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Les Furieuses, 1
Chapitre 1 La fronde des femmes de Toundzy

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Les Furieuses, 1

 

 

La fronde des femmes de Toundzy

 

 

 

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Sur l’île, après le pugilat, une cellule d’écoute fut, vite fait, mise sur pied. Les femmes étaient en effervescence. Elles s’étaient tues pendant tellement longtemps, avaient encaissé le machisme de leurs hommes, s’étaient soumises par peur du statut de divorcée, de répudiée, d’oubliée et de désertée. Et leur vie fut employée à servir, à s’oublier, à se taire et à ronger son frein intérieurement. 

H'léla* fut la première à lever la tête, après plus de 25 ans de violence. Et de quelle manière ! Une de ses voisines, n’en revenant pas, dit : 

 

 

-      La semaine dernière, nous étions ensemble devant le lycée, nous attendions les résultats. Elle était souriante. C’est la femme la plus douce et la plus sensible que je n’ai jamais connue. C’est impossible que ça soit elle.

 

 

Après ce fut au tour de Marie, importée de Bretagne et vite asservie, elle aussi. Rapidement, il lui expliqua qu’elle avait la charge de ses parents, de ses jeunes frères et qu’elle devait être à leur service, qu’elle serait nourrie et logée, à cette condition. Il prit soin très tôt d’effacer toutes les traces originelles et tous les papiers. Trente ans de labeur et d’asservissement et il fut attaché à son lit, une nuit de grande ivresse et battu aux fractures des membres supérieurs, ceux-là qu’il mania de la manière la plus brutale durant longtemps et quand il avait des coups de pinard dans le nez et des coups d’ennui les lundis et mardis soir, jours creux au travail.

 

Leïla, elle, fûtée, rapide et sans indulgence aucune, porta plainte contre lui pour consommation de cannabis à la troisième scène de ménage. Elle l’avait avisé pourtant, mais riche de son ascendant de mâle, il ne la prit pas au sérieux. Il faut dire qu’il avait l’esprit enfumé du matin au soir, ce qui ne l’empêchait pas d’exprimer des envies criminelles. 

 

-             Je te fumerai un jour, lui disait-il.

 

Et elle l’envoya se reposer les neurones au trou des borderline, pour longtemps. 

 

Pas moins de six familles en lambeaux cet été-là et pourtant la responsable de l’Association leur avait bien expliqué qu’il ne fallait pas contrer la violence par la violence, mais bien par les droits. Les faire valoir dans le calme et s’il n’y a pas de prise de conscience, se diriger vers les hommes de lois. Mais les dommages étaient tels sur certaines, les plaies suintantes et douloureuses, l’estime de soi réduite au néant, le silence et la soumission si vieux déjà, qu’il y eut la déflagration, l’acte de H'léla et en chaîne, les remue-ménages qui ont immédiatement suivi. 

 

La fronde des femmes de Toundzi, le village des hommes aux poings impitoyables.

 

 

 

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« ( … ) Quand il vint me dire qu’il revenait, je lui dis non, sèchement, peut-être même violemment. Pourtant, son visage était illuminé, ouvert et engageant. Mais c’était non, parce que je savais qu’il mentait. Qu’il ne savait pas naviguer contre lui-même. Et que je n’avais pas à vivre ses souffrances vieilles de mille ans. Pourtant, je l’aimais, mais, à ma grande chance, j’appris à me préserver et je retrouvai le goût inégalé d’une liberté bradée très tôt. 

 

Après, un vieil ami tint à m’exprimer sa solidarité et je vis, très vite, qu’il mentait aussi et qu’il crut, à son tour, que j’allais brader ma personne, ma fierté et mon être profond. Pourquoi mon être profond ? Et bien, parce que nous étions à l’opposé l’un de l’autre et qu’il ne jouait pas franc jeu. De surcroît. 

 

Je n’avais pas à m’inquiéter de la solitude. Je n’étais jamais seule. J’étais même flanquée en permanence de la bande à Bader. Ou presque. Ils tournaient en boucle et je n’avais qu’eux pour avancer. Quelquefois, je faisais du forcing : ils me fatiguaient trop, ne comprenaient pas que mes aptitudes battaient un peu de l’aile … Bref, je leur revenais en permanence et on finissait par trouver des issues. Toujours. Au prix du temps quelquefois. Celui-là ne sait qu’avancer, tête baissée.

 

Et puis, ce qu’il faut dire, c’est que la vraie amitié est extrêmement rare et je lui voue une telle considération que peu de mes amis arrivent à m’emboîter le pas. Difficile. 

En vérité, tout dans la nature humaine obéit au diktat de « Je m’aime par-dessus tout », qu’il soit conscient ou inconscient. Et il faut savoir dire non. Pourquoi ? Parce que nous sommes dotés d’une matière grise, d’un pouvoir décisionnaire et que nous avons la capacité de bâtir notre être au monde. Du moins, les plus fûtés d’entre nous. C’est important. Très.

 

Les plus fûtés. Une minorité. On joue donc le jeu, quelquefois. Juste pour être un peu au monde. Assez bêtement. Pour ne pas se faire exploser la cervelle à force de cogitation. Il n’y a pas d’amour heureux. Évidemment. L’amitié ? Un subterfuge. Évidemment. 

Mentir est d’une grande utilité et heureux sont ceux qui savent manier les mots pour construire des billevesées et des coquecigrues. Légion.

 

Et de surcroît, ils n’ont pas tort. Je suis tellement stupide de raideur. Un bâton dans le f… Oui, oui. Pure vérité. Je me souviens de mon psychothérapeute qui me disait, alors, que je descendais de la famille d’Œdipe. Il ironisait pour me signifier mon ridicule. Pourtant, je lui dis que j’étais née dans les livres, mais il en grillait tellement qu’il avait l’esprit enfumé, le praticien.

Et puis, ces médecins-là, au bout de deux ans de pratique, ils perdent le nord. Le ciboulot, pour dire les choses. À écouter, se frayer un chemin, séparer le bon grain de l’ivraie, expliquer au patient - quand c’est possible - arrêter une stratégie et la mettre en pratique.

Pour ensuite et fréquemment constater que le patient était de nouveau à la case départ et qu’il avait tout démonté, méticuleusement. Le mal existe. Il est au fin fond de l’esprit joueur. Celui-là qui prend toutes les couleurs, exactement comme le caméléon. Comment ne pas y laisser des connexions synaptiques ?

 

J’ai vu, il y a peu, un faux ami. Un enfant de cinquante ans qui pense pouvoir manipuler les autres, les agencer à sa manière et idéalement les soumettre. Il passe par une aire de désir de puissance. Je pourrais en rire, mais je demeure scotchée devant un tel campement sur soi-même. Un enfant boudeur, obstiné, accolé à la colonne qui jouxte les robinets du préau, à regarder ses camarades jouer dans la cour d'école, d’un air pincé et hargneux. Il imaginait les tours qu’il pouvait leur jouer, diaboliquement, pour les faire tous échouer. Il est seul et passe son temps à échafauder des plans. Du temps jeté, perdu, en voici en voilà, dans l’inconscience complète de la valeur du temps. Ce n’était pas ses camarades. Il n’en eut jamais.

 

Voilà. » 

 

 

Elle se tut, regarda l’homme. Elle voyait bien qu’il n’y comprenait pas grand-chose et ajouta :

 

 

« Ils nous ont cassées, bruyamment. Beaucoup d’entre nous y ont répondu. A leurs manières, à notre manière, sans bruit. En réalité, vous êtes étonné parce que je ne suis pas stupide. Les autres non plus. Et nous ne sommes pas si différentes les unes des autres, bien que je sois un produit d’importation. Et d’exploitation. Non. Et puis, je vous ai raconté des tas de choses en vrac, c'est que je me tais depuis trente ans. Mais je tiens un journal et ça m'a fait tenir. Je suppose que vous allez toutes nous écouter. Vous vous y perdrez. On s'est sacrifiées, certes, mais chacune a son souterrain. Heureusement. Des crapules, voilà la vérité. H'léla a été au final la plus courageuse. Je le pense. »

 

 

 

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*H'léla signifie croissant levant. Prénom souvent attribué aux très belles femmes.

 

À suivre 

 

https://franc-parler-samsehiliz.blogspot.com/2025/09/les-furieuses-1.html

 

 

 

Publié le 14/09/2025 / 1 lecture
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