Tous les espoirs sont permis.

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               Qui a dit que le bel âge, c’était dix-huit ans ? À dix-huit ans, t’es paumé, tu doutes de tout. Tu ne sais plus où tu vas ni qui tu es, alors que la veille, vers douze ou treize ans, tu n’étais que certitude solaire. Rien ne posait question, ni ta longueur, ni ta largeur, ni ton épaisseur. Pourquoi y aurait-il eu question ? Question de quoi ? Tu étais, c’était. Ils étaient tes parents, l’univers depuis toujours, le présent, le futur et le passé depuis le tout début, depuis le big bang de ta conception. Et avant elle, il n’y avait rien bien sûr, c’était le néant. Pas même sûr que le temps existait ni la matière.

               Mon père un jour m’a raconté une histoire qui lui était arrivée lorsqu’il était un enfant. Mon père, un enfant ? Sur la photo en noir et blanc qu’il me montre, il a des cheveux sur la tête. Assis près du poêle dans la classe de l’école du Caillou-Hubin, il a aussi le même sourire que mon grand frère. Je ne sais pas qui est ce garçon au fond de la classe, peut-être la préhistoire de mon père, mais pas mon père parce que mon père est chauve, il l’a toujours été et le sera toujours. Ce garçon n’est pas mon père, la question ne se pose même pas. S’il est en expansion ou pas, je ne sais pas et je m’en fous, je sais simplement que mon père est éternel. On disait qu’il n’y avait pas de questions.

               Et puis tu grandis, mais ton univers pas, alors tu as l’impression que c’est lui qui rapetisse. En tout cas, les perspectives ne sont plus les mêmes et tu as beau faire, les choses t’apparaissent différentes. Il n’est plus possible de ne pas te poser de questions. Tu as dix-huit ans, l’âge de merde ! Mais tout ton univers persiste à dire que tu as de la chance, tellement de chance d’avoir dix-huit ans, car tu as la vie devant toi et tous les espoirs aussi. Je dirais, un peu comme un naufragé à mi-route entre Brest et New York lorsque son corps entre en contact avec la surface de l’océan, tous les espoirs sont permis. Peut-être il pourra nager assez longtemps pour qu’un yacht de croisière le recueille ou peut-être une sirène le prendra par la taille et l’emmènera avec elle dans des abysses respirables. Peut-être enfin il attrapera une bouée en attendant que le paquebot le récupère quelques minutes plus tard ou alors il pourrait parvenir à se taper 4000 kilomètres à la nage, tranquille, sans une crampe. Tous les espoirs sont permis, mais en général, il se noie seul dans l’eau noire et glacée.


Publié le 03/09/2024 / 9 lectures
Commentaires
Publié le 04/09/2024
Trop négatif à mon goût ! Mais je respecte votre point de vue. Je crois en le résilience et au fait que nous soyons en perpétuelle construction (cf mon dernier texte). Bonne journée !
Publié le 04/09/2024
A 18 ans on a l’âge de toutes les influences qui font nos fondamentaux, et cela diffère selon l’éducation, l’environnement, la société, les amis, la culture, les lectures etc.. et comme Sophiak je défends cette idée que l’on se construit (si on le souhaite) en permanence et je n’ai même jamais autant appris ces dernières années que précédemment. Comme on le dit souvent ce qui importe le plus n’est pas l’objectif visé mais le chemin pour y parvenir. C’est ce qui font les bons romans d’ailleurs car de toutes les histoires communes, celles qui plaisent le plus sont celles qui ont des trajectoires singulières qui savent nous parler, indépendamment d’où elles veulent nous amener. C’est souvent entre soi et soi les perceptions que l’on se fait du monde et des autres. Ce que j’aime dans l’écriture c’est de me dire, tiens, comment je vais réussir à embarquer tout le monde, indépendamment de ses croyances qui semblent arrêtées et limitantes. C’est d’ailleurs de qui me plait le plus dans ton écriture connaissant justement tes idées sans concession sur certains sujets, ces moments où tu parviens sur des scènes de vies à faire ressortir le côté universel qui parvient à rassembler et mettre tout le monde d’accord, lorsque le lecteur hoche la tête et se dit à lui-même, c’est tout à fait cela, il a réussi à décrire ce dont nous n’avons pas ou plus conscience, avec justesse et simplicité. Les auteurs à succès sont ceux qui savent faire monter dans leur livre le maximum de passagers-lecteurs qui n’auront plus l’envie de descendre jusqu’à la destination finale.
Publié le 04/09/2024
Merci, Léo. Je viens de recevoir coup sur coup, deux retours de personnalités littéraires qui m'ont dit grand bien d'"Ambre gris". Je ne cherche pas les compliments mais ils donnent le courage nécessaire pour oser défendre son œuvre. Merci ! ;-)
Publié le 04/09/2024
C’est une heureuse nouvelle qui consacre le travail effectué.
Publié le 08/09/2024
Eh oui, cet espace qui sépare la vieille Europe de la vieille Amérique, nos premiers pas dans la vie comme l'écrit Modiano, ce moment où on ne sait quand on avance si on marche sur un débris d'enfance ou sur un germe de projet... "si je connus un temps de chien certes, c'est bien le temps de mes 20 ans, cependant je pleure sa perte... ". Je trouve ça raide de vieillir surtout quand on fait du sport.
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