Un après-midi de juillet, elle a voulu me faire découvrir les galeries Saint-Hubert. Devant le cinéma et sa façade Art déco datant d’une époque où l’on semblait ne pas regarder à la dépense, Ana et moi nous sommes retrouvés hors du temps, en pleine période glamour. Je ne me rappelle pas quel film nous allions voir, mais je me souviens que nous n’étions que nous deux dans la salle pour le regarder ! Encore au début de notre histoire, un peu gênés, un peu gauches, j’ai seulement fini par poser ma main sur la sienne après d’interminables hésitations, mais nous ne nous sommes pas embrassés. Quand même pas ! Elle aurait mal pris que j’essaie, j’ai pensé. A 16 ans, on s’embrasse au ciné, à 36, je serais passé pour un attardé. Et puis, échanger un baiser l’un à côté de l’autre, ça ne doit pas être très confortable surtout pour Ana aimant ce qui est moelleux, l’ouate, la douceur. Imaginons que ça pût être indolore. Étant à droite d’Ana, après m’être penché vers elle, je n’aurais pas su dans quel sens incliner la tête, dans quel sens incliner la tête sans hésiter parce qu’en cas d’hésitation la tentative s’en serait retrouvée burlesque. Il aurait fallu que, résolu, je me sois penché. Je l’aurais alors possiblement vue me regarder avec, dans les yeux, la question : « Mais qu’est-ce qu’il essaie de faire ? » ou « Mais pourquoi ne le fait-il pas ? » ou, pire encore, elle aurait pu s’écarter un peu sur sa gauche pour simplement continuer à regarder tranquillement le film. En excluant la troisième hypothèse, j’aurais tranché à droite ou à gauche avant de tendre mes lèvres vers les siennes, ce qui leur aurait inévitablement donné l’apparence d’une sorte d’entonnoir ridicule, grotesque, éliminatoire. On ne s’est pas embrassé cet après-midi-là.