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Sphinx - Une histoire du Sunset Palace — extrait—

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Ce texte participe à l'activité : Le gardien du seuil

La première fois que j’ai croisé Lucie, c’était au Sunset Palace. Les discothèques ne me plaisaient pas, mais être videur de boîte restait le seul job étudiant compatible avec des études prolongées : étudiant en D.E.A de philosophie le jour, physionomiste au Sunset Palace la nuit. J’avais postulé dans les ressources humaines comme recruteur de talents, seulement pour voir l’accueil que j’y obtiendrais, et mon C.V. leur plaisait.

Points forts : communication, logique, esprit d’analyse, sens du détail.

Les qualités qui faisaient de moi le « physio » idéal de la boîte de Marco collaient bien avec les ressources humaines. L’expérience, je l’avais déjà : d’entrée de jeu, je recrutais les bons clients et je décelais les candidats aux embrouilles. Exit donc les bandes vindicatives, les allumeuses, les éméchés chroniques et les gamines de 15 ans maquillées pour en paraître 18… mais voilà, « j’attendais d’avoir fini mon D.E.A avant de passer à un autre défi » — du moins c’est ce que j’avais annoncé au recruteur des R.H., séduit par les points forts de mon C.V. : communication, esprit d’analyse, sens du détail.

Le même recruteur avait jugé mon report de candidature tout à fait acceptable. Il faut dire que j’avais donné une raison tout à fait raisonnable aussi : « finir ce que j’avais commencé » — autrement dit achever ce D.E.A avant de postuler chez eux aux ressources humaines. La candidature qui avait retenu toute leur attention, je la lui reproposerai avec succès quelques mois plus tard quand j’en aurai fini avec les richesses humaines inépuisables de la boîte de Marco…

Le hic : je n’avais pas envie de quitter mon poste au Sunset. Je gardais pour moi la véritable raison pour laquelle je ne me sentais pas prêt à lâcher mon travail de physionomiste. Marco m’avait laissé ma chance quand je n’avais encore rien dans les mains. L’entreprise dans laquelle je travaillais restait familiale et enfin, j’aimais travailler sur le seuil au contact des personnes davantage que dans un bureau. D’ailleurs, Marco, mon patron, le gérant du Sunset, avait l’âge d’être mon oncle et dirigeait sa boîte comme une équipe de foot : il aimait le contact humain tout en restant sévère. En m’embauchant, il m’avait dit qu’il ne supportait pas « les passoires » chez les « physio ». Il n’appréciait pas davantage le copinage avec les clients chez ses employés. En quelques années de boîte, j’étais devenu « chevronné » chez lui et je ne voulais pas devenir un débutant ailleurs : j’avais fait mes preuves sur le seuil du Sunset Palace : chaque soir, je bloquais les boulets avec grâce, je m’en sortais toujours avec des pirouettes dignes d’un Maradona de la communication. Mon sourire énigmatique laissait les naufragés des soirées totalement dépités. Je n’étais pas méchant, j’étais pire : personne ne déchiffrait jamais mes raisons de « refuser » une entrée car je tenais à rester énigmatique et mystérieux. « Si on te demande tes qualités ; je dirais : ‘communication, esprit d’analyse et sens du détail’ » — avait déclaré Marco, qui me connaissait presque mieux que moi-même. Je ne laissais rien passer. Dans la ville, j’étais une célébrité, certains me détestaient car je pourrissais leur samedi plusieurs semaines d’affilée. Pourtant, ma mission était simple : n’attraper que des personnes susceptibles de « consommer » — autrement dit des personnes sobres, stylées et solvables. Voilà tout le mystère que je cachais sur le seuil de cette boîte.

 

 

En somme, si j’avais carte blanche pour définir le « style » et la « sobriété » du Sunset, j’aurais pu dire qu’il fallait se trouver suffisamment renfloué pour acheter des consommations mais sans pour autant ressembler à un père de famille en promenade du dimanche. Un détail moche ou une phrase méprisante décidait du devenir de la soirée. D’un regard, je garantissais l’ambiance de la boîte de Marco : je recrutais les richesses humaines qui se présentaient à l’entrée et je les composais en bouquet chaque soir. D’un mot, j’écartais une personne qui, toute seule, aurait été parfaite car elle n’entrait pas bien dans cette composition florale éphémère de la fête. Combien de fois ai-je regretté de ne pas sélectionner une personne qui aurait été splendide mais qui se trouvait entravée par son environnement. Peu de temps avant la fin de mes études, une belle âme mal entourée se présenta sur le seuil.

Un soir, je la vis débarquer devant l’entrée de la boîte. Elle. Son visage enfantin m’a tout de suite plu. Ses yeux intelligents se perdaient parmi une bande de gamines si maquillées qu’elles en faisaient presque peur. Son groupe — « 15 ans maquillées pour en paraître 18 » — ne passerait pas l’entrée et j’en étais désolé pour elle car cela ne fait jamais plaisir de dire « non », mais son groupe ne plaidait pas en faveur d’une entrée.

En détaillant Lucie, je m’aperçus qu’elle portait bien son nom. « Lucie » : une jeune fille fraîche, lumineuse avec du vernis nacré sur des ongles rongés. Une gamine. Une gamine un peu anxieuse flanquée d’une fille qui la dépassait d’une tête, une brune très maquillée et forte en gueule. Une fois à ma hauteur, Lucie se confia à moi comme si nous nous étions toujours connus. Avant que je n’aie rien pu lui dire, elle semblait m’aimer en m’accordant une confiance embarrassante. J’ai rarement vu fleurir une si belle confiance dans le genre humain chez une si jeune personne. Aussitôt, elle me présenta la fille qui la dépassait d’une tête comme « sa meilleure amie ». Mince. Quel mauvais entourage ! Flattée par la tournure que prenait la discussion, la prétendue meilleure amie de Lucie afficha une connivence avec moi et se présenta comme une « habituée du Sunset Palace ». Celle-là pense que c’est gagné avec moi parce que j’apprécie sa meilleure amie, mais pas du tout.

 

Alors, certes, la meilleure amie de Lucie, je l’avais croisée quelques fois, mais dire qu’elle était une « habituée » du Sunset relevait de l’erreur de stratégie. Dans notre bar de nuit-discothèque, il n’y a jamais aucun « habitué », seulement des clients. Le patron reste ferme sur le sujet.

Marco m’avait prévenu :

— Les clients, quand ils se disent « habitués » à l’entrée, c’est pour mieux t’entuber. Ceux-là, ils imaginent que tout leur est dû parce qu’ils sont venus quelques fois. Tu les as laissés entrer une fois alors tu leur dois l’entrée pour toujours. Les boissons leur sont dues parce que c’est leur anniversaire.

En un mot, dès qu’un client commence à imaginer qu’il est le roi, il faut le recadrer : rien ne lui est dû. Personne ne doit rien à personne. En ce qui me concerne, je suis le « connard de physio du Sunset », je ne dois ni des explications, ni des entrées à qui que ce soit. Ici, nous ne devons rien à personne. Les clients ne sont pas rois et ceux qui pensent cela perdent toujours leur couronne sur le seuil. Je garde le seuil : j’y veille personnellement.

À ce moment, la brune aux ongles rouges et aux talons hauts s’adressa à la cantonade d’une voix bien sonore en leur assurant :

— Avec moi vous allez tous rentrer.

Nous y voilà. Une « Madame tout m’est dû » repérée dans la file. Petite présomptueuse…

En disant cela, cette fille volubile qui se cramponnait à toutes les opportunités venait de perdre le droit d’entrée.

— Avec elle vous allez tous rester dehors.

Ni elle ni sa petite bande ne passerait le seuil du Sunset Palace. Voilà une espèce de mauvais client à arracher comme du liseron.

J’avais ma phrase toute faite et, comme tout recruteur, je garderais mes raisons pour moi : « Désolé mesdames, mais pas ce soir ».

Alors que la grande brune hurlait au scandale, je vis la petite Lucie qui commençait à pleurer doucement parmi les gamines peinturlurées. Elle me regardait avec un regard de cocker trahi, comme si se présenter naïvement au physio suffisait à passer l’entrée d’une boîte comme la nôtre. Livrer son âme la rendait juste vulnérable cette petite, mais ça ne changeait rien à une décision qui ne dépendait pas de moi mais des directives de Marco.

— C’est injuste ! Vous ne pouvez pas nous refuser l’entrée, c’est de la discrimination ! — asséna une troisième collégienne, une petite rousse teigneuse.

Discrimination, vraiment ?

Il suffisait de prendre leurs cartes d’identité à ces morveuses et, bingo ! 14 ans et 8 mois pour la petite Lucie Chipotte aux ongles rongés et sa copine Sarah Ventura aux talons hauts, 15 ans et 3 mois. Même pas la peine de vérifier la carte de la rousse. Allez, hop, tout le monde dehors : pas de mineures non accompagnées au Sunset !

— Pas de vente d’alcool aux mineurs, c’est la loi.

Lucie insista :

— Je vous promets, si je rentre, je ne boirai que du coca-cola.

— C’est non.

La brune insista :

— D’habitude je rentre toujours. Vous me reconnaissez, non ? Je viens avec mon frère chaque week-end, je rentre toujours alors pourquoi cette fois pour moi c’est non ?

Je joue au disque rayé jusqu’à épuisement de la partie adverse : sourire énigmatique, regard de sphinx.

— Votre copine “Lucie” et vous, vous avez moins de 16 ans, revenez accompagnées d’un adulte la prochaine fois.

Elles auraient pu être aimables ces filles, mince à la fin, j’avais donné mes raisons alors que je ne leur devais rien. L’ingratitude des personnes me gêne dans mon travail.

 

Le samedi suivant, Lucie retenta le coup avec sa bande de copines. Cette fois, Lucie se présenta maquillée comme sa copine brune. Elles avaient suivi mes conseils en venant accompagnées d’une bande de gars visiblement majeurs. Le petit trio avait dû penser qu’accompagnées de mecs majeurs, elles passeraient l’entrée du Sunset. Certes, Lucie aurait bien pu entrer incognito au Sunset mais je ne pouvais ignorer son âge à présent que j’avais regardé sa carte d’identité. Qui est ce mec bourré majeur à côté de Lucie : peut-être était-ce le prétendu « habitué », le frère de la brune, Sarah ?

— Votre carte d’identité ! — dis-je en m’attardant sur le visage trop blanc de Lucie, déguisée en colombine à facettes. L’enlumineur en bâton bleuté avait fait des ravages aussi sur le visage de la rousse vindicative.

— C’est définitivement de la persécution — lança la protestataire rousse habituelle maquillée en licorne bleutée.

Avec un grand sourire, j’ajoutai à destination de la bande de filles :

— Non ce n’est pas de la persécution, c’est de la discrimination sur l’âge. Votre copine Lucie même maquillée reste toujours mineure, elle a toujours moins de 16 ans comme samedi dernier. La preuve : « Lucie Chipotte, 14 ans et 9 mois ».

— Vous pouvez me dire pourquoi c’est toujours sur Lucie que ça tombe ? — me balança la rousse.

La petite Lucie commença à se morfondre. La jolie victime parfaite. Elle apparut mortifiée quand Sarah, qui semblait diriger la bande, lui lança avec un regard assassin :

— Tu nous portes la poisse Lucie, même fringuée et maquillée correctement, il n’y a rien à faire avec toi.

Si on m’avait demandé mon avis, je n’aurais pas dit que Lucie était fringuée correctement ce soir justement parce qu’elle semblait être déguisée en sa copine Sarah. Toutes les filles de cette bande portaient le même déguisement. Toutes semblaient des copies un peu ratées de Sarah la « grande gueule » et si je comprenais le fonctionnement de leur bande, cette « grande gueule » de Sarah devait décider de ce qui était correct en matière de mode. Aïe, aïe, aïe. Malheureusement pour Sarah et pour ses clones, au Sunset, c’est moi qui décide de ce qui est correct en matière de client et ce soir, c’est encore non. Ni style, ni sobriété, ni solvabilité. Dehors les gamines !

 

À mon refus définitif, leur groupe retourna d’où il venait en tempêtant contre « cette boîte de merde », le « Sunset Palace ».

— Ça en a perdu, hein, c’est plus ce que c’était — vociférait le prétendu habitué éméché.

— Vous allez perdre des clients — ajouta-t-il en me pointant du doigt en titubant.

— Pas de souci car des clients respectueux, nous en avons aussi chaque soir — lui répondis-je, impassible.

Pas grave, des mauvais perdants, j’en récolte chaque soir. Certes, il vaut mieux renoncer à quelques entrées pour éviter beaucoup d’ennuis. Des mineures accompagnées d’hommes éméchés : voilà le combo gagnant pour ternir notre réputation de boîte chic. Nous refoulons toujours les hommes saouls — surtout ceux qui boivent dès la file d’attente — et surtout s’ils traînent avec des gamines. Ces gars-là, je les vois venir à 100 mètres comme s’ils étaient surmontés d’un panneau. Ces personnes-là sont des dangers pour la respectabilité et renommée de notre établissement.

 

Trois samedis après notre première rencontre, je distinguais la même petite Lucie sur le seuil de la boîte de nuit : cette fois-ci elle se trouvait parfaitement seule. Elle venait me parler et déverser son sac de reproches. Ce soir-là, elle ne portait pas de déguisement. Elle ne voulait pas rentrer. Elle venait seulement vider son sac.

— À cause de vous j’ai perdu ma meilleure amie Sarah. Elle ne m’invite plus et elle ne veut même plus me voir en ville. Elle a dit à tout le collège que je portais la poisse et voilà qu’à cause de vous je n’ai même plus d’amies.

Je fis un geste au videur en désignant un groupe d’hommes éméchés à évacuer derrière Lucie avant de la prendre à part sur le seuil. La file était bondée mais je pouvais toujours me permettre un aparté si on s’adressait à moi personnellement.

C’est à ce moment que tout a basculé. Au lieu d’ignorer la gamine éplorée comme j’aurais dû, je l’ai écoutée. En fait, je me suis même entendu perdre 5 minutes à lui répondre pour indiquer :

— 1er étage, derrière le rayon « philo générale ». Promis, je répondrai à toutes tes questions existentielles sur l’absence d’amis mais là, je travaille, je suis employé pour trier les entrées de la boîte et le videur ne fera pas mon travail de sélection à ma place : je n’ai pas le temps, va-t’en.

Marco s’était approché de nous.

— Qu’est-ce qu’elle te veut cette gosse ?

— Figure-toi que j’ai ruiné sa vie en la refoulant deux fois de suite avec sa bande de copines mineures et qu’à cause de moi elle n’a plus d’amis. Je lui ai donné rendez-vous hors de mon temps de travail.

— Depuis quand tu fais dans le sentiment ? T’es psy pour ado maintenant ?! — s’esclaffa-t-il.

Marco s’en alla en haussant les épaules d’un air bougon.

— Remarque, si tu veux faire dans le sentiment, ça te regarde après tout ! — maugréa-t-il en s’éloignant.

D’habitude je ne fais pas dans le sentiment : alors peut-être par lâcheté car je ne supporte pas les pleurs que je sentais venir sur sa petite figure d’enfant, peut-être par pitié, je répétai à Lucie Chipotte (la bien nommée d’après sa carte d’identité) de venir me rejoindre un mercredi après-midi, le jour des enfants entre 14h00 et 16h00. Honnêtement, je ne pensais pas qu’elle viendrait parce qu’il fallait du courage pour se présenter seule mais elle l’avait fait.

Certes, je suis le physio du Sunset Palace mais j’ai aussi un cœur et au fond de mon cœur, je savais que Lucie me tenait responsable de sa mort sociale. C’est lourd d’avoir la mort sociale d’une collégienne sur la conscience d’autant qu’elle avait l’air désespéré d’avoir perdu tout crédit auprès des filles de son âge.

Autant préciser, même si je ne fais pas dans le sentiment, je ne suis pas un type méchant mais plutôt un homme précis. C’est moi que l’on voit de 9h00 à 12h00 et de 14h00 à 16h00 assis seul à ma table encadrée par deux murs de livres. Ça a beau être une bibliothèque, j’ai quasiment adopté ce lieu et cette table. La bibliothèque universitaire est ma chasse-gardée de jour comme le Sunset est ma chasse gardée de nuit. Pour maintenir une vie saine, je me suis éloigné de mes parents et ma vie est tout à fait réglée : je fais mon footing le matin, de la musculation avec d’autres gars des cités U pour la forme et je retrouve Marco qui est comme mon oncle le soir. Cette boîte de nuit, c’est ma famille. A priori, je ne suis pas l’étudiant en philosophie aux genoux cagneux. Il faut avoir la tête sur les épaules pour travailler dans le milieu de la nuit et les nerfs plus solides encore pour finir un mémoire sous la direction d’un universitaire injoignable. Après un énième mail à mon directeur de mémoire qui resterait sans réponse, elle apparut. À vrai dire, je n’y croyais pas trop. Je ne pensais pas qu’elle viendrait me trouver à ma table de travail habituelle.

Je m’en relevais aussitôt quand j’aperçus une petite figure remplie d’interrogation derrière un rayonnage. Fascinant. Cette petite personne qu’était Lucie Chipotte incarnait l’étonnement. L’interrogation mangeait son visage, ses grands yeux étonnés semblaient emplis de points d’interrogation mais elle demeurait muette et surprise. Peut-être qu’elle non plus ne s’attendait pas à me trouver là.

— Alors, as-tu perdu ta langue ? De jour, est-ce que tu me reconnais ? C’est moi le videur du Sunset, le gars méchant qui a ruiné ta vie sociale en t’interdisant l’entrée dans le club des grands !

À sa tête consternée, je compris que ma plaisanterie ne lui avait pas plu du tout. Lucie semblait inaccessible à l’humour et me tirait une tête de six pieds de long. Elle avait tenté ses essais les soirs précédents et elle venait réellement pour obtenir une réponse. Parler de sa solitude ne l’intéressait pas (elle n’avait pas besoin d’un psy) mais elle cherchait une solution concrète pour être admise dans un club « select ». En bref, je compris qu’elle venait me demander le sésame pour rentrer dans le monde des grandes personnes.

— Dites-moi alors, comment dois-je être habillée pour entrer au Sunset à la fin ?

— Non je ne rêve pas, tu veux vraiment que je te donne « les codes » de la discothèque ? Ça dépend des boîtes et de l’ambiance des boîtes. Ce n’est pas moi qui décide de notre clientèle cible, c’est mon patron. Pour le reste, la fréquentation c’est comme partout : des personnes fausses, dépressives ou droguées, il y en a plein. Les boîtes, c’est peut-être bien pour ceux qui ont du temps à y perdre et de l’argent à y dépenser…

Lucie rétorqua :

— Vous ne répondez pas à ma question : quel est le dress-code pour rentrer au Sunset ?

— Sérieusement, tu crois que l’entrée tient seulement à « un dress-code » ?

Devant nous, des mouvements d’impatience se faisaient entendre de la part des lecteurs de la bibliothèque universitaire : froncement de sourcils, soupirs, bruissement de pages que l’on tourne plus vite par agacement, regards noirs et désespérés de thésards de fond.

J’entraînais Lucie trois étages plus bas devant la machine à café de la fac. Les escaliers défilaient vite devant nous, Lucie suivait ma cadence de footing et mon raisonnement qui gambadait et sautait comme mes jambes.

— Un café ?

— Je ne bois pas de café.

— Un coca-cola alors ?

Je l’amadouais par les sentiments. Elle accepta une canette de coca-cola. Enfin, sans mot dire, je la détaillais avec sa canette dans la main. Elle affichait une mine absente et renfrognée.

— Comment fait-on pour rentrer au Sunset Palace, je peux vous payer s’il n’y a que ça… vous n’avez pas l’air riche… et puis la prochaine fois vous oublierez de vérifier ma carte d’identité si ma tête ne vous revient pas.

De la corruption maintenant ! D’abord, je suis plus riche qu’elle ne le pense puisque Marco me paye bien. Ensuite, elle finissait par m’énerver cette gamine… Restons rationnel.

— Ce n’est pas toi qui reste à l’extérieur du Sunset mais tout ton groupe. Enfin, non, si personne du groupe ne rentre, ce n’est pas de ta faute. Déjà vous êtes mineures et lorsque vous venez accompagnées de majeurs, ils sont bourrés. On dirait que vous le faites exprès. Mon patron me paye pour dire « non » à ce genre d’entrées. C’est mon job, cela n’a rien de personnel.

— Mais Sarah dit bien que c’est moi qui « porte la poisse même quand je suis bien habillée » alors je veux juste savoir quoi me mettre.

— Écoute petite ! Ce que je vais te dire ne te plaira pas mais si tu es grande comme tu veux l’être, tu m’écouteras jusqu’au bout.

Lucie s’assoit sur un banc en métal face au distributeur. Une élève docile. Le discours que je lui tiens produit peu d’effet sur elle. Vous auriez dit comme moi.

— Chère petite Lucie Chipotte, je suis désolé d’être franc avec toi mais tu te voiles un peu la face me semble-t-il : I. Sarah Ventura n’est pas ta meilleure amie, c’est une garce qui n’aime qu’elle-même et ne peut donc pas avoir d’amie. II. Sarah est populaire parce que narcissique ou bien narcissique parce que populaire. III. La cause importe peu : fuis-là. Exemple : comme toute personne qui n’aime qu’elle-même, Sarah ne peut pas être refoulée d’un endroit à la mode. Si cela arrive c’est parce que l’endroit est « une boîte de merde » ou alors que ses copines « portent la poisse ». Implication : Sarah ne se remettra jamais en cause donc je ne vois pas pourquoi toi tu devrais te remettre en cause pour elle. CQFD : Une garce pareille se ment à elle-même, quand elle dit que tu portes la poisse, elle ne se dit pas la vérité et elle ment aussi aux autres.

Lucie écouta mes arguments avec un regard d’aigle avant d’objecter. Tout était peut-être vrai dans ce que je disais mais cela n’enlèverait pas le dommage réalisé à sa réputation. Une disgrâce. Une mise au ban de la société. Une mort sociale. La visite de Lucie n’était qu’une mise en demeure de régler ses ennuis. Je sentais que je devrais lui payer sa note d’une certaine façon mais j’ignorais encore comment.

Étrangement, je me sentais peut-être l’injonction morale de réparer son image que j’avais brisée sur le seuil du Sunset ou plutôt de lui démontrer son erreur de jugement parce que — soyons francs — son image, la petite Lucie Chipotte l’avait brisée elle-même.

Soudain je rencontrais l’idée du siècle.

 

— Si vraiment tu y tiens, je peux te faire rentrer quand tu voudras au Sunset Palace. Si tu veux, je te présenterais même à mon patron Marco.

Lucie me fixa incrédule.

— Alors, je pourrai rentrer ?

— Je parle en dehors des heures d’ouverture évidemment, pas comme cliente.

Elle se renfrogna mais accepta malgré tout le règlement de notre litige.

En y réfléchissant, j’aurais pu demander à Lucie de venir accompagnée de ses parents en boîte pour l’y faire rentrer mais ça aurait été un affront. Alors, je proposais une autre solution. Tout fut convenu un samedi plus tard. Comme je l’invitais à boire un chocolat au décours de la conversation, je pus me rendre compte que sa copine Sarah n’était une garce doublée d’un tyran. Malheureusement, depuis son entrée en 4ème et l’arrivée de Sarah Ventura la nouvelle du collège, Lucie Chipotte s’était retrouvée « venturisée » comme d’autres filles de sa classe. Lucie ne voyait que par Sarah et plus ses parents considéraient Sarah d’un œil méfiant, plus Lucie appréciait Sarah.

Aussi vers 19h00 un samedi soir, Lucie franchit en ma compagnie la porte arrière du Sunset Palace en m’accompagnant pour la première fois sur mon lieu de travail. Rien que cette entrée banale, cet arrière de cour laid avec des bennes à ordures devait déjà désenchanter l’aura des lieux réservés aux adultes. Tout était prévu pour dessiller les yeux de Lucie. Je lui présenterai l’envers du décor : pas le côté « boule à facette » mais bien le côté « sortie de secours près des toilettes ». La vérité crue. La lumière en pleine face. La destruction des idoles. Les coulisses d’un bar de nuit discothèque n’ont rien de glamour mais comme cette boîte avait son machiniste Marco, le roi des effets spéciaux et des stroboscopes, les coulisses de notre caverne réservée aux adultes pouvaient sembler sympathiques. Voilà comment Lucie passa de l’autre côté du miroir pour étudier ce qui s’y trouvait.

Quand elle entra dans le bar, il n’y avait aucune lumière étrange. Elle fut déçue. Marco dressait sa comptabilité sur le comptoir car c’était encore sa matinée.

Il nous fit un café à tous les trois par manie, ce qu’il faisait par habitude pour tenir jusqu’à la fermeture de l’établissement. Lucie accepta le café qu’on lui avait offert d’autorité et le but avec une mine de dégoût qui m’amusa tout à fait. On aurait dit un chat s’approchant d’un bol de tisane d’un air indigné et écœuré. Le café serré : l’adoubement de Marco à la vie des adultes.

Lucie grimaçait encore à cause de l’amertume du café pendant que Marco lui expliquait qu’elle visitait une entreprise comme une autre, un débit de boisson honorable qui respectait les réglementations.

— Ici c’est un lieu correct et mes employés veillent à ce qu’il le reste.

Un physio, deux videurs, des serveurs, un patron au timonier et une centaine de clients triés sur le volet chaque soirée. Lucie comprenait que le Sunset Palace vivait comme n’importe quelle entreprise même si c’était un bar de nuit discothèque.

Lucie comprenait que le Sunset Palace vivait comme n’importe quelle entreprise même si c’était un bar de nuit discothèque. Le lieu n’avait rien de magique : les bars de nuits et les discothèques attirent les papillons de nuits qui s’y brûlent les ailes mais « comme toute entreprise, le Sunset Palace doit rapporter de l’argent » et le gérant garde les pieds sur terre. Marco repoussa le gros classeur de comptabilité puis il sortit un classeur de commandes : enfin il se montra intarissable concernant les achats, les stocks, les marges, les salaires des employés comme il l’aurait fait avec un stagiaire. Lucie se trouva assommée d’informations.

— C’est simple le commerce : il y a des entrées et des sorties et il doit y avoir plus d’entrées que de sorties en termes d’argent.

Lucie écoutait docilement, elle semblait appliquée, fiable et sérieuse.

— Les clients, c’est pareil : ils entrent s’ils peuvent apporter de l’argent, ils sortent s’ils peuvent apporter des ennuis.

Tout semblait logique. Lucie opinait du chef. À l’expression enthousiaste de Marco, je compris que l’oreille attentive de Lucie lui plaisait et qu’il aurait voulu l’embaucher au Sunset comme il l’avait fait pour moi. Marco a réussi dans la vie mais il cherche constamment des admirateurs. Voilà le genre d’homme qui a besoin d’un public.

— Oui, pour les 14 ans ¾ de cette demoiselle, je veux bien lui faire faire le tour du propriétaire du Sunset Palace.

Marco était fier de l’intérêt porté à son entreprise et Lucie semblait l’admirer. Alors il lui montra tout ce qu’elle devait voir :

  • La piste de danse : des lumières dans tous les sens, une boule à facettes et un son à t’exploser les tympans.
  • Les toilettes : lieu où parfois les clients vomissent. Un distributeur de capotes que tu peux peut-être utiliser comme bombe à eau étant donné ton âge…
  • Les tables : lieux de consommation d’alcool et de drague où personne ne s’entend mais s’entendre n’a pas d’importance et se comprendre encore moins.
  • Le seuil : de nuit on ne voit rien mais regarde le nombre de mégots par terre et essaye de prévoir la prévalence des cancers du poumon dans le futur chez nos clients.
  • La cabine du D.J : cet homme-là n’est pas le couteau le plus affûté du tiroir mais il mixe bien. Il juge que la musique n’est jamais trop forte ce pourquoi il est probablement déjà sourd.

 

— Comme tu le vois, voilà mon entreprise — affirma Marco. — Cependant, à mon avis, tu n’as pas le profil de la cliente du Sunset Palace, tu devrais croire mon physio, il s’y connaît. — Marco m’adressa un clin d’œil. — Arrête de vouloir rentrer côté client !

— En revanche, il faut des personnes stables dans ce milieu, des personnes capables d’écouter sans réagir bêtement comme ta grande gueule de copine. C’est un genre de fille à scandale ta copine Sarah, notre établissement n’en veut pas parce que le scandale nuit gravement au commerce comme le tabac aux poumons. Je ne veux pas me retrouver à appeler la police parce que nous avons laissé entrer une bande de mecs qui ne savent pas se tenir avec des mineures toutes seules. Nous voulons des clients, pas des emmerdeurs.

Lucie considéra Marco avec admiration, on aurait dit Dorothée devant le Magicien d’Oz. Cependant, Marco n’envoyait pas de poudre aux yeux. Il ne mentait pas. Il lui fit même une proposition concrète pour racheter sa vie sociale perdue.

— Est-ce que tu voudrais faire ton stage de découverte de la vie professionnelle en 3ème dans mon entreprise ? — lui demanda-t-il soudain. — Je te demande ça parce que j’ai un fils de ton âge qui cherche le sien en ce moment.

La petite Lucie acquiesça sans mot dire.

— Pourquoi pas ?

De mon côté, je revenais à la charge.

— As-tu toujours envie de venir t’amuser avec ton ex-meilleure amie dans ton futur lieu de stage de 3ème ?

Lucie émit un froncement de sourcils :

— En fait, non… je ne traînerai plus jamais avec Sarah. Elle ne voulait plus me voir mais maintenant, c’est moi qui ne veux plus jamais la voir.

Lucie se tourna vers Marco d’un air décidé :

— Et pour le stage, que devrai-je faire ?

— Tu pourrais regarder comment gérer les commandes de boissons auprès des fournisseurs, comment remplir un bon de commande et comment s’assurer de l’intégrité des livraisons, est-ce que ça t’irait ?

Réaliser son stage de 3ème dans une boîte à la mode demeurait le meilleur cadeau que nous pouvions offrir à cette jeune fille refoulée côté « client ».

 

Il était 22h quand je laissai Lucie repartir chez elle avant de prendre mon service sur le seuil. La soirée commençait. Le Sunset Palace venait d’ouvrir ses portes. Sarah et sa meute se trouvaient déjà devant l’entrée. Elles eurent le temps de reconnaître Lucie et de l’apercevoir me faire la bise. Quel ne fut pas leur choc en constatant que Lucie sortait de la boîte où elles désespéraient de rentrer depuis quatre semaines. Pire, Lucie connaissait le physio de la boîte et dans leurs têtes ça voulait dire qu’elle pouvait les faire rentrer quand elle voulait. Bien sûr, elles attribuaient à Lucie un pouvoir qu’elle n’aurait jamais. Comme je l’ai dit : avec moi pas de copinage.

Les filles du groupe de Sarah se regardèrent interloquées. Comment diable cette poisseuse de Lucie était-elle parvenue à rentrer ? Comment avait-elle fait pour être amie avec le physio de la boîte ? Lucie quant à elle semblait apparue là comme par magie, sans attendre l’invitation de Sarah qui ne l’invitait même plus à ses soirées pyjama. Elle s’avança vers son ex-meilleure amie :

— Tu vois Sarah, je porte peut-être la poisse mais je peux rentrer ici quand je veux.

La brune s’étouffa d’indignation et les autres filles regardèrent Lucie avec stupeur.

— Je viens de trouver mon stage de 3ème ici, j’irai même…

La brune explosa de rire en lui coupant la parole.

— C’est vraiment ridicule, ici ton stage de 3ème… — hoqueta-t-elle.

Lucie rétorqua :

— Moi je trouve ridicule le fait de revenir faire la queue chaque samedi pour se faire refouler… À mon avis, c’est encore plus ridicule de vouloir payer pour ça… (touché Sarah).

La brune resta figée. Le plâtre se lézardait.

Le groupe commençait à murmurer. Une mutinerie s’annonçait.

— Tu restes avec nous Lucie ? — proposa la copine rousse qui changeait de camp et ne désespérait pas de rentrer.

— Non, je rentre chez moi parce que j’ai mieux à faire tu vois.

Un petit sourire sec de Lucie Chipotte venait de couler Sarah. Je riais intérieurement. Je souris même franchement en voyant Lucie planter là son groupe d’idiotes déguisées. « Ses ex-meilleures amies » la regardaient maintenant avec envie. Quand le groupe de Sarah arriva à ma hauteur, vous vous doutez bien que je dis de mon sourire le plus faux :

— Désolée Mesdames, pas ce soir, vous êtes toujours des mineures non accompagnées.

Ce soir-là, Lucie eut du mal à expliquer à ses parents qu’elle rentrait après 22h00 parce qu’elle avait trouvé un stage de 3ème au sein d’une discothèque. Même pour un petit mensonge, ce serait quand même un peu grossier. En revanche, ses parents pensaient toujours qu’elle réalisait des soirées pyjamas chez Sarah Ventura chaque samedi depuis un mois, un mensonge plus grossier encore mais dans lequel se cachait quand même une petite vérité. La mère s’inquiéta :

— Comment as-tu connu le patron de cette boîte de nuit qui te propose ton stage en entreprise ?

Lucie répliqua :

— Parce que je connais personnellement le physio du Sunset Palace. Grâce à lui, je rentre quand je veux.

Son père s’effara :

— Mais qui est ce garçon ?

Lucie répliqua :

— Il étudie à l’Université, il travaille comme physionomiste au Sunset Palace pour payer ses études.

Son père s’indigna et explosa face à la mère :

— Je t’avais dit qu’en la laissant sortir…

Sa mère compléta :

— Je t’avais dit qu’en la laissant sortir, elle trouverait son stage de 3ème en cours de route. Il faut faire confiance aux enfants sinon ils nous mentent.

— Parce que tu trouves ça normal qu’à 14 ans ta fille connaisse le monde de la nuit ?

Cette discussion sur les enfants sembla inacceptable à Lucie car ce soir-là justement elle décida qu’elle n’en était plus une :

— C’est ma vie privée — pensa-t-elle à haute voix.

Son père haussa les épaules :

— À 14 ans on n’a pas de vie privée, c’est ridicule.

Certes, la vie privée de Lucie ne contenait que son seul désir de vivre à sa façon. Lucie n’avait pas grand-chose à cacher mais c’était une certitude pour cette petite personne : « j’ai désormais une vie privée et mes choix ne seront jamais ridicules ». Désormais sa vie privée devenait cet endroit en elle-même où personne ne pourrait juger ses choix sans son autorisation. Elle seule se trouverait à piloter son navire comme Marco pilotait le sien. Elle arrêterait d’être un livre ouvert pour ceux à qui elle ne devrait pas la vérité. On peut être vrai sans être transparent lui avais-je dit. Je suis comme ça chaque soir sur le seuil du Sunset.

— Vous n’avez rien à me reprocher si je travaille bien en classe et si mon comportement au collège est exemplaire. J’ai respecté votre autorisation de sortie et oui, pour information vous devriez aussi savoir que Sarah Ventura n’est plus ma meilleure amie.

— Ton amie Sarah, mais qu’est-ce qu’elle vient faire là-dedans ? — demanda sa mère.

— Mon ex-meilleure amie Sarah veut nous faire rentrer au Sunset depuis un mois alors qu’on est toutes mineures mais le physio dit que ce n’est pas une place pour des gamines.

— Là, je suis bien d’accord — décréta le père.

— Allons, vous sortez en discothèque tous les samedis soir depuis trois semaines ? — s’indigna la mère.

— Euh, pas exactement. En réalité on essaie de sortir en discothèque depuis trois semaines et on revient bredouille chez Sarah.

Les parents se regardèrent effarés, submergés par l’immensité de la vie cachée de leur fille. Lucie poursuivit sa confession :

— Il y a une semaine, tout a changé quand j’ai eu le courage de venir seule pour parler au physio de la boîte. Je voulais lui demander pourquoi ma tête ne lui revenait pas et il m’a dit que je ne rentrerai pas tant que je serai mineure. Il a ajouté que si je voulais vraiment rentrer autant je fasse mon stage de 3ème découverte métier là-bas en étudiant la comptabilité.

Les parents de Lucie soupirèrent de soulagement. Ce soir-là, ils comprirent que Lucie avait renoncé à devenir la doublure manquée de Sarah Ventura. Pourtant, il y a un mois encore, Sarah et Lucie partageaient tout : tout au point d’échanger leurs jeans et leurs mascaras. Elles étaient même sorties avec la basket de l’une au pied de l’autre pour amuser la galerie, c’est dire si elles faisaient la paire, de vraies sœurs siamoises. D’ailleurs, la semaine qui suivit cet échange de mascara, elles avaient bénéficié de la même conjonctivite (sans doute les germes dans le fameux mascara). Cependant, le soir où la petite Lucie Chipotte était rentrée au Sunset, elle était devenue grande et la rupture amicale avec Sarah Ventura venait d’avoir lieu. Lucie Chipotte n’avait plus besoin d’un mentor pour la faire rentrer chez les grands depuis qu’elle savait pouvoir aller où elle voulait toute seule. Sarah venait de perdre sa couronne de « Miss déjà adulte » à l’entrée du Sunset Palace le soir même lors d’une cinquième tentative d’entrée en boîte ratée. L’aura de Sarah s’était dissipée mais pendant ce temps, Lucie avait grandi.

Bien des années plus tard, lorsque Lucie franchit le seuil de la bibliothèque universitaire, elle se trouvait déjà en terrain connu. Elle se souvenait à peine de son amitié pour la fière et détachée Sarah Ventura. Qui se souvient des affaires du collège ? Depuis longtemps, Lucie avait renoncé à se détester pour prétendre devenir la copie ratée d’une autre personne. J’espérai avoir contribué à lui ouvrir les yeux.

Quant à moi, lorsque je croisai Lucie Chipotte par hasard en ville ce jour-là, j’avais passé le seuil de la vie active depuis longtemps. Je me rendis compte que j’avais même oublié ce que cela faisait d’être encore étudiant. Depuis des années, je travaillais aux ressources humaines. Malgré tout, je rendais toujours visite à mon ami Marco au Sunset. Quant à la petite Lucie, nous l’avions chacun perdue de vue.

AE. Myriam 2024

myriam.ae.ecriture[at]gmail.com

 

 


Publié le 15/04/2024 / 68 lectures
Commentaires
Publié le 16/04/2024
Quelle plaisir de te revoir et de te relire. Merci pour tout ton talent et encore plus d'avoir honoré par ta participation l'atelier d'écriture. C'est un texte brillant et quelle habileté d'avoir défini le seuil comme celui d'une boîte de nuit et pour grandir toute l'expertise d'un physionomiste. C'est un texte qui devrait être donné à lire à toutes les jeunes filles qui deviennent jeunes femmes et qui construisent souvent leur identité sur les autres et surtout les plus populaires. C'est intelligent et pédagogique et ta qualité narrative que je connais depuis le début de ce site confirme tout ton talent à embarquer avec toi et à faire réfléchir sans que l'on s'ennuie une seule seconde. Merci encore et encore pour cette belle participation.
Publié le 18/04/2024
Bonsoir Léo, merci d’avoir lu ce texte: je suis contente si tu as passé un bon moment. Comme les nouvelles publications foisonnent, j’ai l’impression de partir pour un safari de nouvelles lectures. J’aime bien aussi retourner vers les textes anciens qui me plaisaient. Bravo pour ce phénix !
Publié le 16/04/2024
Parfaitement ignorant du "monde de la nuit" (qui ne m'a jamais attiré), je retrouve bien des attitudes de certains ados (classe d'âge que je connais, par contre !), et là... je lis l'histoire jusqu'au bout :-)) Donc, merci pour cette plongée dans leurs univers plus ou moins artificiels et obsessionnels, attendrissants parfois ! Par contre, si je peux me permettre, le style est alourdi par des répétitions trop nombreuses. Ex : je ne traînerai "plus jamais" avec Sarah. Elle ne voulait "plus me voir" mais maintenant, c’est moi qui ne veux" plus jamais la voir".
Publié le 18/04/2024
Bonsoir et merci pour votre lecture. Je suis d’accord avec vous pour les formulations. Comment faire entendre une adolescente qui tient un discours en boucle? L’avantage ici c’est d’avoir le temps d’y réfléchir car avec les brouillons nous avons le loisir de revenir à ce travail quand nous en ressentons l’envie.
Publié le 24/04/2024
Grand Bonjour et... Joyeux Anniversaire! Là où je vis, il y a tant de complications que fort souvent Vous aurez l’impression que je ne vous suis pas avec l’attention qu’il faut! Loin de là ! Vous occupez une belle place dans mon coeur.
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