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Chapitre 3 Brisé mais debout
La Quatrième.
Un mot, une classe. Une descente.
Chez lui, rien ne change.
Le père boit. Le même rituel. Toujours.
Il rentre, ne dit rien, se verse un verre. Puis un autre.
La bouteille descend, la mère aussi.
Elle est là, figée derrière la fenêtre. Elle attend son retour, comme on attend une tempête.
Quand il arrive, elle sait que ça recommence.
Les cris. Les silences. Les assiettes qu’on ne jette pas, mais qui pèsent quand même.
Alors, elle met des gouttes dans son verre. En douce.
Le médecin avait dit : “Quelques gouttes, pas plus.”
Mais elle ne sait plus vraiment ce que veut dire juste ce qu’il faut.
Quand il tourne le dos, elle verse.
Parfois, il s’endort. Parfois non. Parfois, c’est pire.
Et lui, leur fils.
Il entre en quatrième.
Il ne se méfie pas. Il pense que ce sera comme avant. Peut-être pire, peut-être pas.
Mais non.
C’est bien plus que pire.
C’est autre chose.
Un engrenage. Un enfer.
Trois filles. Plus âgées en retard dans leurs études
Elles se connaissent. Elles font la loi dans la classe.
Vulgarité dans la bouche, violence dans les yeux.
Elles le repèrent vite.
Il est trop propre. Trop sage. Trop silencieux.
Trop seul.
Il devient leur cible.
Il ne comprend pas tout de suite.
Ça commence doucement. Un regard moqueur. Une remarque. Une feuille arrachée.
Puis ça monte.
Les insultes. Les humiliations. Les menaces.
Tous les jours. Tous les jours. Tous les jours.
Elles s’assoient près de lui. Elles l’encerclent.
Elles l’obligent à leur donner ses devoirs.
Et s’il refuse ? Elles le cassent.
“Mauvais pédé.”
“Tapette.”
“On va te faire la peau.”
Il a honte. Il se sent sale.
Il ne sait plus comment marcher dans le couloir sans qu’on le bouscule.
Il ne sait plus comment respirer en classe sans qu’on se moque.
Il voudrait disparaître. Juste devenir une tache invisible.
Il essaie de faire semblant.
De sourire parfois.
Mais tout en lui est à vif.
Chez lui, il ne dit rien.
À qui pourrait-il parler ?
Les sœurs ne voient rien.
La mère ne voit plus rien.
Et le père… ne regarde personne.
Il fait semblant d’avoir de la fièvre.
Il se met de l’eau chaude sur le front.
Mais sa mère lui dit :
“Allez, va à l’école.”
Comme si c’était un refuge.
C’est une prison.
Il y retourne.
Chaque matin, comme on va à l’abattoir.
Le soir, il faut sourire.
Faire une partie de belote avec le père.
Rire aux blagues du père alcoolisé.
Et surtout, surtout ne pas pleurer.
Il tient.
Il tient parce qu’il ne sait pas faire autre chose.
Il s’endort parfois sans manger.
Il se réveille avec l’angoisse déjà posée sur la poitrine.
Juin arrive.
Il est vidé.
Il ne tient plus.
Et puis il y a ce jour-là.
Elles recommencent. Encore. Elles se moquent.
Devant les autres.
Il sent quelque chose en lui se briser.
Il se lève.
Il ne parle pas.
Il les regarde.
Et il en frappe une.
Un coup. Puis un autre.
Dans la tête.
La violence qu’il a ravalée toute l’année ressort.
C’est elle ou lui. C’est maintenant.
Elle tombe.
Le silence.
Tout s’arrête.
Il la regarde. Elle ne bouge plus.
Il croit qu’il l’a tuée. Il court. Il s’enfuit. Il tremble.
Mais elle se relève.
Et dès ce jour-là, elles se taisent.
Plus un mot.
Plus une menace.
L’année se termine. Il passe en troisième.
Elles, elles redoublent.
Mais il ne se réjouit pas. Il n’y a pas de victoire.
Il a survécu.
Mais il ne sait pas comment.
Il ne sait même plus pourquoi.
Et il reste avec cette phrase qu’il n’ose dire à personne :
Ce n’est pas possible. Ce n’est pas ça, la vie.
La vie, ce ne peut pas être ça.