Mon petit saule pleureur.
J’ai toujours aimé le saule pleureur. C’est peut-être mon côté fleur bleue. On se sent bien sous cet arbre, sous la compassion de ses branches. En installer un dans le jardin, j’y pense depuis quelque temps, mais sans que cela suscite grand enthousiasme à la maison. Luce n’est pas du genre à s’emballer à la moindre de mes initiatives. Patiemment elle les subit. Cet après-midi, je me suis décidé à ne plus attendre, je suis allé chercher un arbrisseau à la pépinière. Puisque je n’y connais rien, j’ai demandé à la spécialiste sur place de choisir pour moi. Elle m’a proposé le premier de la ligne, j’imagine qu’elle n’avait pas envie de se faire chier à aller m’en chercher un autre plus loin. Au cours de mes études à l’université, lors des oraux, je prenais toujours la première fiche tendue par le prof, ça m’a plutôt bien réussi. Je vis sur la confiance et j’espère de vivre vieux. Bref, j’ai dit « Ok » et je suis parti avec cette petite vie qu’on me confiait en échange d’un billet de cinquante. Petite vie de quatre mètres tout de même ! Pas facile de l’installer sans la brutaliser, j’ai fait de mon mieux. Après un petit baiser et une caresse sur son jeune tronc, j’ai placé les racines à l’arrière, le feuillage passant par la vitre avant, la plus grosse branche coincée derrière le rétro. On a démarré. Sur la route, je lui parlais. « Tu vas voir, ce n’est pas très loin, on sera vite arrivés. » En roulant, j’entendais le son du vent dans les feuilles. Le même que celui que j’entendais, gamin, quand avec mon frère on stoppait la barque au pied de l’île Desemberg. Papa, maman, Philippe et moi, on habitait un café le long de la Dendre, à centre mètres à peine, pour nous minuscules, de la péninsule sauvage bordée de saules pleureurs. Je ne me rappelle en fait pas l’image, c’est du son dont je me souviens, celui des fines feuilles un peu sèches qui incisent l’air en mouvement. J’ai roulé à vingt à l’heure tout du long jusque la maison. J’ai dû embêter quelques automobilistes et je n’aime pas ça, embêter les gens. Je fais toujours mon possible pour ne pas gêner, mais ici, j’ai poursuivi sur ma vitesse de bicyclette. Peut-être les gens ont-ils compris car personne n’a klaxonné. Devant le garage étroit, j’ai stoppé la voiture pour en extraire précautionneusement l’arbre. Le gars bloqué derrière n’était pas très content ni souriant. C’était juste une ombre derrière un pare-brise. J’ai pris le temps qu’il fallait pour bien faire les choses. En posant le saule sur la table de terrasse, je lui ai dit que j’arrivais tout de suite pour ne pas qu’il se fasse du souci. J’ai rentré la voiture dans le garage. L'ombre a disparu sans qu’il n’y ait rien à en dire. Que dire d'une ombre ? J'ai couru me changer pour creuser comme on me l’avait expliqué, assez large pour ne pas contraindre les racines, pas trop profond dans une terre bien drainée et désherbée. Quand finalement j’ai installé l’arbrisseau, la nuit tombait. J’ai fixé les tuteurs du mieux que j’ai pu malgré l’obscurité, seulement éclairé à la lumière de ma frontale. Ces quelques heures ont déjà créé un lien entre lui et moi. Je sens que déjà je m’attache. J’espère que notre saule passera une bonne nuit, j’espère qu’il passera l’hiver sans trop souffrir, j’espère qu’il s’épanouira lors du prochain printemps. La nuit dernière, il était perdu dans la nuit épaisse. Quand j’ai voulu le montrer à Maurice depuis la maison, il était invisible. J’ai hâte demain, vite pouvoir lui faire sa petite visite et plus tard faire les présentations. Plus tard car pour l’instant, il est encore convalescent, il n’a pas vraiment bonne mine. Dès qu’il aura la gueule un peu moins de travers, on fera une petite cérémonie avec tout autour la petite famille.