Dans cette apocalypse glaciale, en noir, en gris, de feu et de poussière,
Entre deux explosions, cent vibrations, dix-mille visions de l’enfer,
Il reste dans le sombre des caves, ou des galeries humides,
Des cœurs broyés qui palpitent encore.
Redoutant ce qu’il se passe dehors,
La vieille Mariya ne survit que pour l’accalmie, le regard vide.
Un instant, quand tout cesse, elle pousse la lourde porte. Elle sort de terre.
Elle monte des escaliers de gravats, voir le ciel, s’abreuver d’air.
Il y a, devant,
Tombée à l’instant,
Une chaussure, rouge
..........
.....
Avec un pied dedans.
Rien ne bouge.
Presque déjà figé, un peu de sang s’écoule. Encore !
Où sont les restes, les autres bouts ?
Le gel les figera, comme il fige tout
Dans ces parterres de cadavres sans fleurs,
Qu’arrosent des larmes de derniers pleurs.
Avant qu’à leur tour ils ne meurent. Encore !
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Plus loin, d’autres pluies de fer sans fin s’acharnent
À tuer ceux qui soignent… et celles qui enfantent.
Rayant toute obstination de la vie, qu’elles désincarnent.
C’est l’heure de l’extermination triomphante !
Dans un couloir, des infirmières pleurent.
L’une lui tient la main, la maman se meurt,
Éventrée. De ses chairs éclatées, on lui retire son enfant,
Mort. Qu’elle blottit contre elle pour ce peu de temps :
L’effroyable sursis avant le dernier soupir.
Elle venait d'implorer qu’on la laisse mourir.
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Ailleurs, sans doute, quelque part dans les entrailles
D’un énorme dragon déchu, d’un tas de ferraille,
Olena enlaidie par la fatalité du désespoir
Élève la lampe. Il y a ce petit bruit, elle veut voir.
Elle regarde cet homme qui embrasse son enfant,
Qui le tient au bout de ses bras longuement,
Un soldat fatigué, le visage émacié
Un jeune homme si vieux, sans lueur dans les yeux.
Qui est-il ? Sur l’instant, elle ne le sait pas.
Il est là, juste là, en prière. Il ne parle pas.
Sous cette barbe sauvage,
Elle ne voit de visage.
Puis il pose l’enfant, s’approche d’elle, l’embrasse.
C’était un père, un mari. Le sien. Il grimace.
La cicatrice, sur le cou ?
D'autres, partout !
Il n’existe plus, il n’est rien,
Revenu, il parle avenir, ce soir, demain.
Je n'élèverai pas cet enfant.
Je suis mort, déjà, de tout ce que j’ai fait
De tout ce que j’ai vu. S’il te plaît,
Va, pars ! Il en est encore temps.
Trouve-lui un père, trouve-toi un amant
Un homme bon qui le fera rire.
Pars, fuis ! Sauve-le, sauve-toi,
Ton fils a sa vie à écrire.
Fuis ! Fais- le pour moi ».
Quatre mots… sans y croire :
Quand vas-tu revenir ?
Mais l’homme s’est éteint. Il n’a plus rien à dire.
Ce fut son ultime au revoir.
Il retourne à son destin. Le pire.
Sans se retourner, sans autre mot pour elle,
Anton disparait dans un silence éternel.
Dans ce qu’il reste des rues, dans ce vacarme guerrier,
Des chiens hagards trainent leur peau parmi des restes d’acier.
Des rats tirent quelques lambeaux
De chair gelée autour de quelques os.
Les squelettes des arbres noircis
Tendent leurs bras meurtris,
Presque sans sève, presque sans vie,
Vers un ciel… privé de paradis.
Dieu est mort !
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Dans cette apocalypse glaciale, en noir, en gris, de feu et de poussière…