C’est elle qui force, dans la chair, les idées à la noirceur ou à la flamboyance inégalées. La folie est le pousse-au-crime ou au chef-d’oeuvre.
On retrouve son odeur dans le placenta des génocides, on l’entend qui résonne dans les sanglots blèmes d’un fils ou dans l’aura brisée d’une veuve, on devine son ivresse perchée aux sommets étroits des pyramides, on la soupçonne, là encore, s’échappant du coeur des roses de l’ancienne Babylone.
C’est la radicalité qui réside au creux de ses mains lorsqu’elle se fait l’architecte des plus viles bassesses comme de la magnificence. Car s’il est admis qu’il faut être complètement fou pour commettre le pire, je crois qu’il faut être suffisamment fou pour imaginer le meilleur. Du degré de la folie résulte l’expérience : la mise en lumière complexe de l’ombre ou de l’extraordinaire, par les phares aveuglants d’une déviance certaine.
Je prenais la folie pour le sel ou l’épine du monde. La pique ou l’épice, le glaive court, ou le subtil ajout révélateur de la saveur cachée de l’impensable.
Je crois que, d’une certaine manière, ce sont les fous qui font l’Histoire. Eux seuls transcendent le rythme des Hommes en arrachant l'ignominie aux obscurités des Enfers, et l'exceptionnel aux perles des Cieux. Ainsi assis à mi-chemin sur la branche des Possibles, ils y dévorent le fruit de leur folie, laissant le suc gélatiné d’une parure amère ou grandiose, s’écouler en filaments de conséquences putrides ou de majestés. Et jusqu’à ce que la délectation cède place à l’épuisement, ils porteront leurs doigts humides de défiance, à leur bouche incapable d’expliquer.
Car l’euphorie suture les lèvres de celui qui, entre deux bouffées délirantes, tenterait de se justifier. Les raisons des fous ne sont pas de ce monde : elles suppurent des profondeurs de l'âme, vaillamment ornées de la calantique du mystère et de l’éventail du trouble.
Au fond, qu’on l’adule ou qu’on l’enferme, la folie reste et restera la maîtresse capricieuse ou la prisonnière rebelle des hommes ordinaires. Elle qui, apparaissant dans le relief des esclandres, se dévêt, puis s’expose, sans jamais se laisser comprendre.
Ceux qui prétendent avoir capturé l’essence de son souffle tragédien, ne relatent en vérité que le récit légendaire d’une tentative avortée. Car la folie a la nudité des impénétrables: elle ensorcelle, attire, entoure, contraint, étouffe, sans jamais laisser la moindre connivence mutiler l’hymen opaque de ses secrets.
La mort, sans doute, lui envie-t-elle cette carnation virginale, cette possession du vivant à la frontière de l’être et du néant, ne donnant qu’assez d'elle-même pour étourdir, tout en maintenant l’équilibre vif, au fil de l’illusion. Nul ne pourra se targuer de l’avoir connue toute entière. L’homme, sous son emprise, s’endort sur son sein interdit.
Je m’étais surpris à l’aimer comme on aime déraisonnablement la mauvaise personne. J’en venais à naïvement chérir l’abandon de ma conscience à l’âpreté de ses bras, et à m'enrouler dans les draps de ses mensonges, afin que leur chaleur me retienne. Car, je savais profondément, et dès ce moment-là, que m’extirper de ma folie n’aurait pas été revenir à moi-même, mais mourir.
Quelqu'un m’avait dit un jour, qu’au compte des morts sont les fous qu’elle n’a pas jalousement gardés auprès d’elle. Qu’il n’existe pas d’ancien fou. Que ceux qui recouvrent même momentanément la raison, s’accablent irrémédiablement des maux qui précipitent les âmes déboussolées dans les entrailles du monde.
Je m’étais alors assis sur le rebord du monde pour y contempler mon corps agir avec une sorte d’allégresse morbide, dont l'exérèse définitive me conduirait inévitablement à une mort prématurée. C'était donc cela, j’avais rejoint la patrie de ceux qui, à moitié morts ou vivant à peine, déambulent au cœur des légendes noires et hantent les images décolorées des contes d'antan.
Mais nous étions, en vérité, bien plus que de simples créatures de folklores populaires: nous étions l’équipage des fous suspendus au monde, qui inhabiles et mortifères, souillent de leurs ombres la réalité du temps.