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Necropolis
Chapitre 1

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Le faisceau lumineux intense venait bruler la rétine et tirer du noir absolu d’un sommeil lourd. En silence, elle se tint les yeux pour masquer la lumière, mais la brûlure persista dans un halo qui se propageait toujours plus profondément dans ses globes oculaires. On lui tendit deux gobelets, le premier avec un seul petit comprimé à l’intérieur, le second avec de l’eau. Elle prit par habitude les bons gobelets, ingéra sa prise et se recoucha. L’atmosphère était étouffante, et malgré la taille de la pièce, elle était surpeuplée. Les gens s’entassaient sur des matelas et des couvertures d’urgences. Chacun essayait de dormir, mais le manque d’intimité rendait tout le monde inconfortable. Elle réfléchissait en un éclair : le comprimé qu’elle venait de prendre verrai ses effets agir d’ici une heure, ce serait suffisamment longtemps pour se faufiler hors du bâtiment et revenir. Elle s’habilla dans le seul recoin avec un peu d’intimité dans cet ancien hall devenu dortoir. Une structure de planches et de plaques d’acier séparaient l’aile du reste de la gare. Lorsqu’elle fût prête, elle ouvrit la porte et vérifia la présence de quelqu’un à travers les quais et aux détours des couloirs. Confortée dans sa solitude, elle se dépêcha d’accéder à un escalier qui menait à l’étage. Les anciennes boutiques étaient bondées de monde, mais ils étaient assoupis. Deux gardes discutaient au guichet face à un écran, seuls leurs ombres projetées et leurs voix indiquaient leurs présences. Leur discussion résonnait contre le marbre et la pierre de l’édifice:
 

  • “Leda, 22 ans, elle est sous hypnotique la nuit, mais elle a tendance à fuguer,  gardez un oeil sur elle.

  • Elle a prise sa dose à l’heure, elle somnolait lourdement.

  • Cette patiente est privilégiée, gardez un oeil sur elle.”

Leda se recroquevilla et marcha en crabe aussi vite qu’elle put afin de rejoindre les ombres les plus proches. Un balcon avec un énorme chandelier éteint se tenait juste devant elle. En contrebas se dressaient les rangées de quais et plus de boutiques où l’on entassait les survivants de l’apocalypse. Elle monta crescendo en vitesse l’escalier qui menait au toit. L’air frais de l’hiver l’accueillait avec violence. Mais au dessus d’elle les étoiles brillaient dans l’obscurité absolue, si ce n’était pour quelques artères lumineuses, les avenues qui strient la ville et relient les lieux d’intérêts jours et nuits. Elle avança plus profondément dans le jardin. Il y avait quelques arbres et du gazon. Aucun bruit ne venait briser cette sérénité qui semblait venir d’outre tombe. Seul un givre mordant rappelait qu’il existait une réalité physique. Mais Leda n’en faisait déjà plus partie, dans ses songes éveillés elle voyait un parterre de feuilles mortes dont les teintes orangeâtres venaient capturées le dernier spectre lumineux d’un soleil chétif. Une personne qui lui était chère lui tenait la main alors qu’ils empruntaient une large allée flanquée de chênes. Ses mains étaient grandes et rassurantes alors qu’elle enlaçait ses doigts avec les siens. Il lui semblait que rien ne viendrait déranger leur quiétude. Les yeux fixés à l’horizon, la nuit tomba soudain. Elle se retourna, mais au lieu de sentir la paume chaude de la personne, une main menotta son poignet et la tira fortement sur le côté. Elle entendait des pleurs, mais aucune larme ne coulait sur ses joues alors qu’elle chercha en vain de résister à cette séparation forcée. Lorsqu’elle revint à elle, elle se trouvait face à une tour illuminée qui semblait percer le ciel. Une déflagration intense vint troubler l’atmosphère. Un objet incandescent entamait une lente descente jusqu’à atteindre le bord de la tour dans un panache de gaz et de flammes contre le ciel nocturne. C’était une de ces fusées avec lesquelles le transport de personnes et de marchandises se faisait encore entre les grandes métropoles du monde. La dernière connexion avec un monde morcelé. Leda n’avait quitté la ville depuis plus de quinze ans et son premier sentiment fut d’être envieuse de ceux qui pouvaient explorer en dehors de ses fortifications. Elle qui était venue pour se sentir plus libre fut prise d’un profond malaise. Un bruit vint l’alerter. C’était le signal: un sifflet qui imitait le piaillement d’un oiseau. Elle prit le sien et souffla. Un homme sorti d’un petit bosquet caché dans la pénombre. Il portait une veste à capuche noir et une cagoule blanche qui masquait entièrement son visage. Sur son épaule se tenait un faucon blanc, ses yeux étaient d’un noir opaque et profond. 

  • “Adil, je n’étais pas sûr de pouvoir venir, la surveillance se renforce autour de moi, mais je suis heureuse d’être ici, tu peux disposer”, fit elle à la personne cagoulée.

L’homme fit marche arrière et fut englouti par les ténèbres. L’oiseau se tenait sur son épaule, et lui répondit en silence:

  •  “Leda, d’après mes estimations il ne reste plus beaucoup de temps, il faut agir ou nous courons à la ruine”, Adil battit des ailes vigoureusement comme pour appuyer son propos.

  • “C’est ce que je craignais, ils ont commencé à sélectionner même ceux qui n’étaient pas encore prêts. Je ne sais pas pour combien de temps j’en ai encore”, fit elle, anxieuse.

  • “Il n’y a aucune raison de s’inquiéter à court terme, ils te veulent à maturité, peu importe le temps que cela prend. Mais pour les autres…” Il émit un cri perçant qui fit écho contre les immeubles.

  • “Tu me rassures, c’est un destin que je n’envie à personne. Que peut on faire pour les autres ?

  • Nous sommes trop limités par notre nombre, ce qui nous laisse dans une situation délicate où nous devons recruter plus ouvertement et prendre le risque d’être découvert. Leda, l’espoir est mince. Techniquement il y a plus de prisonniers que de geôliers, mais nous n’avons ni équipement ni technologie. Et alors que la pharmacologie permet de calmer les esprits, c'est une cellule invisible qui rend docile par la dépendance et l’émoussement des sens. Il va falloir se fier à ton intuition et à la chance.

  • Très bien, je vais voir ce que je peux faire. Nous devrions nous séparer maintenant avant d’être repéré, je vous contacterais lorsque j’aurais avancée dans ma tâche.” 

Leda siffla dans son sifflet et le personnage cagoulé sortit de l’obscurité pour reprendre Adil puis disparut promptement. Comme il ne lui restait plus beaucoup de temps, elle décida de rebrousser chemin par le même escalier qu’elle avait prise. Si elle n’était pas couché à l’heure précise où le médicament agissait elle ne s’endormirait plus et resterait la nuit à s’ennuyer. Le retour fut sans encombre, elle se déshabilla et se laissa choir sur son matelas enroulable.

“Un, deux, trois”, répéta t’il en frappant en cadence. Il laissa le corps se vider de son sang dans le caniveau. Son champ de vision se rétrécissait et s'agrandissait avec chaque battement au niveau de ses tempes. Un voile couvrait sa vision et une sensation de légèreté le força à s’asseoir sur le trottoir. La personne continuait son hémorragie dans des soubresauts, des gargouillis indistincts comme seules réponses à son agonie. “Chantes, petit oiseau de paradis, chantes le désespoir et la souffrance”, marmonna t’il à lui même, envahit par une nouvelle vague d’adrénaline qui lui fit battre le coeur comme un tambour de guerre. L’homme chercha en vain d’empêcher le sang de couler de sa plaie béante. La pâleur de son visage laissait penser à de la cire. Pour un instant, il oublia son souvenir. Celui d’un homme galant qui lui avait volé son coeur et emporté avec lui dans la tombe. Il se noya dans la clarté de ses pensées comme dans les sources pures d’un pic montagneux. Une lumière l'aveugla dans le fond de ses pupilles tel un phare qui le guidait vers des côtes lointaines et inconnues. Celles qui accueillaient les premières lueurs de l’aurore. Comme une chaloupe qui naviguait à l’orée de l’horizon, indissociable du ciel ou de la mer. Il eut un moment d’absence puis se leva. Le corps était inerte, exsangue. Son visage légèrement souriant lui apparaissait en tête. Il avait toujours un sens de la discrétion émotionnel. Son coeur se figea comme resserré par du fil barbelé. Sa respiration s’arrêta quelques instants. Il prit la tête de la personne et la mit contre le trottoir en appuyant dessus avec son pied. Puis frappa aussi fort de sa hache qu’il put contre le coup jusqu’à le détacher. Il récupéra la tête et la mit dans le sac avec la hache.

Un air de tango émergea progressivement du néant. Avec lui vint une conscience qui prenait de l’ampleur à mesure que la musique devenait plus forte. Leda avait la bouche particulièrement sèche, comme tous les matins, c’était dû aux médicaments. Un brouhaha incohérent se manifesta rapidement alors que chacun se levait difficilement. Il y avait déjà la queue pour se changer, dans un recoin avec un rideau pour l’intimité. Elle était plutôt du genre à prendre sa douche le matin que le soir, alors elle se dirigea vers la salle d’eau pour femmes. Il n’y avait encore personne alors elle se dépêcha de se déshabiller et de se laver. Alors qu’elle venait de se changer quelqu’un l’interpella:

  • “Leda ! Tu as entendu ? Quelqu’un s’est fait décapiter, ils n’ont pas retrouvé la tête”, fit une femme de son âge qui semblait la connaitre.

  • “Où ça ? C’était qui ? Qui t’as dit ça ?”, répondit elle rapidement, même si elle ne se rappelait pas de son interlocutrice.

  • “Je l’ai entendu de deux personnes de l’aile ouest alors que je revenais de corvée. Elles l’ont vue de leurs propres yeux en revenant elles mêmes de leurs rotation de nuit, c’était rue de Rennes. Ça devait être quelqu’un d’important parce que le lieu grouillait de gendarmes. Si c’était l’une de nous, ils nous auraient déjà jetés dans la Seine. On prend notre petit déjeuner ensemble?

  • Non désolé je n’ai pas le temps, je dois me présenter à l’infirmerie avant ma rotation, un simple électrocardiogramme.” Leda remercia la femme et s’excusa.

Le métro qu’elle prenait à la station Montparnasse où elle logeait ne desservait plus qu’un nombre limité de stations. Elle devait s’arrêter à Châtelet puis prendre la ligne 14 jusqu’à la bibliothèque François Mitterrand. Être dans un tram vide, sans passagers ni conducteur était une expérience étrange. Néanmoins sa solitude fut brisée lorsqu’elle sortit à l’extérieur et atteignit le bâtiment de la bibliothèque. Un groupe de gendarmes l’interpella, vérifia son identité puis la laissa entrer. Elle fit son examen et se dirigea dans une salle où se trouvait une douzaine de personnes en pleine commotion. Elle les salua et leurs adressa la parole:

  • “Que se passe t’il ? Il manque quelqu’un non ?

  • Oui”, lui répondirent ils presqu’en coeur, “il manque Bastien et Léa.

  • Personne ne les a vus ce matin ? Je suis plutôt en retard, ils devraient déjà être là.

  • Non, je prends le métro avec Léa et elle n’était pas là ce matin,” répondit un jeune homme en haussant la voix par dessus les discussions passionnées de ses camarades.

  • Silence, tous à vos places, nous allons commencés,” fit une femme d’âge mûr en entrant.

Chacun s’assit rapidement et sortit le nécessaire pour prendre des notes. Le professeur commença:

  • “Lors de la dernière leçon nous avons parlé des cataclysmes écologiques qui ont frappé le monde lors des deux dernières décennies, en particulier des inondations qui ont englouti un dixième du territoire, créant un exode massif vers les terres plus hautes épargnées par la montée des eaux. Aujourd’hui nous parlerons de la Sélection, une initiative qui avait pour but d’effectuer la tâche moralement difficile de sélectionner ceux qui auront accès à la sécurité et aux infrastructures des villes non affectées, à l'abri derrière leurs fortifications. Quelqu’un aurait il une idée de comment ce processus fut mis en application ?

  • En utilisant l’intelligence artificielle ?” répondit une femme derrière Leda.

  • “C’est un peu vague, mais ce n’est pas incorrect. Les millions de réfugiés étaient une véritable menace pour le peu de ressources et de places d’une ville comme Paris. Et malgré la production de nourriture synthétique, il n'y avait pas le rendement pour nourrir une telle population. L’argent n’avait déjà plus de valeurs alors que l’ordre laissait place au chaos. La loi martiale fut prononcée et une junte fut mise en place, c’est la naissance de la ville libre de Paris. Mais pour en revenir à la Sélection, chaque citoyen se devait de contribuer à l’effort commun, et comme le nombre de places était limité, il fallait un moyen de trouver rapidement ceux qui apporteraient le plus de la valeur à la société. La solution fut d’utiliser les données enregistrées par les différentes intelligences artificielles, et de mettre en place des équipes d’intervention de la gendarmerie et de l’armée afin de les extraire et de les ramener ici.”

Quelqu’un entra et demanda que Leda l’accompagne, elle s’exécuta. A l’extérieur on lui annonça qu’elle était mutée à un différent lieu, effectif immédiatement, deux gendarmes l’accompagnèrent à la sortie.

Publié le 26/08/2025 / 2 lectures
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