit la main et ralluma la bougie d’une lueur née de ses doigts. La lumière douce glissa sur le visage d’Ysaline, révélant les ombres fines sous ses yeux, la fatigue ancienne, la trace des nuits où elle n’avait pas dormi.

« Ce qu’il t’a pris n’a pas disparu » murmura Liora.

Ysaline releva lentement la tête, comme si ce simple mouvement lui coûtait.

« Il l’a seulement fait taire. »

Un long silence. Leurs regards se croisèrent. Dans celui d’Ysaline, il y avait encore la peur, mais aussi quelque chose de neuf, une première étincelle.
Elle inspira plus profondément, sentit l’air circuler à nouveau dans sa poitrine.

« Pourquoi restes-tu ? »

« Parce que ton royaume souffre avec toi. Quand tu iras mieux, il respirera de nouveau »

Dehors, la neige tombait sur la vallée de Noréa. À l’intérieur, la bougie brûlait plus franchement.
Sur la vitre, le givre avait dessiné une fleur. Ysaline la regarda longtemps. Puis elle se tourna vers Liora.
Et cette fois, son sourire n’était plus un masque. C’était une fissure dans la glace, assez belle pour laisser passer la lumière.

Publié le 14/11/2025 / 14 lectures
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