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Cimetière de Thiais, André est debout dans ce qu’on appelait autrefois le carré des indigents, aujourd’hui Jardin de la Fraternité. Depuis plusieurs mois, il y accompagne des sans chez-soi vers leur dernière demeure. Ce matin, comme c’est l’usage, il a rejoint Hélène, une autre bénévole, devant l’Institut Médico-légal de Paris. Ils sont montés tous deux dans le fourgon qui les a conduits jusqu’ici. Aujourd’hui, pour la première fois, c’est une femme. Il va prononcer les derniers mots qui lui seront adressés.
D’elle, il sait si peu de choses, rien presque, tout ce que le collectif a pu recueillir comme renseignement la concernant, c’est son prénom, Alice, son âge, elle a soixante-cinq ans, et le fait qu’elle a été retrouvée morte un matin, sur un banc, par un agent de sécurité qui se rendait au travail par le premier métro.
Le vent d’automne fait tourbillonner les feuilles rousses dans le ciel, les premières gouttes de pluie se mettent à tomber. Alice, reposez en paix. André dépose le petit pot de chrysanthèmes jaunes sur la tombe. Il sait qu’il ne pourra pas s’en arrêter là, il doit en savoir plus sur la vie de cette femme qui porte le même prénom que son premier amour disparu il y a plus de trente ans.
Après la cérémonie, Hélène et André vont dans un café ; elle prend un chocolat chaud, lui un expresso. Ils bavardent tout en remplissant le compte-rendu de cette matinée, on ne sait jamais. Si un jour la famille d’Alice se manifeste auprès du collectif, on pourra évoquer avec elle ce moment où leur proche a été inhumée dans le respect et la dignité.
André a la tête ailleurs. Il est résolu à partir à la recherche de son Alice, celle de sa jeunesse. Comment peut-il annoncer ça à son épouse ? Par quoi doit-il commencer ? Doit-il quitter son pavillon francilien et repartir du bourg qu’il a quitté après la disparition d’Alice ?
- Quelque chose ne va pas, lui demande Hélène.
- Non, non, tout va bien…
- On y va alors.
Tous deux se lèvent, règlent leurs consommations et prennent la direction du bus qui les conduira jusqu’au RER qui les ramènera à Paris. Le voyage se fait en silence. À leur arrivée, ils se rendent au siège de l’association pour y déposer leur compte-rendu.