Pas une piqûre de moustique depuis mon arrivée ! Il faut dire que je me pulvérise très généreusement avec l'Alpha-Nova qui m'avait été vigoureusement recommandé par le docteur qui m'avait vacciné contre la fièvre jaune. Mon estomac se comporte comme d'habitude !
Tout va bien excepté la fatigue qui commence à se faire sentir. Je ne parviens pas à me réveiller après 8h30 alors que je me couche autour de minuit trente, comme hier après une soirée dans un restaurant chic.
La journée avait commencé par une balade en solitaire sur le littoral, Julien n'ayant pas mes limites de sommeil. Je déambulais du côté de la cours suprême du Sénégal avec les yeux tournés vers l'océan atlantique et les nombreuses embarcations colorées et effilées qui le ponctuaient, poussées la plupart du temps par des moteurs à essence. Ce sont les barques des pêcheurs qui rapporteront les magnifiques poissons capturés et les vendront à quelques centaines de mètres. J'imaginais de petites prises mais je me trompais. Ce sont de beaux gros poissons qui, pour leur malheur, constituent d'ailleurs l'essentiel de mon alimentation durant ce séjour.
En tournant la tête vers la droite je vois un berger qui ramène un troupeau de chèvres, enfin, je pense que ce sont des chèvres, vers les terres. Il les avait emmenées à l'eau pour un petit rinçage, je crois. Je lui montre mon appareil afin qu'il comprenne que je souhaite le photographier, lui et son troupeau et que je lui en demande la permission. Il prend la pause, et curieusement, les chèvres aussi ! Tout le monde est statique pour moi. La vie de ce mini peuple s'arrête un instant pour moi.
De mon pouce en l'air au dessus de mon poing fermé, je montre au berger qu'il peut à nouveau respirer. Il se dirige vers moi, suivi comme une ombre par ses bêtes, et me demande « Photographe ? » Je lui réponds que non, que je suis touriste belge. Je compte beaucoup sur « belge » pour briser une éventuelle glace qui en fait n'a jamais existé. Il sourit et repart.
Je le précède et me rapproche d'un bâtiment en bon état entouré de matériaux et outils épars et d'un mur d'enceinte qui est probablement fini mais peut-être pas. C'est la cour suprême. Patrick m'a expliqué que souvent ici, lorsqu'on construit, on laisse les ferrailles à béton dépasser afin de pouvoir, à l'occasion, construire un étage supérieur. A Dakar, les temps s'imbriquent aussi, futurs et présents se marient singulièrement.
Je me prépare à prendre la photo de l'immeuble insolite quand trois hommes d'une trentaine d'années, assis là à papoter à l'ombre d'un arbre malingre, me font signe d'y renoncer, c'est interdit. Ils me montrent les caméras de surveillance installées.
En longeant la côte en sens inverse, j'aperçois une sorte de petite digue dont la
« restauration a été financée par le royaume des Pays-Bas ». L'endroit est idéal pour prendre une photo avec les bateaux et de petites îles au large qui semblent inhabitées. Je m'approche du bord de ce qui a été restauré jadis ou qui attend encore de l'être. Dans mon dos, j'entends des mots dits sur un ton autoritaire dont je ne comprends pas le sens. Je me retourne. Je distingue à cinq mètres un homme débraillé et saoul.
- "Je ne comprends pas".
Il insiste. Je lui répète, très calmement, que je ne saisis pas. D'autres mots tout aussi incompréhensibles sortent encore de sa bouche. Alors, je décide de me retourner. Là, j'entends un mot très clair : « Non !!! ». Je fais volte face et lui dis doucement que je ne ferai pas de photo et que je m'excuse. Je le dépasse et regagne la rocade en prenant la direction de l'hôtel. Je l'entends vociférer derrière moi. Ne pas me retourner. Ne pas accélérer ma marche. N'ayons l'air de rien ! Je pense à toutes ses photos prises par des touristes comme moi et à tout ce que cela peut signifier dans l'esprit des locaux. Je pense que j'ai manqué d'empathie. Je pense aussi qu'un Sénégalais n'est pas un autre. Celui que j'ai croisé là n'était simplement pas dans son meilleur jour. Je pense probablement trop. Il faut ralentir, mettre ma tête dans le sable. C'est ce que nous ferons ce soir dans le restaurant chic.
Arrivé à l'hôtel, je mange un filet de Saint Pierre en compagnie de Julien et nous nous apprêtons à prendre un taxi en suivant des conseils qui nous terrorisent plus qu'ils ne nous aident. Nous arrivons à la station de taxi. Le chauffeur répond « Trois mille cinq cents francs » à notre « Le grand théâtre de Dakar ». Je lui réponds « Trois mille, on l'a fait pour deux mille cinq cents hier ». Je marchande 500 francs CFA, 0,75€ ! C'est stupide ! C'est absurde !
Abdoulayé conduit très bien. Ca me rassure. Je le lui dis en demandant son numéro de téléphone. Ça pourra sûrement servir. Arrivés au théâtre, c'est Issa qui nous accueille, bientôt rejoint par Cheikh et ensuite Vieux. Je fais mes réglages, je retouche un peu mon système. Julien doit aller vérifier l'avancement de la fabrication du décor par un atelier local et puisqu'une partie de la route est barrée pour cause de travaux, Vieux propose d'emmener Julien à mobylette qui refuse catégoriquement. La route va être très longue en voiture. Ça semble hors de portée, tout ce chemin et ensuite revenir me prendre au théâtre pour rentrer à l'hôtel. Je bâcle un peu afin de les accompagner.
Et nous voilà partis pour « l'atelier » ! En route, on tenait une moyenne de... 10 km/h dans les séquences les plus roulantes. Vieux nous avait annoncé une heure maximum de route. On avançait à travers des quartiers où commerces déambulatoires, siestes, réparation de voitures sur la voirie et vitrines de magnifiques robes colorées se succédaient lorsque Julien demanda à Vieux de faire un peu de monnaie. « On va goûter le meilleur Djibi de Dakar » dit Vieux. Il est 16 heures. On a beau dire que pour le goûter, on est plutôt sucrés, il insiste. Il s'arrête et nous ramène le plat à déguster dans la Mitsubishi 4/4 que nous commençons à bien connaître sous un soleil de plomb que nous continuons à découvrir. On déguste ! On déguste ! On repart et bam ! On s'arrête à «l'atelier». Sur l'accotement, sous un plastique, maintenu miraculeusement par des montants de fortune, des ferrailles, des fers à souder, des étaux et trois hommes qui nous font un large sourire. Un large sourire un peu interrogateur car nous venons juger l'avancement de leur travail. Il y a trois hommes mais aussi un jeune homme et des enfants, et des mamans et là encore tout s'imbrique. Mais le travail est là. Il est très bien fait. Les soudures, pour le néophyte que je suis, semblent solides et bien meulées. Les cages répondent au cahier des charges. Dans ce contexte diamétralement opposé à ce qu'on imagine être le contexte germanique, ces hommes, tranquilles, ont accompli un excellent travail. Je les félicite non sans leur dire qu'en fait je n'y connais rien.
Retour vers l'hôtel ponctué d'une visite surprise chez une amie de Vieux. Elle est styliste et a fait des réalisations prestigieuses, notamment à Paris et à Londres. Comme pour les ferrailles, je n'y connais rien. Comme pour les ferrailles, je la félicite en sachant que mon avis n'a aucune valeur. Mais le but de cette étape était de nous montrer le studio TV que cette dame a fait avec l'aide de Vieux à l'étage supérieur. Vieux et son amie souhaitent que nous, les blancs, nous validions la réalisation. C'est ce que nous faisons avec le plus d'enthousiasme possible. Et on repart vers l'hôtel non sans faire une petite dernière visite au village.
Il est 18h30, ça roule moyen, on sait que vieux doit être à l'aéroport pour 20h30 et qu'avant il va prendre une douche chez lui. Donc, Julien prend l'initiative de décliner résolument la cerise sur le gâteau que la visite du village aurait constitué.
On arrive à l'hôtel qui, il faut bien le dire, est notre « hauteur » si vous connaissez «tape à hauteur». On y boit un verre, on range nos affaires et on se met en route pour «Le relais sportif», restaurant qui nous a été recommandé.
Après avoir passé le nez, on décline, à l'unanimité, qui est assez facile à atteindre. Il faut dire que Julien et moi sommes en phase. Pourtant il serait en droit de me faire fermer ma gueule qui plombe un peu l'ambiance avec des remarques socio-politico- économico- philisopho vaines sauf peut-être de nous donner bonne conscience.
On va plus loin. On va se mettre la tête dans le sable. On se prend un pinot noir à 52€ et on passe une excellente soirée, détendue et nécessaire, en la vidant et en mangeant, pour ma part un « thiéboudjine ».