Le point-virgule. (Un magnifique texte de Cavanna.)

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Qui a inventé le point-virgule ? Je ne sais pas. À quoi sert-il ? À rien. À embêter le monde. À rassurer les écrivains timides. À masquer le flou de la pensée derrière le flou de la syntaxe… Bref, à rien de bon.

La preuve : on peut toujours le remplacer par un point. Essayez, vous verrez. Chaque fois que, dans vos lectures, vous trouvez un point-virgule, mettez un point à la place, et aussi, par voie de conséquence, une belle majuscule au premier mot qui suit. Miracle ! Soudain tout sonne tellement plus clair, plus net, plus décidé !… Mais, objecte le scripteur, c’est justement le flou que je voulais rendre, l’incertain, l’hésitant… Très bien : les trois points alignés sont là pour ça, les si bien nommés « points de suspension », tellement éloquents dans l’art d’exprimer l’inexprimable !

[…]

Guerre au point-virgule, ce parasite, ce timoré, cet affadisseur, qui ne marque que l’incertitude, le manque d’audace […], et colle aux dents du lecteur comme un caramel trop mou !

[…]

François Cavanna
Extrait de Mignonne, allons voir si la rose… (Éditions Belfond, 1989, Livre de Poche, 1991.)


Publié le 25/10/2025 / 9 lectures
Commentaires
Publié le 25/10/2025
Je vais réviser mon point-virgule. A la lecture de ce texte, je m'aperçois que je ne l'utilise jamais et ne savais même plus à quoi il servait. J'aime bien cet homme, Cavanna et ai apprécié ses livres.
Publié le 25/10/2025
C'est grâce à Cavanna, son humilité, son humanité, que j'ai osé écrire. Il est aussi d'une époque où l'on appelait un chat, un chat. ;-)
Publié le 25/10/2025
Il y a toujours eu les pro et les contre. Danièle Sallenave de l’Académie française dit tout autre chose : «  La virgule aurait-elle été préférable ? Non. Qu’on l’essaie : on verra qu’elle enlève toute structure à la phrase. Le point, alors ? Qu’on l’essaie aussi : et on verra qu’il donne au récit un ton d’énumération laconique et brutale qui ne convient pas à un propos fait de distance et d’ironie légère. Le point-virgule non seulement convient, mais il est indispensable. Il laisse à la phrase le temps de s’épanouir, il évite de rompre l’unité de la pensée par la multiplication des phrases courtes. Il respecte la phrase, mais il la construit, au lieu d’en juxtaposer les éléments comme le fait la virgule. Le point-virgule est le signe de ponctuation par lequel on peut donner à la phrase une certaine ampleur, autrement que par la molle et paresseuse succession de virgules. Le point-virgule confère à la phrase une rigueur sans excès, il en module le ton, et fait ainsi entendre la voix de l’auteur. » Et elle rapporte d’ailleurs que dans son Traité de la ponctuation française (Tel, 1991), Jacques Drillon écrit : « Le point-virgule atteste un plaisir de penser. ». Et Balzac d’ailleurs l'utilisait avec brio. En cela je trouve que Cavanna sur ce coup là n’est pas un modèle d’humilité. Bref, chacun est libre d’en user ou non et je trouve pour ma part qu’il est vecteur de nuances et qu’à ce titre il est un bienfait pour la littérature. Et je me dis enfin que si le point-virgule fait enrager à ce point Cavanna qui lui accorde autant d’importance, c’est bien qu’il n’est pas si anodin que cela. Et au passage l’usage excessif des points d’exclamation sont de mon point de vue particulièrement désagréables : ça pique les yeux. Le point d’exclamation c’est tout sauf humble, mais c’est un autre débat.
Publié le 25/10/2025
Je me sens évidemment bien plus proche de François Cavanna que de Danièle Sallenave de l’Académie française. Il était fils d'ouvrier. On sent ses origines à travers son écriture, dans sa gouaille, dans ses mots, dans ses phrases. Il ne les cache pas. Au contraire, il revendique tout au long de sa carrière son identité prolétaire et il faut du courage pour oser affirmer qu'elle ne vaut pas moins qu'une autre. C'est notamment ce qui me séduit chez F. Cavanna et c'est là qu'il est infiniment humble et, pour moi, tellement plus crédible, authentique que Madame Sallenave. (longtemps pro-sioniste et définitivement anti-communiste, un peu une enfonçeuse de porte ouverte en somme.)
Publié le 25/10/2025
Mais… on parle de l’usage du point-virgule, non ? Il y a effectivement une forle de Révolte chez Cavanna, l’envie de retourner des tables :-)
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