UTOPIE
(유토피아 )
Une fois de plus la chaleur et la pandémie de Covid avait vidé les rues des villes coréennes de ses habitants. Pourtant l’activité économique se poursuivait sans faille malgré le virus, pilotée par un réseau complexe d’Intelligences Artificielles. Les directives du gouvernement obligeaient le pays à brûler les étapes afin de rester en tête de cette interminable course avec le Nord. Ce dernier, longtemps resté arriéré, avait ces dernières années rattrapé une partie de son retard et menaçait le sud non plus seulement sur le plan militaire mais aussi économique. Pourtant devant l’urgence sanitaire des diplomates, les deux parties échangeaient des infos dans le but de réduire la mortalité des populations. De part et d’autre de la frontière d’incroyables structures souterraines de surveillance, d’espionnage, noyées au sein de dispositifs militaires, encombraient le 38ème parallèle, en particulier les tunnels creusés profondément sous cette frontière. L’un deux était spécialement aménagé pour recevoir les participants à ces rencontres, à l’abri de la fournaise qui régnait en surface.
Cette situation empirait depuis des décennies. Plus la température augmentait, plus le virus se démultipliait et se déclinait en de nouvelles variantes toujours plus résistantes. Plus était nombreuses les victimes et plus on creusait et plus on s’enfonçait dans les entrailles de la terre. Tant et si bien que lentement l’environnement du 38ème s’est effondré. Au début on n’a pas noté ces fissures qui étaient apparues, pas voulu entendre ces craquements dans les structures, pas vu ces tours qui s’éloignaient de la verticale. Curieusement le phénomène se concentrait sur la ligne de frontière, comme une immense vallée qui se creusait inexorablement. Il suffisait de s’éloigner quelque peu de cette dépression pour que les choses soient ce qu’elles auraient toujours dû être. Puis par endroits se produisit des déformations s’apparentant à un phénomène ondulatoire telle une onde concentrique que l’on peut observer sur un plan d’eau quand un objet perturbe son milieu. Ces bouleversements se répétaient tout le long et de part et d’autre du 38ème , comme une succession d’éruption volcanique. Les autorités s’évertuaient à rassurer les populations grâce à des campagnes médiatiques intense. Elles faisaient valoir la rareté des éruptions et les travaux titanesques entrepris par de formidables automates pour renforcer ces endroits. Surgissant parmi ces nombreux engins certains ont bientôt vu ou cru voir, des robots, des humanoïdes. On ne sait s’ils venaient des entrailles de la terre ou s’ils avaient été auto-produit par ces incroyables systèmes construits sur la frontière par les autorités, elles-mêmes. Ils étaient chaque jour plus nombreux et le doute n’était plus permis quant à leur réalité. Autant les automates suivaient les consignes fournies par les programmes informatiques des autorités, autant ces directives étaient sans effet sur les nouveaux venus. Ils allaient et venaient à leur guise semblant participer à des activités dont la finalité restait inconnue. Le Nord aussi subissait ces envahisseurs qui se jouaient de la frontière comme de l’écrasante chaleur et ne semblait avoir nul besoin d’énergie pour se mouvoir. Les contacts entre les diplomates avaient permis de découvrir cette ressemblance entre les deux parties du globe.
L’inquiétude était grande. Rien ne semblait arrêter ce phénomène. On apprit bientôt des différentes capitales, des situations identiques. Les deux blocs - Qui se sont créés après l’effondrement de l’ONU il y a trois décennies, celui de l’Ouest emmené par Washington et son antagoniste de l’Est conduit par Pékin- De Hongkong à Tokyo en passant par Istanbul, Rabat, ou Washington le constat était le même, les états s’avouaient impuissant à endiguer le phénomène qui s’était répandu tout autour de la terre à hauteur du 38ème parallèle, tel une mèche que l’excessive chaleur aurait allumée en Corée et enflammée le reste du monde en s’élargissant progressivement jusqu’à atteindre l’hémisphère Sud. Bientôt les actions engagées par les gouvernants furent détournées voire bloquées au bénéfice d'objectifs encore opaques. Ce qui ne pouvait se faire sans une tolérance, une complicité active d’administrateurs. Ainsi Les sommes colossales allouées aux Ministères de la Défense des deux blocs se retrouvaient dans les caisses de la Recherche Scientifique dont ils réécrivaient les programmes de développement. Selon certains gestionnaires, si la Santé et l’éducation étaient aussi les bénéficiaires c’est parce le besoin de scientifiques et de personnels en bonne santé pour combattre les pandémies, le dérèglement climatique, serait indispensable pour répondre à l’objectif premier.
Les contacts officiels, entre les deux blocs, se doublaient de réunions clandestines de membres des différentes administrations de l’Est et de l’Ouest décidés à sortir des politiques mortifères qui géraient le monde depuis des décennies. Ces assemblées étaient ouvertes à des scientifiques voulant peser de toutes leurs influences pour réorienter les recherches civiles. Prêts à apporter leur savoir-faire, participaient également des personnalités issues du monde des bâtisseurs disposant de compétences essentielles dans des domaines clés. S’était formé ainsi des organisations redoutablement efficaces, hors du contrôle des états. Bien sur les projets étaient différents à l’Ouest comme à l’Est, au Nord comme au Sud.
Mais ce qui les réunissait, le point commun, par-delà les blocs, les courants de pensées, était la conviction non d’une extinction brutale de l’humanité mais de son élimination prochaine. Le réchauffement climatique, les guerres, les pandémies à répétition, en serait la cause. Déjà dans les années 2000 des mouvements en faveur d’une action réellement efficace des gouvernements étaient restés sans effet. Aussi ces nouveaux venus étaient résolus à une action radicale, totale, agissant sur tous les déterminants d’une société.
Les robots étaient l’éclatante manifestation de cette radicalité. D’abord Conçu dans les structures souterraines qui s’étaient greffées à celles des autorités, ils protégèrent les nouveaux organismes, aidèrent au déploiement de nouvelles structures. Ils constituèrent les « petits bras » dont tout pouvoir a besoin. On vit émerger de nouvelles forces clandestines tout autour de la planète qui, telle une ceinture, s’imposèrent au grand jour, débordèrent les institutions, et de nouveaux organes dirigeants décidèrent les orientations voulues.
Alors le monde commença à changer. On mit en pratique des concepts élaborés au 20ème siècle pour assainir la planète. Une source d’énergie essentielle déjà utilisée dans des procédés industriels, dans la production, le stockage et le transport des matières fossiles, se généralisa dans les transports terrestres, maritimes et aériens et contribua radicalement à la dépollution. Très progressivement le climat changea avec des températures moins extrêmes et les catastrophes naturelles plus rares. D’ambitieux plans d’urbanisme modifièrent les paysages pour rapprocher l’humain de la nature, jusqu’à reverdir des contrées asséchées. Au fil du temps la santé des populations s’en trouva grandement améliorée et l’espérance de vie repris une courbe ascendante.
Enfin, grâce aux robots, l’activité humaine libérée d’une partie de ses fonctions, put reporter son énergie sur La valorisation des talents, la réalisation de ses aspirations et de ses rêves. Les loisirs se retrouvèrent au plus près des populations.
Le renouveau de la planète était en bonne voie.