Julie est une toute jeune femme épanouie. Elle est heureuse et radieuse. Aujourd’hui, elle revient de faire quelques achats, son ventre s’est arrondi : un petit être se développe en elle, bien au chaud. Elle dépose délicatement sur le lit les bodys, une turbulette, des pyjamas. Son regard s’arrête sur ce tout petit pyjama blanc aux grandes rayures pastel. L’enfant qu’elle porte prend une autre dimension dans son esprit, et des sentiments jaillissent en elle, sans qu’elle en comprenne la raison. C’est un mélange d’inquiétude et de colère. Elle ne connait pas encore le sexe de l’enfant, mais à cet instant précis, elle se fait une promesse : si c’est une petite fille et qu’un homme lui fait du mal, elle le tuera sans hésitation. Cette certitude est intense, presque palpable, et l’imprègne tout entière.
Quelques mois plus tard, une adorable petite fille vient au monde. Lors de sa seconde grossesse et à l’arrivée de son frère, tout aussi merveilleux, cette pensée ne l’a jamais effleurée. Pourtant, elle est restée gravée en elle.
Quelle drôle de pensée… Elle est une femme qui a toujours su se défendre, sans jamais craindre les hommes.
La réponse à cette réaction surprenante lui sera révélée plusieurs années plus tard. Lucie ne se souvient plus exactement des circonstances, la mémoire est sélective. Elle est attablée dans la cuisine chez ses parents, elle prend le thé en discutant avec sa mère qui lui transmet alors un lourd secret : elle a été abusée enfant. Une nouvelle fois, la colère et la rage montent en Julie. Par respect, elle écoute, elle pose des questions, tout en retenant l’envie de crier, de pleurer. L’histoire et la résilience de cette femme qu’elle aime tant, forcent son admiration.
Tout s’éclaire. Sa mère lui a transmis ce traumatisme.
Cela lui prouve que la mémoire transgénérationnelle est puissante, elle est ancrée en nous. Ce n’est pas seulement une notion abstraite : c’est comme un fantôme du passé, un fardeau qu’elle porte aussi, comme une empreinte indélébile.
Elle est subjuguée… mais ressent également de la crainte. Qu’a-t-elle légué au-delà de la génétique et de l’éducation ? Quelle charge familiale repose sur les épaules de ses enfants ?