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On ne s'est pas embrassé

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Un après-midi de juillet, elle a voulu me faire découvrir les galeries Saint-Hubert. Devant le cinéma et sa façade Art déco datant d’une époque où l’on semblait ne pas regarder à la dépense, Ana et moi nous sommes retrouvés hors du temps, en pleine période glamour. Je ne me rappelle pas quel film nous allions voir, mais je me souviens que nous n’étions que nous deux dans la salle pour le regarder ! Encore au début de notre histoire, un peu gênés, un peu gauches, j’ai seulement fini par poser ma main sur la sienne après d’interminables hésitations, mais nous ne nous sommes pas embrassés. Quand même pas ! Elle aurait mal pris que j’essaie, j’ai pensé. A 16 ans, on s’embrasse au ciné, à 36, je serais passé pour un attardé. Et puis, échanger un baiser l’un à côté de l’autre, ça ne doit pas être très confortable surtout pour Ana aimant ce qui est moelleux, l’ouate, la douceur. Imaginons que ça pût être indolore. Étant à droite d’Ana, après m’être penché vers elle, je n’aurais pas su dans quel sens incliner la tête, dans quel sens incliner la tête sans hésiter parce qu’en cas d’hésitation la tentative s’en serait retrouvée burlesque. Il aurait fallu que, résolu, je me sois penché. Je l’aurais alors possiblement vue me regarder avec, dans les yeux, la question : « Mais qu’est-ce qu’il essaie de faire ? » ou « Mais pourquoi ne le fait-il pas ? » ou, pire encore, elle aurait pu s’écarter un peu sur sa gauche pour simplement continuer à regarder tranquillement le film. En excluant la troisième hypothèse, j’aurais tranché à droite ou à gauche avant de tendre mes lèvres vers les siennes, ce qui leur aurait inévitablement donné l’apparence d’une sorte d’entonnoir ridicule, grotesque, éliminatoire. On ne s’est pas embrassé cet après-midi-là.

 
 

Publié le 07/08/2024 / 15 lectures
Commentaires
Publié le 07/08/2024
Bonjour, alors c'est plus fort que moi mais à la lecture, ton narrateur me fait penser à Antoine Doinel dans "Baisers Volés", en tout cas, je l'imagine comme ça. Particulièrement pour les expressions comme "ridicule, grotesque, éliminatoire" comme s'il risquait une erreur fatale. L'histoire ne dit pas s'il répète devant une glace le nom d'Ana comme Antoine qui répète "Fabienne Tabard" et "Christine Darbon". Les règles qu'invente ton narrateur me semblent drôlement limitantes " À 16 ans on s'embrasse dans un ciné, à 36 je serais passé pour un attardé". Ça me semble tellement bizarre, on a l'impression que les personnages jouent des rôles très définis comme au tango et que ton personnage craint un faux-pas amoureux comme un faux-pas social. "Elle aurait mal pris que j'essaie, j'ai pensé": mais pourquoi il ne lui demande pas tout simplement son avis? Mystère.
Publié le 07/08/2024
C'est marrant ! Pourquoi il ne lui demande pas ? Mais parce que c'est très dur de verbaliser tout ce qui tourne autour du couple, non ? En tout cas pour ma chérie et moi, ça l'est. Ça ne se fait pas de demander "ça te dérange si je te roule une pelle ?" ou encore "Aujourd'hui j'aimerais qu'on le fasse comme ceci ou comme cela." Ce n'est pas dans ma culture. Je ne dis pas que ce n'est pas bien. J'ai un avis là-dessus, mais je dis pas que c'est une mauvaise idée. C'est juste inaccessible pour nous. En ce qui nous concerne, c'est la verbalisation du désir qui est extraordinaire. Merci pour ta lecture et ton commentaire ! ;-)
Publié le 07/08/2024
Hello, oui ma remarque peut sembler naïve mais j'essaie seulement de comprendre ton personnage que je trouve anxieux. Par ailleurs, d'une manière plus générale, j'ai l'impression que le "est-ce que je peux t'embrasser" devient une norme de plus en plus répandue pour éviter ce genre d'angoisse et enfin pour éviter toute "zone grise". Les ados que je croise lisent et parlent beaucoup du "consentement" et un "consentement" se verbalise, ils ont raison, c'est logique. Je n'ai jamais entendu parler de consentement ado dans les années 90. Comme tu dis, ce sont deux cultures différentes.
Publié le 08/08/2024
Oui. Sans doute la dernière génération n'agit plus comme la mienne. Il ne s'agissait que d'un extrait qui ne précisait pas l'époque. Je veillerai à ce que ce soit clair. ;-) Merci !
Publié le 08/08/2024
Tout est clair dans ton texte (voir le commentaire plus bas). Je ne suis simplement pas douée avec les romances mais c'est une infirmité somme toute anecdotique dans un monde qui lit beaucoup de romances actuellement. À mon avis, tu devrais prêter attention à l'opinion de quelqu'un qui comprend ce type de texte (et ce type de situation)^^^.
Publié le 08/08/2024
La pression du premier baiser qui semblait conditionner toute la suite y est assez bien retranscrit, et puis le fameux cinéma avec cette pénombre permettant de ne pas se sentir trop gauche, profitant d’une ambiance intime. Tu es à l’aise sur ces récits qui te réussissent très bien Patrice, à plus tard.
Publié le 08/08/2024
En fait, je crains de ne pas être capable d'écrire quoi que ce soit d'autre. Mais je ne me plains pas. C'est mieux que rien. Merci pour ta bienveillance comme toujours. ;-)
Publié le 14/08/2024
Tout ce qui nous traverse. Anticiper tant qu'on n'ose plus... Commence la délicieuse attente avant le premier baiser. La suite, s'il vous plaît !
Publié le 14/08/2024
Merci beaucoup Sophiak pour ta lecture et ton commentaire. La suite et ce qui précède se trouve notamment dans "Ambre gris". C'est l'histoire d'un jeune homme déçu par un premier amour adolescent qui va ensuite sombrer dans l'amour des toxiques avant de finalement, à 36 ans, rencontrer celle qui en fera le président des États-Unis ou tout comme. ;-) De nombreux extraits se trouvent sur ce site. Et puis Léo a chroniqué l'ensemble publié. ;-)
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