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Les jours s’étiraient lentement dans le palais. Le froid demeurait, tenace, posé sur les murs comme un voile qu’aucun feu ne parvenait à percer. Les flammes brûlaient sans chaleur et l’air sentait la pierre et la cendre. Ysaline errait dans les couloirs, droite, silencieuse, sa main glissant parfois contre les parois de glace. Sous ses doigts, elle croyait sentir le monde respirer encore, très loin, très bas, comme un cœur oublié.
Elle évitait les miroirs, fuyait les reflets. Elle disait que la lumière abîme les yeux, mais c’était son propre visage qu’elle craignait d’affronter. Liora ne posait pas de questions. Elle se contentait d’être là, d’une présence, discrète, presque immobile. Parfois, elle chantonnait à voix basse, une mélodie sans mots, quelque chose d’aérien, de fragile, qui semblait appartenir à un autre temps.
Un soir, Ysaline entra dans la salle au feu. Le vent s’engouffrait par la fenêtre entrouverte, soulevant un rideau. Le feu tremblait, prêt à s’éteindre. Liora se tenait près de l’âtre, ses ailes repliées, la tête penchée vers les flammes.
« Tu as froid ? » dit-elle doucement.
« Non » répondit Ysaline. « J’ai peur. »
Sa voix ne tremblait pas.
« Il m’a appris à me taire » ajouta-t-elle après un silence. « À ne pas bouger. À devenir petite. Invisible. À n’exister qu’à travers lui. Et quand il n’était pas là, je continuais à avoir mal. »
Liora releva lentement la tête. Elle ne bougea pas. Son regard ne portait ni pitié ni effroi, seulement cette attention pure, sans bruit, qui fait tomber les défenses.
« Je sens encore ses mains, parfois » murmura Ysaline. « Même quand je dors. Même quand je rêve. »
Un souffle passa. Le vent dehors se fit plus fort.
Liora s’approcha d’un pas, sans rompre la distance.
« Regarde-moi » dit-elle.
Ysaline obéit, hésitante.
« Ce regard-là, il est à toi. À toi seule. Personne n’a le droit de t’effacer quand tu le portes. »
Le silence s’installa à nouveau. Le vent dehors frappait doucement les vitres, la neige continuait de tomber. Le feu resta faible, la pièce froide, mais Ysaline perçut quelque chose de différent.
L’air n’avait pas changé. Pourtant, il ne la blessait plus. Le froid n’était plus un ennemi, mais un témoin. Il existait avec elle, pas contre elle.
Liora la regarda longtemps, puis s’approcha un peu plus.
« Il y a un village, en contrebas. Des personnes simples, des voix qui rient encore malgré le froid. Va les voir. Parle-leur. Regarde-les vivre. Le monde ne s’est pas éteint, Ysaline, il t’attend. »
Ysaline ne répondit pas. Elle fixa la flamme vacillante, comme si cette idée lui semblait étrangère, impossible.
Pourtant, au fond de son regard, un éclat infime s’était allumé.
C’était comme si, dans la glace, une respiration s’était glissée. Pas la chaleur encore, mais le souvenir d’un souffle.