Depuis la perte de Sarah, je naviguais dans ces voiles obscures d’où s’échappent en murmures, depuis le fond des âges, l’histoire des hommes esseulés et de leurs blessures d’âme. Je naviguais, sur l’huile noire de leurs fantasmes, sur la mer d’acier de leurs espoirs. Et me laissant porter par la vague de leur mémoire, je les écoutais.
Je plongeais dans l’impossible silence de leurs souvenirs, ne me fiant qu’à l’émotion vive du chant mesmérique des sirènes qu’ils suivaient.
Avec eux, depuis la proue, j’avais scindé la houle. Et avec eux, je basculai. Nous laissions alors sur nous se refermer la folie aux mille visages, dont les contours s’animant sous la saccade des flots ne savaient entraîner, dans leur danse macabre, le marbre indigo de leurs iris pétrifiées.
Par elle, nous embrassions la métamorphose, mêlant nos faces aux faces de ceux qui, avant nous par la folie, avaient péri. Et ensemble, nous jurions fidélité aux ires de nos êtres en unissant les aspérités de nos âmes, dans la pâleur iconique et sordide des fausses libertés.
Car déjà, au loin, le navire essoufflé de notre raison s’éloignait des tourments insidieux de nos devenirs, n’emportant avec lui que le mirage chancelant des acrobates que nous avions été.
Nous n’étions désormais plus qu’un de ces hommes sans égide, naufragés à la dérive en haute mer de notre insanité. Et cette perte de repère n'était que le prélude parégorique de l’anéantissement qui nous attendait: aux bras immenses d’une nuit sans lune, happés par le silence précurseur des vapeurs enivrantes, nous entendions alors monter de nos veines, les chuchotements terribles de notre indicible projet...