Le grand zapping
Par Michel Tournier
Publié ce jour 31 juillet 2025 sur la gazette
Je suis la société qui zappe.
Je commence un truc, je m’ennuie, je zappe.
Je me dis que je devrais arrêter…
Mais je zappe cette idée aussi.
Cette chanson est belle ?
Oui, pendant 38 secondes.
Après, je soupire. Je cherche mieux. Je zappe.
Ce texte est bien écrit ?
Bravo à l’auteur.
Mais il aurait pu faire plus court, non ?
Je zappe.
Cette conversation ?
Elle devient un peu sérieuse.
Tu vois le genre où faut réfléchir ?
Je zappe. Mentalement. Ou physiquement.
À la télé, j’ai 160 chaînes.
Je n’en regarde aucune.
Mais je zappe les 159 avec une précision le pouce sur la zappette en position de tireur couché
Nous zappons tout. Tout le temps.
À force, on zappe même des trucs importants.
Comme écouter. Aimer. Rêver.
Ou vivre, peut-être.
Pourquoi zappons-nous ?
Parce qu’on peut.
Parce qu’on a trop.
Parce ne pas zapper, c’est risquer de s’ennuyer.
Et s’ennuyer, aujourd’hui, c’est presque indécent. Cependant nous voyons des gens désœuvrés ! Pas le même sens du tout !
Fast life. Fast love.
Fast food. Fast friends.
Fast burnout. Fast psy.
Zappe, zappe, zappe.
Je m’ennuie ? Je zappe.
Plus je zappe, plus je m’ennuie.
Mais zappe ça. On n’a pas le temps d’y penser.
Je suis sur un banc public avec ma copine, on ne se bécote pas on zappe sur nos portables !
-« t’as vu comme chui belle ? »
-« carrément t au top !
Les bans publics ont bien changé George ! Enfin les gens qui s’y asseyent…
J’ai la télécommande.
Le pouvoir suprême.
Je suis libre.
Enfin, tant que les piles sont pleines. Et c’est fatigant de les changer, pourtant il le faut, sinon comment vais-je zapper ma vie…
Pourquoi je zappe pourquoi je meurs
Pourquoi je vis pourquoi je zappe!
Les SOS des terriens en détresse,
se sont aussi fait zappés…