Je n’imaginais pas un seul instant la laisser partir. Mais les cœurs abîmés ne chantent plus, ils soupirent. Et le sien suffoquait.
Sarah n’était déjà plus que l’ombre de son âme.
Le dernier jour, elle demanda à retourner à la mer.
Chacun de ses pas s'enfonçait dans le sable froid. Les grains trop légers subissaient le caprice du vent, qui les mêlait à ses larmes. Elle fermait les yeux. Elle ne tremblait plus. A genoux, elle passa une dernière fois sa main au-dessus de la vague échouée, comme l’on caresse délicatement le front de l’enfant qui s’endort.
Elle s’arrêta encore un instant sur l’abandon de l’océan sur le rivage, la catharsis de la lumière et la danse des presque morts. Elle murmura alors quelques secrets aux coquillages qui seuls racontent l’avoir entendue pleurer.
Puis Sarah se releva, face à l’Ouest.
Elle sentit alors monter en elle toute la puissance du Feu de l’Univers qui implose, et des Voix d’Opéra en pleurs. Toute la force du Ciel et de la Terre. Celle des ouragans. Celle des geysers. Celle des rafales du dernier jour d’une guerre perdue. C’était la force de la délivrance. C’était celle de la désolation. C’était celle de la dernière violence. Avant la paix.
Elle hurla.
Seul l’Océan, dans un ressac, lui répondit.
Et dans l’apesanteur irréelle, mourante et déjà immortelle, elle n’eut plus jamais froid.
Avec elle, je perdis ma quintessence.
Je m’évanouissais, happé par des nuits sans fin, avec sans doute le risible espoir de l’y rencontrer. Tout ce qu'il me restait était le rêve, cette artificielle et incohérente évasion au cœur de ce pays qui n’existe pas. Je me battais contre ma vie. Je voulais simplement que tout s’arrête: l'amertume, l'angoisse, la tristesse. Et le monde.
Vis, chante, aime, et oublie-moi m’avait-elle écrit. Je ne serai pas la culpabilité qui faussement protège d’un nouvel amour déçu. Je ne serai pas la date tristement célèbre que l’on pleure en secret. Oublie-moi. Je ne serai pas la mémoire de notre futur gâché et de nos rires perdus. Oublie-moi, mais garde l’émotion sublime de ces jours heureux. Alors, je resterai ainsi l’esquisse de ton Amour en rébellion. Et en toi, je survivrai.
Mais je ne la croyais pas. Car rien n’est plus fragile que les promesses, elles survivent rarement aux vents de la vie et se perdent d’autant plus facilement dans les turpitudes de la mort.
Cet abandon me draina jusqu’aux confins de mes abîmes intérieurs, là où seul résonne le hurlement de la douleur vide. Mais arrivés au bord de ce gouffre psychique, les uns se penchent, d’autres sautent, alors que certains se retournent et se mettent à crier.
L’instinct de survie est le sentiment le plus pénétrant que l’Homme puisse éprouver. Il est la dernière boussole des vies ravagées. Il est la conséquence salvatrice de la terreur qui nous ramène, en dernière instance, dans les jupes de la vie.
C’est ce qui m’a sauvé. Mon ultime révolte remontait ainsi lentement les escaliers de ma déchéance. Je m’attachais à croire de nouveau à ma salvation au seuil de l’Enfer.
C’est à ce moment-là que je devenais intolérant au temps qui passe. Lui qui abîme, tranche, coupe, blesse, détruit. Je compris, pourtant, que notre seule chance était de l’apprivoiser. Non pas afin qu’il devienne notre ami, non. Mais seulement pour que ses coups portés nous paraissent de temps en temps moins rudes.
Je décidai également de porter un autre regard sur le geste de Sarah. Je préférais désormais y voir du courage plutôt qu’une inconscience ou une lâcheté. La quête d’un bonheur plutôt que l’abandon d’une lutte. L’espoir du meilleur et non une simple échappatoire aux souffrances. Car c’est sans doute la seule perception qui rende la perte un peu moins insupportable à l’esprit de ceux qui restent. Eux, qui sont les victimes collatérales de la fuite. Les laissés pour compte de l’inéquitable équation - car l’on ajoute rien à ceux à qui l’on se retire - sinon le poids injuste d’une culpabilité couplée du revers de l’absence. Et ce sont eux qui ne cesseront jamais de se heurter à ce qui aurait pu être dit ou être fait, alors qu’il ne soulage en rien de tenter de sauver, en imaginaire, celui qui n’est plus que fantôme.