Le jour où j’ai ouvert les yeux

PARTAGER

Le jour où j’ai ouvert les yeux

(ou : Quand le destin s’invite par la porte des mots)

En 2023, j’ai frôlé la mort.

Un coma diabétique, survenu pendant mon sommeil.

Ce qui m’a réveillé, je ne saurais le dire : une voix intérieure, un instinct, ou peut-être quelque chose de plus grand encore.

J’ai ouvert les yeux alors que je partais.

 

Je me suis assis au bord du lit, voulant aller à la salle de bain.

En me levant, mes jambes ont lâché.

Je suis tombé, le front fracassé contre la table en verre.

Le sang coulait. Impossible de me relever.

Je me suis dit : je vais mourir ici, maintenant.

 

Pas de panique pourtant.

Juste une idée fixe : appelle David.

Je saisis mon téléphone, l’écran m’éblouit, je n’y vois plus rien.

Alors je dis :

 

— Siri, appelle David.

 

Il ne répond pas. Répondeur.

Je laisse un message.

Quelques minutes plus tard, il me rappelle :

 

— Ne t’inquiète pas, je préviens les secours.

 

Le SAMU me rappelle à son tour. Une voix me parle, me garde éveillé.

J’essaie de ramper jusqu’à la porte.

La soignante hurle au téléphone :

 

— Ouvrez ces putains de portes !

 

Je n’y arrive pas.

Mais une force, une force primitive, m’anime.

Je décroche l’interphone, j’appuie sur le bouton, je débloque la serrure.

Puis je m’éteins.

 

Le reste, c’est l’hôpital, le silence, la lumière blanche.

On m’expliquera plus tard : coma diabétique et petit AVC.

Si je ne m’étais pas réveillé, on m’aurait trouvé mort dans mon lit.

 

 

Après cette nuit-là, tout a changé.

Je n’étais plus le même homme.

J’ai compris que je n’avais jamais lu dans ma vie car je n’aimais depuis l’enfance pour des raisons bien précises et puis ayant énormément travaillé je n’aurais pas trouvé le temps. Cependant j’avais écrit des textes de temps à autres et je les gardais dans un tiroir. 

 

Alors j’ai commencé à lire.

Proust d’abord — À la recherche du temps perdu, que j’écoutais, fasciné, en version audio. J’aime écouter les livres, c’est une expérience fantastique. Petit à petit je lis plus sur support papier. 

Puis d’autres auteurs, d’autres univers.

Je découvrais la beauté comme on découvre une source cachée.

Et j’ai continué à écrire.

Mon mari me disait souvent :

 

— Ne perds pas tes écrits, Michel. Il faudra en faire un recueil un jour.

 

 

En février 2025, j’ai envoyé un texte à une petite maison d’édition de Montpellier. Je suis tombé sur cette  adresse « par hasard »

Le directeur m’a répondu gentiment : il allait le lire rapidement. 

Mais n’ayant pas de nouvelles, dans un moment de fatigue, de colère et de fragilité, j’ai fait une bêtise.

J’ai envoyé un message brutal, injuste, presque insultant.

 

Il m’a répondu aussitôt, blessé mais digne :

 

— Votre texte m’avait touché, rapidement ne voulait pas dire immédiatement, c’est dommage.

 

J’ai eu honte.

Une honte brûlante, profonde.

Alors, mon caractère ne permettant telle dérive , j’ai écrit pour m’excuser, sincèrement.

Et, contre toute attente, il m’a pardonné.

 

— C’est oublié, m’a-t-il dit. Repartons à zéro. Venez à notre soirée du 19 février. 

 

J’ai envoyé une nouvelle fois des excuses pour l’attitude inacceptable que j’ai eu. 

 

 

Le thème de cette soirée était Vénus — Vénus dans tous ses états.

J’y suis allé, accompagné de mon mari.

 

La salle était simple, chaleureuse, pleine de monde et de mots.

Et là, j’ai vu ce petit monsieur barbu, au regard bienveillant, un peu timide mais lumineux.

Il m’a souri :

 

— Oh, je sais qui qui tu es …  Tu êtes Michel Tournier !

Je suis très content que vous  soyez venu tous les deux. 

 

Nous avons pris place, écouté les lectures.

Quand vint mon tour, j’ai lu mon texte sur Vénus.

Des applaudissements ont suivi.

Puis, porté par l’émotion, j’ai lu un second texte, sur la mort, que je personnifie et qui me parle.

Et là encore, des bravos, des regards sincères.

 

La soirée s’est terminée.

Le lendemain, ce monsieur m’écrit :

 

— Merci d’être venu jusqu’au bout. J’ai beaucoup apprécié notre rencontre.

 

Je ne le savais pas encore, mais c’était Jean-Claude Rivière.

 

 

Et dès ce message, j’ai senti que cette rencontre n’était pas anodine.

Comme si quelque chose, quelque part, avait insisté pour que je sois présent ce soir-là.

Comme si cette page d’internet, ce mail envoyé, ces deux lettres d’excuses, avaient été écrits à l’avance, par le destin lui-même.

 

Ce soir-là, il y avait aussi une autre personne : Emmanuelle, une femme cultivée, psychanalyste.

Une affinité immédiate, une amitié vive, presque fulgurante.

Je me suis dit : C’est elle que je devais rencontrer.

Mais non.

L’amitié s’est essoufflée aussi vite qu’elle avait commencé.

 

Alors j’ai compris.

Ce n’était pas elle.

C’était lui.

 

 

Avec Jean-Claude, tout s’est tissé peu à peu.

Des mails, des silences, des confidences.

Il me disait :

 

— Tu sais, Michel, je ne réponds pas beaucoup, mais je te lis toujours.

 

Et puis il m’a raconté.

Quand il avait vu mon nom, Tournier, il avait pensé à son ami d’enfance, Serge Tournier, disparu six mois plus tôt.

Un ami qu’il aimait profondément, comme un frère.

Cette perte l’avait profondément bouleversé.

 

Et quand il a vu apparaître mon prénom et mon nom — Michel Tournier — il y a vu, je crois, comme une renaissance.

Peut-être une façon, à travers moi, de continuer à communiquer avec son ami perdu.

C’est une histoire à la fois psychologique, métaphysique et humaine.

Comme si la vie avait voulu lui rendre un Tournier, différent mais vivant.

 

Et moi, je le sens : quelque chose de mystérieux nous a reliés.

Peut-être que mon “retour à la vie” et sa “rencontre tardive” se répondaient.

Deux trajectoires opposées qui se rejoignent.

Deux solitudes qui se reconnaissent.

 

 

Depuis, notre lien a grandi, s’est enraciné.

L’été dernier, alors que l’association fermait, j’ai pris soin de lui, lui qui souffre de problèmes de santé 

Une relation père-fils, simple, tendre, complice.

 

Aujourd’hui, il est mon ami, mon mentor.

Il me fait lire les textes qu’on lui envoie, me demande mon avis, m’associe à sa maison d’édition.

Et il me dit souvent :

 

— Tu es un vrai ami, Michel. J’ai beaucoup de chance de t’avoir.

 

Mais au fond, c’est moi qui ai eu cette chance-là.

Parce que sans lui, sans cette rencontre, sans ce 19 février, je ne serais pas l’homme que je suis devenu.

 

 

Et ce n’est pas tout.

C’est aussi grâce à cette rencontre que j’ai publié mon premier livre, 203 Toujours, qui s’est bien vendu.

Tout cela n’aurait jamais existé si je n’étais pas excusé.

Je réalise aujourd’hui ce que j’aurais perdu si je n’avais pas tendu cette main.

 

Et puis, il y a quelques jours, il m’a dit doucement :

 

— Tu sais, Michel, il ne me reste plus beaucoup de temps.

 

Ses mots m’ont bouleversé.

Chaque jour, je pense à lui.

Je sais que sa pathologie le fait souffrir.

Hier encore, il m’a dit qu’il était tombé.

Je lui ai répondu :

 

— Pourquoi tu ne m’as pas appelé ?

 

Il a réussi à se relever.

 

 

 

Cette histoire, je la trouve bouleversante.

Elle ne doit pas arriver souvent dans une vie.

Ou alors, j’espère qu’elle arrive à beaucoup de gens.

 

Pour moi, c’est le sommet de ce que la vie peut offrir :

une histoire humaine, spirituelle, presque divine.

Il y a des amours, des passions, des miracles.

Mais il y a aussi cela :

une rencontre qui vous sauve, qui vous transforme,

et qui vous rend à la vie.

 

 

Aujourd’hui nous continuons et nous parlons beaucoup, nous avons une bonne complicité. Je l’aide à l’association et je me rends disponible pour des livraisons de lives et autres… 

Il ne se passe pas un jour sans mots entre nous. 

 

Je suis tellement heureux de l’avoir rencontré, de lui apporté réconfort, amitié et humour. Nous ne nous privons jamais de jouer avec nos messages, nos conversations qui sont un peu comme un jeu de ping-pong et le début de la discussion à complètement changé d’angle soit par un jeu de mots ou une bêtise, une citation. C’est vraiment très charmant. 

Nous lisions le même livre en ce moment et chaque jour nous en discutons. Nous comparons nos ressentis respectifs. 

 

Jean-Claude,  comme m’aurait dit le voyant vu dans les années 80 : 

Jean-Claude est une rencontre à venir et beaucoup tard dans votre vie… 


Publié le 20/12/2025
Commentaires
Connectez-vous pour répondre