Ce texte participe à l'activité : Extrapolation

Dans « Le monde des rêves » de Delphine FAUVET (mon vrai nom) Aislinn est une entre-deux : elle détient les clefs de ce monde en danger de disparition, dépourvu de l’énergie des enfants ayant cessé de rêver pour grandir trop vite, et encerclé par le monde des Ombres qui tente de l’envahir. Aislinn choisit donc soigneusement les personnes pouvant y accéder en les regardant dans les yeux, dans le monde réel, pour voir l’intérieur de leurs âmes.

Elle oscille donc entre ces deux mondes constamment, pour s’évader de l’un et pour sauver l’autre.

 

« - Aislinn ? Aislinn ? », appelait maman, en vain, sans réponse.

 

Aislinn quant à elle était en train de trier les cubes de lego par couleurs. Les rouges, elle les gardait devant elle. Les verts, elle les jetait derrière. Les bleus à sa gauche, les jaunes à sa droite. Maman avait beau l’appeler, Aislinn ne réagissait pas. Comme si elle ne l’entendait pas. Accaparée par sa tâche, Isolée dans son univers qu’elle seule comprenait, Aislinn ne réagissait pas à la voix de sa mère, au grand désespoir de celle-ci.

Le diagnostique était tombé lorsqu’elle avait cinq ans : Aislinn souffrait de Troubles du Spectre Autistique. Cela n’aurait pas d’incidence dans son intelligence mais plutôt dans ses rapports aux autres, avait-on dit à sa maman : des difficultés à décrypter des situations, les émotions des autres, de ce fait une tendance à s’isoler pour se réfugier dans son monde intérieur, pas d’appétence pour le langage puisque aucune envie de communiquer même avec son entourage proche. De même des difficultés à gérer ses propres émotions. Aislinn serait capable d’apprentissages à condition qu’elle y trouve un intérêt et à son rythme. Sa maman devrait donc de beaucoup de patience avec elle, de compréhension aussi. Elle devrait être un contenant pour sa fille.

La maman d’Aislinn avait pleuré, beaucoup pleuré à l’annonce de ce diagnostic. De culpabilité d’abord : comment ne s’en était-elle pas rendu compte avant ? D’impuissance ensuite : elle ne se sentait pas à la hauteur, elle n’y arriverait jamais, comment allait-elle faire ? On lui avait alors parlé d’établissements spécialisés accueillant ce type d’enfants, mais on l’avait aussi prévenue que les places étaient rares.

Depuis Aislinn avait eu une place dans un Institut Médico Educatif (IME) dans lequel elle était accueillie la journée. La maman d’Aislinn la récupérait ainsi tous les soirs ainsi que les weekends et la moitié des vacances scolaires.

Elleavait mis beaucoup d’espoir dans cet établissement, ses éducateurs, ses professeurs spécialisés, ses psychologues et ses pédopsychiatres. Pourtant elle trouvait, non pas qu’il n’y aucun résultat, mais que les progrès d’Aislinn restaient très lents : elle ne répondait toujours pas à son prénom lorsqu’elle était accaparée par une activité, elle pouvait s montrer hostile avec les autres enfants quand elle voulait quelque chose. Par exemple, sa maman l’avait emmenée une fois dans un parc de jeux. Aislinn avait aussitôt jeté son dévolu sur la balançoire, sans s’inquiéter du fait que cette dernière était déjà occupée par une autre pette fille. Le temps que la maman d’Aislinn s’assoie sur un banc, Aislinn avait eu le temps de s’emparer de la précieuse balançoire en poussant tout simplement la petite fille qui était dessus dans le dos et lavait fait tomber. La mère de cette dernière, offusquée, avait incendié la maman d’Aislinn, couverte de honte, en déplorant ses méthodes d’éducation minables et en accusant la conduite de sa fille d’impardonnable avant de quitter les lieux, sa fille hurlant et pleurant à chaudes larmes dans la main, Aislinn, elle, se balançant délicieusement, un grand sourire de joie aux lèvres, non parce qu’elle avait fait du mal à cette petite fille, mais tout simplement de pouvoir faire de la balançoire comme elle le souhaitait.

De plus, Aislinn avait cette étrange manie de se diriger tout à coup vers une personne, généralement un autre enfant mais parfois aussi un adulte, de lui prendre le visage dans ses mains, de regarder cette personne droit dans les yeux et soit de partir en riant, soit de partir en hurlant. Ça non plus : impossible de l’arrêter quand elle entreprenait de faire cela.

Ainsi pour sa tranquillité et celle de sa fille, la maman d’Aislinn essayait d’éviter en règle générale les situations sociales.

Mais aujourd’hui c’était spécial ! Aujourd’hui était un grand jour : Aislinn fêtait ses huit ans, et pour cette occasion, sa maman l’emmenait à la fête foraine.

« Aislinn ? Tu viens mon chat ? On va faire du manège ? »

A ces mots, Aislinn lâcha ses cubes, courut mettre son blouson et attendit sa maman devant la porte d’entrée, impatiente, un sourire aux lèvres.

La maman d’Aislinn était heureuse. Bien que les fêtes foraines soient sources d’angoisse pour elle, elle savait qu’Aislinn adorait les manèges par-dessus tout. Elle savait qu’elle faisait plaisir à sa fille en cet instant et la rection de cette dernière la faisait sourire de plaisir elle aussi.

Arrivées là-bas cependant, la maman d’Aislinn déchanta très vite en considérant la foule présente en ce jour.  Pourvu qu’elle ne me lâche pas la main, pourvu qu’elle ne me lâche pas la main pensait-elle en tenant la main de sa fille aussi fermement qu’elle le pouvait dans la sienne, prise d’angoisse à l’idée qu’un bruit, une odeur, une couleur, ou tout simplement une attraction capte l’attention d’Aislinn et qu’elle ne s’enfuie dans cette direction, comme cela lui arrivait à chaque fois qu’un de ses sens était attiré par quelque chose.

Tout se passait pourtant bien : Aislinn marchant aux côtés de sa mère, apeurée visiblement, regardant les gens qu’elle croisait de tous les côtés, mais son sourire revint dès qu’elle sentit la bonne odeur de la barba papa.

Et fatalement, ce que craignait le plus sa maman arriva. Aislinn desserra ses doigts de l’étreinte maternelle en une fraction de secondes et fonça tout droit en direction du stand si alléchant.

En deux minutes à peine, sa maman l’avait perdue du regard.

« Aislinn, hurlait-elle, Aislinn ! » sans deviner ce qui avait cette fois ci attiré l’attention de sa fille.

Elle courut près du premier manège, scruta chaque enfant à la recherche d’un blouson rose, il y en avait beaucoup, mais pas d’Aislinn en vue.

Elle fonça ainsi en direction du stand de la pêche de la pêche aux canards. Toujours pas d’Aislinn.

« Aislinn ! Aislinn ! » hurlait elle prise de panique et désespérée tout en courant et en regardant partout à travers ses larmes de peur qui roulaient sur ses joues pour essayer de la repérer.

« - Madame ? Madame ? entendit-elle bientôt C’est ce petit monstre que vous cherchez ? ».

La maman d’Aislinn se retourna alors en direction de la voix salvatrice : un blouson rose, une barba papa en main, tenue fermement par l’autre bras par le marchand, une petite tête blonde bouclée se débattant et hurlant : oui ! ouf ! C’était bien elle !

  • Aislinn ! appela-t-elle alors.

Le visage de l’enfant se tourna instantanément vers sa mère. Aislinn se débattit tant et plus qu’elle finit par se délivrer de l’emprise du marchand et courut se blottir dans les bras de sa protectrice.

  • « Maman »,  dit alors Aislinn en regardant cette dernière dans les yeux.

 

Deux larmes de bonheur coulèrent alors sur les joues de celle-ci. : Aislinn venait de prononcer son premier mot !  


Publié le 21/10/2025 / 3 lectures
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