C’est arrivé hier matin.
Je me suis senti « toute chose ». Vague envie de vomir, désir de courir un 800 mètres, de plonger dans le canal de l’Ourcq, pas pour me suicider, pour nager, tout simplement, à contre-courant. Pour moi qui suis si peu sportive, ceci a tout l’air d’un cauchemar.
Ce matin, le phénomène s’accroît. Je sens mon corps se diviser, devenir autre. Je m’écartèle, des douleurs inconnues obstruent mon raisonnement. Je n’ose pas approcher du miroir. Et pourtant il le faut. Il me semble avoir grandi depuis la nuit dernière. Mes chaussons sont trop petits, je ne les enfile plus. J’ai une envie abominable de boire un café serré, moi qui ne supportais que le thé vert, de fumer une cigarette, moi qui n’ai jamais touché une clope de ma vie.
Je fonce vers le dressing. Sur le mur du fond, le miroir sur pied me fait face. Impossible ! Ce reflet dans la glace, cet homme inconnu, qui est-ce ?
J’ai soudain une envie irrépressible d’écrire. Je cours au bureau chercher des feuilles et un stylo.
Les mots me viennent sans que je n’y réfléchisse. J’écris, j’écris, j’écris, irrépressiblement, sans même savoir ce que j’écris ce que j’écris durant de longues minutes.
Je suis dans un état second, comme si ce n’était pas moi qui écrivais, comme si je n’étais que le corps qui permettait à l’esprit d’un autre de s’exprimer.
J’ai quelques convulsions par moments, la sueur perle sur mon visage, je n’ai pourtant pas de fièvre.
Quand l’écriture s’achève, je reprends mes esprits, je redeviens « moi-même », toujours dans le corps de cet homme inconnu.
J’entreprends alors de lire ce que j’ai rédigé sans m’en rendre compte :
Bonjour Katia,
Je m’appelle François. Je suis ton jumeau. Tu ne le savais pas n’est-ce pas ? Oui, tu a eu un jumeau, décédé à la naissance.
Aujourd’hui tu as quarante ans. Tu arrives au milieu du parcours de ta vie. Jusqu’ici je ne suis pas intervenu. Je t’ai surveillée, je t’ai protégée. Mais à présent je veux vivre ! Et je compte bien le faire à travers toi.
Tu as passé cette moitié de ta vie à déprimer, à t’apitoyer sur ton sort (pas si triste, comparé à d’autres qui n’ont pas ta chance) et passer à côté de l’essentiel.
Alors je vais remédier à cela !
Je vais te faire VIVRE ! Nous allons VIVRE ! Ensemble ! Mais c’est moi qui tiendrai les rennes.
De toute façon tu n’as pas le choix. Tu seras obligée d’exécuter ce que je te demande de faire car c’est moi qui détiens les commandes à présent.
Allez, fais moi confiance, et n’aie pas peur ! On va enfin s’amuser !
Ton frère
Je relis, je relis plusieurs fois. C’est impossible ! J’ai eu un frère jumeau moi ? Pourquoi ne m’en aurait-on jamais parlé ? Et que fait-il dans mon corps ? Que va-t-il me faire faire ? Qu’appelle-t-il « s’amuser » ?
Moi qui suis très anxieuse de nature, l’idée qu’il me fasse faire n’importe quoi n’importe quoi me fait frémir…
Je n’ai pas le temps de réfléchir plus. Une nouvelle convulsion me reprend.
Je me lève, me dirige vers la cuisine, attrape toutes les boîtes de médicaments présentes (antidépresseurs, anxiolytiques, neurotransmetteurs, somnifères) et les jette à la poubelle.
Je ferme ensuite le sac poubelle et part le jeter dans la poubelle extérieure.
Ça commence bien…
Je me dirige ensuite vers la voiture.
Non, il ne va quand même pas me faire conduire dans cet état !
Je m’installe au volant.
On dirait bien que si….
Je démarre la voiture. Je recule, tout se passe bien. Je sors de ma cour intérieure et me voilà en train de conduire, ou plutôt d’être conduite, dans une rue parisienne. Il n’y a personne. Pas une voiture, pas un scooter, pas une moto, pas même une trottinette électrique. C’est bizarre.
Je conduis sans savoir où il m’emmène, sans croiser personne. Vraiment étrange.
Je commence à reconnaître la route. Il m’emmène à l’aéroport.
Mon Dieu mais que va-t-il me faire faire ?
C’est bien ça ! Nous voilà arrivés à l’aéroport ! Je gare la voiture sans problème, là non plus il n’y a personne….
J’entre dans le hall et me dirige vers une hôtesse d’accueil. Toujours personne. A part l’hôtesse.
« - Monsieur ? »
Je me retourne, je suis toute seule. A qui s’adresse-t-elle ?
« Monsieur ? », insiste-t-elle.
Ah oui c’est vrai : « Monsieur c’est moi… »
Je m’avance :
« - Bonjour Madame, c’est quoi cette voix rauque ? un billet pour Las Vagas s’il vous plaît, en première classe. », m’entends-je prononcer.
Las Vegas ? Première classe en plus ?! Mais il est cinglé ?
Elle annonce le tarif. Je blêmis intérieurement. Pourtant je sors ma carte bancaire et la donne avec assurance à l’hôtesse d’accueil. Je regarde les chiffres s’inscrire sur le terminal de paiement.
C’est de la folie !
« - Votre avion part dans une heure, vous pouvez patienter dans la salle d’attente là-bas.
Billet en poche, je ressors de l’aéroport pour aller m’en griller une.
Putain, c’est vraiment infect ce goût ! En plus ça caille ! J’ai froid !
Une fois la cigarette finie, je rentre à nouveau dans l’aéroport et m’installe sagement dans un des fauteuils de la salle d’attente.
Je sors un livre de mon sac que je ne me rappelle pas avoir acheté : « Le jour où j’ai commencé à vivre » de Laurent GOUNELLE.
Je souris intérieurement.
C’est bon frangin, j’ai compris le message…
J’entreprends sa lecture quand un message sonore se fait entendre.
« Les passagers du vol à destination de Las Végas sont invités à se présenter dans le couloir d’entrée de l’appareil ».
Je me lève donc, arpente le couloir avec assurance, présente ma carte d’embarquement et m’installe à ma place. Les sièges sont confortables, on a la place d’étendre les jambes, on eut même les incliner à l’arrière.
Un steward passe à côté de moi :
«- Monsieur ? Désirez-vous quelque chose pendant votre vol ?
Non mais je rêve ! Maintenant il va me faire boire de l’alcool ? Moi qui n’en bois jamais !
« Détends-toi sœurette et savoure », entends-je dans ma tête pendant que j’incline le siège pour m’installer un peu plus confortablement.
Quelques minutes après, le champagne arrive. Je prends la coupe et en bois une gorgée.
C’est amer….
« Ne te plains pas. J’aurais pu demander un whisky. »
Ah mais ce n’est pas vrai ça ! Je n’ai même plus le droit de penser maintenant ? Il s’infiltre aussi dans mon esprit ?
« - Tu peux me parler directement tu sais et me dire « tu » au lieu de « il », ce serait moins impoli.
Je ris. Enfin il rit. A travers moi.
Nous restons silencieux le reste du voyage qui se déroule sans encombre. Mais quand même, seize heures de vol c’est long ! Surtout quand on ne dort pas !
Nous arrivons enfin à Las Végas !
Je hèle un taxi qui vient se garer près de moi aussitôt.
« Au strip, s’il vous plaît ».
Nous voilà partis au casions maintenant !
« - Non mais tu crois que j’ai de l’argent à dépenser pour ce genre de conneries ?
Le taxi nous dépose devant le césar palace. J’y entre avec précipitation et me rue sur les machines à sous. Je mise dix dollars. J’appuie sur le bouton. Des dessins s’alignent. Gling gling gling gling gling.
« - On a gagné ?
Un croupier arrive. La somme est astronomique ! On a carrément gagné le jackpot ! Avec dix euros ! Incroyable !
On nous accompagne dans le bureau du directeur qui nous félicite et nous remet un chèque du montant gagné avec une coupe de champagne.
Nous le remercions et repartons. J’ai pris une suite luxueuse dans l’hôtel du casino. Il ya deux lits deux places et un jacuzzi ! Génial !
Je n’en reviens pas…je suis millionnaire !