Je descendais le sourire aux lèvres les dernières marches de la gare. dans cinq minutes j'arriverai dans notre cocon. Mon pas s'accéléra et mes mains serrèrent plus fermement les différents cabas que m'avaient donnée ma belle-soeur Clara. Elle nous y avait mis les légumes de son potager et ses dernières créations aptissières : deux jolis choux à la crème! Bref, le coeur léger je filai vers l'appartement pressée de partager avec Grégoire ce festin familial.
Peut-être même que ce dernier m'aurait préparé quelques douceurs pour conclure ce week-end d'éloignement. J'espérai qu'il n'ait pas trop regretté de ne pouvoir me rejoindre à la réunion familiale printannière qui s'était déroulé chez mon frère cette année.
Je bifurquai rue Saint Louis, comptai encore quinez pas puis spontannément avançai la amin droite pour badger. L'entrée de l'immeuble me sembla moins fleurie que d'habitude mais ce devait être par comparaison avec le magnifique jardin dont je revenai. Pourtant à mesure que je traversai dynamiquement la petite cours intérieure, un poids s'installa sur ma poitrine. Ce dernier s'accrut devant la porte d'entrée : que s'était-il passé pour que notre paillasson aie également disparu?
C'est alors qu'une bourrasque froide si caractéristique de mars souleva mon manteau. La porte ouverte, je me jetai dans le hall d'entrée et le vent se chargea de la refermer par un claquement qui retentit puissament dans l'appartement. Un frisson parcourrut mon échine en me remémorant l'esclandre qu'avait fait notre voisin, Mr Yves Longchamps, lors de notre emménagement. Il nous avait alors reproché le bruit de raclement des meubles et des portes ... Nos relations ne s'étaient pas arrangées malgré les deux ans de proximité discrètes.
L'entrée ayant toujours été relativement sombre, je m'étais habituée à fonctionner à taton. Ainsi je posai mon sac dans le tiroir supérieur de la commode, opérai un virage à 45° et ouvris la pendrie. Ma main cependant s'ouvrit et se referma dans le vide : aucun cintre n'était accessible! Etonnée, j'allumai alors l'applique murale et un cri de stupeur s'échappa de mes lèvres. U coup de balai tonique vint le ponctuer immédiatement rappelant que la tolérance de mon intraitable voisin était déjà épuisée. Cependant cette menace ne parvint pas à contrebalancer l'incompréhension glaciale qui s'était immiscée en moi en contemplant une pendrie totale vide.
Tel un tsunami, je me précipitai dans le salon pour lâcher rapidement un deuxième cri de douleur cette fois-ci. De cette pièce si chaleureusement meublée par mes soins ne restait plus que la massive armoire murale de ma tante Jeanne, le pouffe cambodgien de mes années à l'université et la lourde table en fer forgée qui m'avait valu une intense discussion avec mon chéri : il la trouvait trop grossière quand son style rétro me faisait fondre. Sur cette dernière tronait une feuille de papier pliée en quatre. Je l'ouvris et machinalement allai m'assoir sur l'unique siège disponible.
"Elisa,
comme tu dois être en train de le comprendre, je pars. Je ne sais comment tu as fait pour ne pas voir mon éloignement. J'ai bien tenté plusieurs fois d'orienter la discussion, fort plate de ces derniers temps tu me l'accorderas, sur le sujet mais tout ce que tu avais aux lèvres était "le projet". Habituellement je t'aurai dit que la persévérance est une qualité mais reviens sur terre par pitié et ouvre les yeux (pas pour moi mais pour le prochain).
Alors pour nous épargner une énième discussion stérile, j'ai pris sur moi de prendre les devants et de faire enlever tout ce qui avait une histoire commune."
Incrédule je levai mes yeux déjà embués. Ah quel salaud criai-je avant que de grosses larmes ne viennent rouler sur les joues imitant magnifiquement les chutes du Niagara. Pour courronner le tout, en même temps que mon voisin jurait devant "la nuisance sonore des jeunes" mon téléphone se mit à vibrer. Flûte!! Ma mère appelait pour s'assurer que mon trajet s'était bien passé. Je coupai alors le son puis repris la lecture de ce message lapidaire.
"Inutile de chercher à me revoir, je t'ai déjà bloquée et pour ainsi dire je change de vie et de ville. Profite de ce nouveau départ pour changer de coiffeur.
amicalement
Grégoire".
Hébétée, je laissai se transformer les larmes en gros sanglots bruyants et morveux. Ceux qui savent rendre un visage défiguré en quelques secondes et être irrépressibles. Impuissante, je restai à me balancer d'avant en arrière sur le fameux pouf qui m'accompagnait depuis les 10 ans, les bras m'enserrant en une maladroite étreinte. Un coup de sonnette vint me sortir de ma torpeur. Mécaniquement je me dirigeai vers la porte qui à peine entrebaillée laissa filer : " ce n'est pas bientôt fini ces cris de désespérée?". Pourtant cette voix s'interrompit immédiatement lorsque mon visage apparut.
- Mademoiselle? Que se passe-t-il ? J'ai eu peur en entendant ces gémissements ininterrompus depuis bien une demi-heure . Si vous n'aviez pas ouvert, j'aurai appelé les pompiers, ajouta la voix bourrue de mon voisin.
- Mon homme, hoquetai-je, mon homme me largue comme une malpropre.
Contre toute attente, il tendit sa main vers mon bras d'un geste empli de compassion.
- Souhaitez vous en parler? Avez vous prévenu quelqu'un? Je vais vous préparer un thé pour vous remettre et vous me direz ce qui vous chantera.
- Euh ... c'est-à-dire que je ne sais pas s'il me reste du thé chez moi : IL a tout vidé en mon absence.
Je vis alors son regard se durcir, sa mâchoire se contracter. Il ne commenta pas mais me proposa de venir le boire chez lui. Désorientée, j'obtempérai en n'emmenant que mon écharpe, mon téléphone au cas où et mes clés bien qu'elles ne protègent plus grand chose de mon intimité ainsi dépouillée. L'appartement de Mr Longchamps en tout point superposable au notre était meublé avec beaucoup de gout. Les petites commodes sous les fenêtres du salon venaient mettre en valeur la grande table en acajou recouverte de maquettes. Dans le coin gauche se trouvaient de confortables fauteuils ainsi qu'une petite desserte surmontée d'une nappe claire assortie aux rideaux. Je choisis alors une méridienne couleur crème dont les coussins plus vifs me rappelaient les couchers de soleil indonésiens. Quelques minutes plus tard, une tasse fumante d'un thé noir reposait devant moi. Il s'installa sur le siège en face et commença à siroter la boisson fumante dans un silence apaisant. Voyant mon regard se poser sur les maquettes, il reprit :
- mon passe-temps! cela demande beaucoup de minutie. Au moindre geste brusque, je suis bon pour tout recommencer. D'où mon intolérance au bruit ...
- comment avez vous su aujourd'hui qu'il se passait quelque chose chez moi ?
- hummm, la durée des pleurs et les allers-retours nombreux du week-end. Voyez-vous, j'apprécie également la vue sur les toits des bâtiments qui nous font face. Du coup pafois je regarde également le passage dans la cour.
Ne me sentant pas la force d'expliquer, je lui tendis la lettre indélicate.
- Si j'avais eu 30 ans de moins, je l'aurai recherché votre ex-goujat pour une bonne mise au point entre hommes sur le code de conduite, dit-il en repliant la lettre. Que pensez vous faire ?
Un long silence lui répondit. Que faire ? C'était une bonne question. Mon esprit était trop embrumé pour décider ... Le téléphone se remit à sonner. Je le coupai et devant le regard interrogateur de mon hôte :
- c'est mon frère de Provence. Je n'ai pas la force de soutenir une conversation et de lui raconter les nouveautés du jour. D'autant plus qu'il s'entendait bien avec ... l'ex-goujat comme vous dites. Quant à ce que je vais faire, je ne sais pas. Je vais probablement devoir aller à l'hotel ou acheter un matelas en urgence : je n'ai pas de famille à proximité et mes amies sont voyage.
- Dire que je n'ai pas toujours été aimable avec vous serait un euphémisme mais si vous le souhaitez vous pouvez rester dormir dans la chambre d'ami. Votre situation me rappelle douloureusement une expérience passée avec un ex-goujat.... Et à l'époque le regard de mon environnement sur ma relation avec cet homme n'avait pas été clément.
Une voix me poussa à acquiesser. Ce voisin subitement m'inspirait bien plus confiance pour affronter cet événement. Et ainsi par un hasar de circonstances , je transportai les quelques affaires qui me restaient et c'est avec lui que je partageai les choux à la crème de Clara. Le destinataire bien que différent s'avéra fort sympathique bien que je ne garde qu'un souvenir flou des quarante-huites premières heures qui se fondent dans un brouillard.