C’est compliqué de retrouver un proche. C’est très compliqué de retrouver un très proche. On ne sait pas dans quel état d’esprit il sera, alors comment ne pas lui infliger une douche froide ou une douche chaude d’ailleurs. Comment ne pas lui infliger de douche du tout ? Le, ou plutôt, la très proche que je me prépare à revoir est plutôt du genre calme, très calme. Disons même placide. Pas du tout à courir se blottir dans mes bras, enfonçant bien ses ongles et ses doigts délicats dans la jungle de mes cheveux, Ana. Outre mon feuillage plus proche de la steppe que de la jungle, Ana n’en fait pas des tonnes. À plus forte raison devant ses amies qui l’auront raccompagnée. Dans l’intimité peut-être, parfois, et encore, mais en public, jamais !
Le piège, ce serait de la jouer à sa façon, façon flegmatique. Alors, elle ne te trouverait pas suffisamment empressé, pas assez démonstratif, vachement froid, non ? Alors, quand vous vous retrouverez à deux dans la chaleur de l’édredon, elle te dirait « Bonne nuit, mon chéri » accompagnant ses mots d’un gentil petit baiser insignifiant. Ou plutôt très signifiant. Signifiant qu’elle est loin. Au bout du monde. Avec qui ?
Le piège, ce pourrait être aussi de ne pas brider ton plaisir de la revoir. Être toi, tout simplement. Le toi qu’elle a toujours connu, toujours aimé, toujours câliné, chéri, à sa façon, en douce mais que tu devinais souvent au fond de ses yeux. A l’époque, ton exubérance l’amusait plus qu’elle ne la contrariait. Ta passion la fatiguait moins qu’elle ne la touchait.
Il faut être honnête, si durant la séparation, il y avait eu zéro ambiguïté, les retrouvailles auraient à coup sûr été carrément divines. Quel délice de retrouver celui qui nous manque et à qui l'on manquait. Mais si lors de l’absence, le temps n’avait pas été au beau fixe, que tu t’étais fait des idées, que tu t’étais demandé si elle ne commençait pas un peu à se fatiguer, à se lasser, à te trouver finalement assez banal, peut-être même quelconque. Après 26 ans de vie commune, c’est compréhensible, peut-être… sûrement… probablement. Mais quand même, pas forcément. Alors, tu as fait les additions. J’ajoute dans ma tête les trucs pas vraiment gentils qu’elle m’a dits, je décompte les sympas, j’ôte les autres, ceux carrément passionnés, je vais à la ligne et… Et le compte n’y est pas.
Je me fais des idées, bien sûr. Rien n’a changé. Tout baigne. Aucune inquiétude à avoir. Elle et moi, c’est du solide, de l’incassable même. Le seul couac possible ne pourrait jaillir que du flop que je me prépare à commettre ce soir, lors de nos retrouvailles.
C’est dangereux de retrouver un proche. C’est très dangereux de retrouver un très proche.