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Ce fut la seconde semaine de mai que Jane, Elisabeth et Maria quittèrent Londres pour retourner dans le Hertfordshire. En arrivant dans la ville de X**, où la voiture de Mr. Bennet les attendait, elles aperçurent à une fenêtre de l’auberge Lydie et Catherine qui étaient venues à leur rencontre. Elles s’amusaient à observer tous les mouvements d’une sentinelle, et à préparer une salade de concombres.
Après avoir embrassé leurs sœurs, elles les conduisirent en triomphe auprès d’une table couverte de tous les mets froids qu’elles avaient pu trouver dans l’auberge, et s’écrièrent : n’est-ce pas joli cela ? N’est-ce pas une surprise agréable ?
— Nous avons l’intention de bien vous traiter, ajouta Lydie, mais il faut que vous nous prêtiez de l’argent ; nous avons dépensé tout le nôtre dans cette boutique. Je veux vous montrer mes emplettes : voyez, j’ai acheté ce bonnet ! Je ne le trouvais pas très joli, mais n’importe ; j’ai pensé que je pouvais bien le prendre également. Lorsque je serai à la maison, je le déferai et je tâcherai d’en faire quelque chose de mieux. Ses sœurs avouant qu’elles le trouvaient fort laid, elle ajouta avec une insouciance complète : oh ! il y en avait encore de bien plus laids dans cette boutique ; mais lorsque j’aurai acheté de jolis rubans roses pour le garnir, il sera passable ; et d’ailleurs, c’est bien égal quoiqu’on porte cet été, le régiment quitte Meryton dans quinze jours.
— En vérité ! s’écria Elisabeth avec le plus vif plaisir.
— Ils vont camper près de Brighton, et je supplierai bien mon père de nous y mener cet été ; ce serait un voyage délicieux, je crois qu’il ne nous coûterait pas grand-chose. Maman a aussi grande envie d’y aller. Figurez-vous le triste été que nous allons passer sans cela !
— Oui, pensa Elisabeth, ce serait un voyage délicieux, et surtout bien convenable ! Grand Dieu ! à Brighton, au milieu d’un camp de soldats ! nous à qui un simple régiment de milice, et quelques bals à Meryton ont déjà fait tant de tort !
— J’ai bien des nouvelles à vous apprendre, dit Lydie, lorsqu’on se mit à table ; devinez ce que c’est ! ce sont d’excellentes nouvelles, de grandes nouvelles, sur quelqu’un que nous aimons tous ! Jane et Elisabeth se regardèrent, et firent signe au domestique qui les servoit, qu’on n’avait pas besoin de lui.
Lydie se mit à rire et dit :
— Oh voilà bien votre prudence, vos précautions ! Vous trouvez que le domestique ne doit pas nous entendre, comme s’il y pensait seulement ! Je vous assure qu’il entend souvent des choses bien pires que celles que je vais vous dire. Au reste, il est si laid, que je suis fort aise qu’il soit sorti ; je n’ai de ma vie vu un si long menton ! Mais venons-en à mes nouvelles, elles concernent le cher Wikam. Il n’y a plus à craindre qu’il épouse Mary King ! Elle est allée auprès de son oncle à Liverpool, où elle doit rester longtemps. Ainsi, Wikam est sauvé ! et vous pouvez reprendre de l’espérance.
— Et Mary King est sauvée, pensa Elisabeth, sauvée et sa fortune aussi !
— Elle est bien bête d’être partie, reprit Lydie, si elle l’aimait.
— J’espère qu’il n’y avait pas un attachement bien vif d’un côté, ni de l’autre, dit Jane.
— Je suis sûre qu’il n’y en avait pas du côté de Wikam et qu’il ne s’en est jamais soucié. Qui se soucierait d’une laide petite personne toute tachée de rousseurs ?
Dès qu’elles eurent dîné et que les deux aînées eurent payé, on fit atteler la voiture. Ce fut avec bien de la peine que toute la société, avec les malles, les paquets, les sacs d’ouvrage, et la fâcheuse augmentation des emplettes de Lydie et de Kitty, put enfin s’y placer.
— Comme nous sommes entassées ! s’écria Lydie ; je suis bien aise d’avoir acheté mon bonnet, quand ce ne serait que pour avoir un embarras de plus ! C’est égal ; serrons-nous encore un peu pour être mieux, et causons et rions jusqu’à ce que nous arrivions à la maison ; pour commencer, racontez-nous tout ce qui vous est arrivé depuis votre départ. Avez-vous vu des hommes agréables ? Vous ont-ils fait la cour ? J’avais bien espéré qu’une de vous, au moins, trouverait un mari avant de revenir. Jane, vous serez bientôt une vieille fille ; vous avez presque vingt-trois ans. Ah ! Seigneur, que je serais honteuse si je n’étais pas encore mariée à vingt-trois ans ! Vous ne pouvez imaginer combien ma tante Phillips est fâchée que vous ne soyez pas encore mariées ; elle dit que Lizzy aurait dû prendre Mr. Collins ; moi je crois que cela n’aurait pas été très gai, très divertissant. Ah ! mon Dieu, que je voudrais être mariée avant vous toutes ! Alors je vous servirais de chaperon dans tous les bals. À propos, nous nous sommes bien amusées l’autre jour chez le colonel Forster ; nous devions y passer toute la journée Kitty et moi, et Mr. Forster nous avait promis qu’on danserait le soir (par parenthèse je suis très bonne amie de Mr. Forster), il invita les deux Harrington ; Harriet était malade, et Pia vint seule. Que croyez-vous que nous fîmes alors ? Nous habillâmes le valet de chambre en femme, dans l’intention de le faire passer pour une grande dame ; figurez-vous comme cela était divertissant ; il n’y avait dans la confidence que le colonel Forster, sa femme, Kitty et moi, et puis ma tante, car nous fûmes obligés de lui emprunter une robe. Vous ne pouvez vous imaginer quelle mine il avait ! Quand Denny, Wikam et Pratt et quelques autres encore arrivèrent ; ils ne le reconnurent pas du tout. Ah ! mon Dieu, comme j’ai ri ; j’ai cru que j’en mourrais ; aussi cela fit soupçonner quelque chose à ces Messieurs, et ils devinèrent bientôt ce que c’était.
C’était avec de tels récits de ses divertissements et de ses plaisanteries avec ses amis les officiers, que Lydie, aidée de Kitty, cherchait à amuser ses sœurs pendant la route jusqu’à Longbourn. Elisabeth écoutait peu ; cependant le nom de Wikam, souvent répété, ne lui échappait point.
Elles furent reçues très tendrement par leurs parents. Mistriss Bennet était charmée de voir que Jane n’avait rien perdu de sa beauté, et Mr. Bennet dit plusieurs fois à Elisabeth, pendant le dîner :
— Je suis bien aise que vous soyez de retour, Lizzy.
La société fut très-nombreuse après le dîner, car presque tous les Lucas vinrent pour chercher Maria. La conversation était fort animée. Lady Lucas demandait à Maria, à travers la table, si la basse-cour de Mistriss Collins prospérité ; Mistriss Bennet faisait raconter à Jane les modes du moment, et les répétait ensuite aux plus jeunes Miss Lucas ; Lydie, d’une voix qui retentissait par-dessus toutes les autres, disait à qui voulait l’entendre, leurs plaisirs de la matinée.
— Oh ! Mary, disait-elle, j’aurais voulu que vous fussiez avec nous ; nous nous sommes si bien amusées ! en allant, Kitty et moi, nous voyions tous les aveugles qui se rangeaient sur notre passage ; et puis nous faisions comme s’il n’y avait personne dans la voiture ; et nous aurions continué ainsi tout le long de la route, si Kitty n’avait pas été malade. En arrivant dans l’auberge, nous avons agi très magnifiquement, car nous avons reçu les trois voyageuses avec le plus beau déjeuner froid du monde, et si vous étiez venue nous vous aurions régalée de même. Quand il a fallu revenir c’était une véritable comédie ; j’ai cru que nous ne pourrions jamais entrer toutes dans la voiture ; j’ai pensé mourir à force de rire ; nous avons été si gaies pendant le chemin, nous parlions et nous riions si fort, qu’on aurait pu nous entendre à dix milles de là.
Mary répondit gravement :
— Loin de moi, ma chère sœur, de chercher à déprécier de tels plaisirs ; ils ont sans doute beaucoup d’affinité avec le goût des femmes en général ; mais j’avoue qu’ils n’auraient aucuns charmes pour moi ; je préfère infiniment un livre. Lydie n’entendit pas un mot de cette réponse ; elle écoutait rarement les gens plus d’une demi-minute, et, pour Mary, elle ne l’écoutait jamais. Elle fut très-pressante, dans l’après-midi, pour engager ses sœurs à aller avec elle à Meryton voir ce qui s’y passait ; mais Elisabeth s’y opposa fermement. Il ne sera pas dit, pensa-t-elle, que les Miss Bennet ne peuvent pas être une demi-journée, après leur retour, sans courir après les officiers ; elle craignait aussi de revoir Mr. Wikam, et était décidée à l’éviter autant qu’elle le pourrait, jusqu’au départ du régiment.
Elle ne fut pas longtemps sans s’apercevoir que le projet d’aller à Brighton, dont lui avait parlé Lydie à l’auberge, était le sujet de fréquentes discussions entre ses parents ; elle vit que son père n’avait pas la moindre intention de céder ; mais ses réponses étaient si vagues, que sa mère, quoique souvent découragée, ne désespérait cependant pas de réussir.