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Les Chants de Kâl-Dagon - Extraits

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Les lamentations du cosaque zaporogue

 

I

 

Tu m’as sabré, Monasmara :

Tu laisses ma passion orpheline

Dans les plis de ta zibeline ;

Nos souvenirs dans la vodka…

 

Nos bourgs ne faisaient que brûler :

Vous étiez les bandits Tatars,

Nous les hommes libres, haïs du tsar,

Les princes voulaient nous enrôler.

 

Mais toi je t’ai privilégiée

Et j’ai supplié le staroste,

Tchersogaï, qui menait l’ost,

De ne pas te couper le nez ;

 

Puis je t’ai prise sur mon cheval :

Tout t’avait été enlevé,

Sauf tes cheveux, blonds comme les blés.

Je ne t’ai jamais fait du mal.

 

Tisseuse de mes cordes sensibles,

Pour toi j’aurais tué mes sœurs !

Mais en voyant tes yeux rêveurs

Que devenaient mes yeux terribles ?

 

On ne me reconnaissait plus.

Chez moi un festin de silence

M’accueillait. Et notre alliance

Fit jaser. Puis, tu disparus.

 

Désormais j’erre, mélancolique.

Tu as été ma raison d’être,

Ma folie d’aimer. Un peut-être 

Croisé dans les steppes pontiques.

 

J’ai cavalé près de l’hotmann,

Croyant pouvoir te retrouver

À grands coups de hache et d’épée

Dans le camp du bandit Loqman.

 

Tu n’y étais pas. La Volga,

Je l’ai draguée, comme le Don

Et dans le Dniepr, un esturgeon

A failli me coûter le bras ;

 

Mes doigts ont gratté les terres noires

Là où des morts la soulevaient,

J’ai fouillé la stellarité

Avec une augure magyare.

 

J’ai mis la mahonne à fond plat

À flots : tu n’étais pas sur terre.

J’ai traqué les pirates, amer,

Des embouchures jusqu’au détroit.

 

Où étais-tu ? Désespéré,

J’ai prié les vents de la plaine

Pour qu’ils m’apportent ton haleine

Comme un fantôme de tes baisers…

 

II

 

J’eusse aimé sentir ta charogne !

J’ai cru que les vents me mentaient…

Hommes, cessez de rejeter

La vérité, quand elle vous cogne…

 

Je suis rentré chez mes amis.

Moi, le cosaque zaporogue,

J’ai renvoyé les astrologues

Qui étaient venus de Russie.

 

Tu n’étais jamais repartie.

Sur l’île de Mala Khortitsya,

Où se tient l’antique Rada,

Je suis venu avec nos fils.

 

Les Tatars étaient sur nos terres.

L’assemblée, comme auparavant,

Vota la guerre. À mes enfants

Je dis : « Trouvez-moi votre mère ».

 

Je ne sais pas si, dans la foule,

C’est eux qui te virent les premiers

Ou si tu vins les embrasser :

Quand je t’ai vu j’étais trop soul.

 

Je vis le norrois Nasdammer

Embrasser nos enfants et toi

Prendre son bras contre ton bras

Et puis son cœur contre ton cœur.

 

Ah la perfide ! Ah le sournois !

Je pris mon vieux sabre ottoman

Et l’abattais sur le géant,

Quand une main le dévia.

 

La lame s’enfonça dans la chair…

J’avais tué Monasmara

En attaquant un frère. Nos lois,

À l’exil me condamnèrent

 

J’ai fui au-delà de nos terres,

Vers la toundra et les Monts Bleus ;

J’ai fui. Je me moque des dieux,

Mais je crains l’épée de mes frères.

 

Je suis seul dans l’immensité,

Noué aux stalles de la douleur,

Les cieux ont perdu leurs couleurs

Et je ne sais plus où je vais…

 

Or mille oiseaux chantent sans fin

Que tes yeux étaient des étoiles

Et ta chevelure une voile

Et ton malheur mon destin…

 

Je t’ai sabré Monasmara :

J’ai laissé nos fils orphelins

Dans les plis de conflits sans fin

Et ta mémoire… Je la bois.


Publié le 19/08/2024 / 12 lectures
Commentaires
Publié le 20/08/2024
Puissance de la passion, votre texte jette nos yeux sur l'honneur du guerrier, et livrent à nos regards une quête au cœur de l'infini désert humain et de sa solitude. Personne ne tuent par sadisme. On tranche la gorge par besoin de conquête, on verse le sang pour posséder, on brise la vie en piétinant la terre soumise. L'exotisme nourri par la richesse de votre érudition ébouillante le récit. Ce texte m'a touché. Vous êtes un homme d'écriture, pétri de la longue et minutieuse recherche d'une âme libre et nue. Cordialement, F.Etienne
Publié le 20/08/2024
Moi aussi je les aime passionnément ces chants. Je renchéris sur l'avis de Francis Étienne car décidément tu ne saurais trouver meilleur amateur qu'un homme dont la prose est si poétique.
Publié le 20/08/2024
Formidable récit que je recommande à la sélection. Je découvre grâce à vous ce qu’est un cosaque zaporogue et j’ai plongé sans plus m’arrêter dans ce drame écrit avec beaucoup de justesse. Et plus on navigue entre les rochers plus on prend la mesure du danger et de ses conséquences. Et la toute fin est vraiment magistrale. Merci Enki.
Publié le 20/08/2024
Vous me faites rougir ; mais merci de vos retours. Je vais prochainement produire une version livre audio de mes recueils ; quand ce sera au point, je mettrai un lien sur le site Le Peuple des Mots. L'image du Cosaque Zaporogue me vient d'abord d'Apollinaire (Réponse des cosaques Zaporogues) et du beau tableau d'Ilia Répine "Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan Mahmoud IV de Turquie" ; le reste de l'inspiration est plutôt personnel, et bien sûr, il y a du travail, mais je peux encore progresser.
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